Aller au contenu principal

Au regard de l’augmentation du nombre de noyades accidentelles en France, notamment chez les moins de 6 ans, et dans le cadre des nouvelles orientations souhaitées par Roxana Maracineanu, le ministère des Sports s’est mobilisé à l’automne 2019 pour endiguer la problématique des noyades en lançant le plan « Aisance aquatique ». Après Agnès Berthet, adjointe au DTN, c’est au tour de Marc Begotti, Conseiller technique régional en Auvergne-Rhône-Alpes, d’évoquer ce dispositif ambitieux, mais aussi la question des premiers apprentissages et de la construction du nageur.

Dans la lettre de l'économie du sport de septembre 2019 on apprend que « la noyade est la première cause de mortalité par accident des moins de 15 ans ». Doit-on considérer qu'il y avait urgence à lancer un plan d’envergure nationale pour endiguer la problématique des noyades et aborder la question de l’apprentissage de la natation ?

Il y avait urgence ! Suite aux noyades trop nombreuses, en qualité de CTS natation j’avais alerté la Direction régionale de Lyon dès novembre 2017 sur le fait préoccupant que plus de 25% des élèves entrant en sixième ne savaient pas nager alors même qu’il s’agit d’une priorité nationale inscrite dans « le socle commun des connaissances et de compétences » depuis 2005.  J’avais suggéré, en me référant aux travaux de Raymond Catteau, d’enseigner la « construction du corps flottant » à l’école. Ce premier niveau de construction du nageur permet à l’élève de construire sa sécurité active. En septembre 2018, avec l’aide de Raymond Catteau, suite au nombre très important de noyades durant l’été, j’avais réalisé une fiche de construction constituée d’une chronologie de tâches à réussir intitulée « Pour éviter les noyades, huit étapes pour passer d’un corps pesant au corps flottant ». Ce cheminement didactique publié sur le site internet raymondcatteau.com sous forme de fiches a été téléchargé et expérimenté par un nombre considérable de visiteurs. Il est important de poser le problème de l’enseignement de natation à la fois pour endiguer les noyades, mais aussi pour permettre à tous d’acquérir un niveau de pratique en natation suffisant pour prendre du plaisir à nager tout au long de sa vie.

Doit-on en déduire que l’apprentissage de la natation ne s’est pas encore démocratisé en France ? Pas suffisamment en tout cas pour permettre aux plus jeunes de découvrir l’univers aquatique en toute sécurité.

Ce pourcentage doit nous interroger. Ne sommes-nous pas face à des difficultés pour enseigner efficacement et rapidement la natation ? Un spécialiste des sciences de l’éducation et de la pédagogie, Philippe Meirieu, pose trois questions structurantes qui ont retenues mon attention : « Qu’est-ce qui vaut la peine d’être enseigné ? Qu’est-ce qui est enseignable dans ce qui vaut la peine d’être enseigné ? Quelles sont les conditions pour que l’enseignable soit véritablement enseigné ? ». En natation, ce qui vaut vraiment la peine d’être enseigné, c’est ce que doit construire l’élève pour ne plus risquer de se noyer et qui lui ouvre les portes pour devenir meilleur nageur. Ce qui est enseignable rapidement pour ne plus risquer de se noyer, c’est la construction « du corps flottant » : capacité à laisser l’eau agir sur son corps et à se laisser équilibrer. Une fois le « corps flottant » acquit, l’élève a construit sa sécurité active et peut à partir de ce prérequis devenir nageur. Pour construire le « corps flottant », 5 à 10 séances de 50 minutes sont nécessaires par groupe de 10 élèves. Il faut disposer d’enseignants formés qui suivent un cheminement didactique qui permettra aux élèves de franchir les obstacles qui les empêchent de laisser l’eau agir sur leur corps. Disposer d’une piscine dont la profondeur ne permette pas aux élèves de mettre leurs pieds par terre. Ne pas équiper les élèves de flotteurs et ne pas « aménager » le milieu.

Plus généralement, pourquoi la natation n’est-elle pas entrée dans les mœurs de nos concitoyens ?

La natation, c’est une nouvelle locomotion qu’il faut conquérir. Pour que la natation entre dans les mœurs de nos concitoyens il faudrait qu’ils deviennent véritablement nageurs. Trop souvent le niveau de pratique les cantonne à la baignade ce qui ramène à la problématique de l’enseignement de la natation.

