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A un an des Jeux paralympiques de Tokyo, le Grenoblois (45 ans) s’est lancé un défi novateur de taille. Pour s’y donner toutes les chances, il innove avec des séances en apnée supervisées par Stéphane Tourreau, vice-champion du monde d’apnée. Sur 50 mètres nage libre, son actuelle distance de prédilection, David Smetanine ambitionne de grappiller « une demi seconde » à la faveur seulement de trois respirations « contre six ou sept ». Un Everest.

« Si tu relâches tes épaules, tu relâches ton corps David… Si tu relâches ton corps, tu consommeras moins d’oxygène. Laisse l’acide lactique s’accumuler », conseille Stéphane Tourreau d’une voix douce. « T’es capable de le faire, tu t’accroches… Allez, pendant ta récup’, tu ventiles… Allez, ventiles… Expire à fond… Inspire à fond… ». A l’horizon de sa cinquième série de 8x50mètres avec les 15 derniers en apnée entrecoupés de 40 secondes de récupération, David Smetanine sent ses bras « comme du chewing-gum. C’est de la survie : plus tu avances, plus tu meurs… ». Encore trois longueurs : « Allez, David, tu dois taper là-dedans, dans le rouge… Allez, encore 25 mètres en apnée… Allez, ne te pose pas de question, ton corps suivra… Tes muscles vont s’habituer à bosser à l’économie… ». Cette grosse série a débuté par 3x50mètres en apnée lente entrecoupés de 3 minutes de récupération.  Elle se clôturera avec la même entrée.

(Photo : Sophie Greuil)

Comme la première, cette seconde séance de début août se déroule dans la grande piscine de la copropriété de Stéphane Tourreau (33 ans), vice-champion du monde d’apnée en poids constant monopalme en 2016. A taille humaine, sa surface scintillante sous une cagna qui cogne, permet une proximité et une intimité complices dans un calme déjà liquéfiant. Là, David Smetanine mouline, se désunit de longueur en longueur hachées d’apnées : « Comme je n’ai pas mes jambes, je n’ai pas de moteur, pas de gouvernail. Chaque respiration est une bonne occasion de ne plus avoir la tête dans l’axe. Donc, je dois les limiter ». Son sprint apprend à manquer d’air. Ces séances d’ordinaire faciles lui coupent le souffle : « Si tu continues à bosser ainsi, tu vas t’envoler », affirme Stéphane Tourreau, travaillant, aussi, avec des biathlètes, descendeurs ou grimpeurs.

(Photo : Sophie Greuil)

L’un, champion de natation sans jambes vise « un 37-38 secondes » sur 50 mètres nage libre aux prochains Jeux de Tokyo ; l’autre, champion d’apnée vaut 113 mètres de profondeur. Il y a peu, les deux se croisent sur un colloque. Leurs échanges conduisent à ce partage, à cette approche pionnière en natation. Leur objectif ? « Regardez les sprinteurs en athlétisme, leurs visages filmés en gros plan, totalement relâchés ! Regardez Bolt avant le départ, son unique objectif est de se relâcher puis, l’être en course. Il y puise toute sa force », relève, admiratif voire envieux, le nageur. « Mon but, pour la dernière course internationale de ma carrière à Tokyo, est vraiment là. Et, pour arriver à ce relâchement, il faut lâcher prise puis, apprendre à gérer ses efforts donc, à s’économiser, au propre comme au figuré, à certains moments. L’apnée est la meilleure voie ». A ses côtés, Stéphane Tourreau confirme : « Avec un bon travail en apnée, on peut le décupler ».

(Photo : Sophie Greuil)

En brasse, pour gagner ses profondeurs, l’Annécien s’applique « à ne pas vivre chaque mouvement comme une crispation : sinon, je perds une fraction de seconde à chaque foisComme moi, David doit maximaliser chaque mètre dans le relâchement ». Sous sa houlette, David Smetanine apprend donc à ne pas manquer d’air : « Dis, ce que j’ai comme en air en bouche, je le garde ou pas ? ». Il apprend à ventiler, hyper-ventiler, gérer son CO², repousser son envie de respirer « me donnant l’impression, après vingt-deux ans de haut niveau, d’être un novice dans un sport où respirer est à la base de notre apprentissage et de notre technique. Là, je dois briser les automatismes, les certitudes ». A douze mois de Tokyo (« laps de temps idéal pour m’approprier correctement ces apnées. Avec moins, ça n’aurait pas été possible »), ce nouveau terrain de jeu l’intrigue et l’excite : « En fait, parfois, je me demande pourquoi nous n’avons pas pensé avant travailler sur cet aspect ? ». Son guide répond : « Les sports classiques, communs, fonctionnent, depuis toujours, de manière très assistée voire trop encadrée, sans grosse remise en question, autonomie d’envie de recherches, d’innovations. Les quelques initiatives personnelles sont souvent tuées dans l’œuf par le système. Heureusement, en handisport, l’engagement personnel est plus important donc, en permet. En apnée, sport confidentiel, nous nous creusons la tête en permanence pour évoluer dans tel ou tel domaine. De A à Z, nous sommes ouverts à tout, surtout à sortir de notre zone de confort ».

(Photo : Sophie Greuil)

De 15 mètres en 15 mètres, David Smetanine extrapole son futur 50 face à deux adversaires, à cette heure, en orbite pour l’or et l’argent : « Dans ma catégorie (S4), certains plongent, d’autres ont un peu de jambes ». Mais, au final, qui sait ? « Quand je vais déjà me mettre à hyper-ventiler dans la chambre d’appel, ça risque d’en déstabiliser certains ? Quand j’étais en combinaison intégrale, grâce à mes grands bras, j’étais haut sur l’eau : imbattable », se souvient le sprinteur alors recordman d’Europe en 37’’79 (2008). « Là, je dois trouver une autre voie pour me rapprocher d’eux. Avant, je n’étais pas assez fluide. Après chaque respiration, je n’arrivais pas à garder ma vitesse, surtout après les 35 mètres. De la chambre d’appel de la série jusqu’à toucher le mur de la finale, je dois désormais nager relâcher, ne pas me freiner ». En 2012, l’Isérois en shorty valait 38’’46. Pour un centième, David Smetanine avait raté le podium sur 100 m nage libre aux Jeux de Rio. Dans un an, pour ses cinquièmes Jeux (et une dixième médaille paralympique ?), le 2 septembre 2021, vingt-six ans jour pour jour après son accident de voiture, son histoire pourrait avoir - sur une seule longueur de bassin - une chute à couper le souffle.

A Annecy, Sophie Greuil

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