Plusieurs DTN, à commencer par Claude Fauquet, ont mis en avant un déficit de culture aquatique. On entend souvent dire que les Français aiment les sportifs (les nageurs dans le cas qui nous intéresse), mais pas forcément le sport (la natation, donc). Comment expliquer ce paradoxe ?

Si la natation est un des sports les plus regardé à la télévision pendant les Jeux olympiques, pratiquer la natation régulièrement demande d’être à l’aise dans l’eau, de s’organiser pour se déplacer sans s’épuiser et de disposer d’une piscine à proximité.

(Photo : Adobe Stock)

Ce déficit de culture sportive n’est-il pas à mettre en rapport avec la place que le sport occupe à l’école ? Les enseignants ont-ils l’expertise requise pour assumer un apprentissage aquatique digne de ce nom ?

Il se trouve que j’ai rencontré dernièrement, à l’occasion d’hommages rendus à Raymond Catteau et à ses travaux par le SNEP, environ 300 enseignants d’EPS. Ils semblaient tous très concernés et intéressés par l’enseignement de la natation, discipline qu’ils connaissent finalement assez peu. Il y a me semble t-il une véritable attente de leur part.

La ministre des Sports s'est tournée vers son ancienne maison pour lancer le plan « Aisance aquatique ». Quel rôle doit jouer la FFN ?

N’est-il pas normal qu’une fédération soit force de proposition concernant l’enseignement de sa discipline ? La FFN doit devenir un acteur incontournable en matière d’enseignement de la natation. Toutefois, il me semble que notre fédération ne doit pas se focaliser exclusivement sur le plan « Aisance Aquatique » qui concerne les enfants de 4 à 6 ans, mais aller bien au-delà de ce prérequis en proposant un plan « tous meilleurs nageurs ». Dans le domaine de la pédagogie et de la didactique de la natation les travaux de Raymond Catteau sont incontournables (soixante ans de travail), ils doivent devenir le cadre de référence de notre fédération en la matière.

A-t-elle seulement les moyens de mener cette mission sociale à son terme ?

Je le pense. Une cellule de réflexion sur l’enseignement de la natation a été créer, une stratégie a été proposée à la DTN et un modèle a été imaginé pour que les actions misent en œuvre s’autofinance.

Les « classes bleues » ont été inaugurées dans le cadre du plan « Aisance Aquatique ». Quel est leur rôle exact dans l’apprentissage de la natation ? S’agit-il d’apprendre à nager ou « seulement » de s’initier à l’univers aquatique ?

L’aisance aquatique est un terme générique qui permet de comprendre de quoi il s’agit sans être un spécialiste de natation. Pour être à l’aise dans l’eau, il faut avoir vaincu la peur de l’engloutissement et accepter de s’immerger pour flotter en laissant passivement l'eau agir sur son corps. Dans notre conception de l’enseignement de la natation, la construction du « corps flottant » est « un passage obligé ». C'est un prérequis incontournable aussi essentiel que l’a été la construction de la station debout érigée dans la construction de la marche. Un exercice très en vogue dans les piscines « l’étoile de mer » est une fausse bonne solution pour construire le « corps flottant ». Cet exercice qui consiste à écarter les bras et les jambes, situation dans laquelle le corps est immédiatement équilibré et stabilisé, est préconisé pour préserver l’orientation du corps à plat en flottaison, alors que les rotations autour de l’axe ne sont pas à éviter mais doivent être vécues par l’élève afin d’inhiber ses réflexes d’équilibration de terrien, condition pour accepter de laisser l’eau agir passivement sur son corps.

Qu’en est-il ensuite et plus précisément de l’apprentissage aquatique ?

L’apprentissage de la natation est composé de deux grandes étapes : l’action de l’eau sur le corps (« la construction du corps flottant ») et l’action du corps sur l’eau (« La construction du corps projectile-propulseur »). Raymond Catteau a repéré six niveaux d’organisation dans la locomotion dans l’eau. A partir de ces niveaux d’organisation, il a formalisé « six niveaux de construction du nageur ». Ces niveaux de construction intéressent le professeur des écoles avec sa classe de débutants comme l’entraîneur avec ses nageurs.

(Photo : Adobe Stock)

L’apprentissage aquatique doit-il passer par l’école ou être le fait des clubs de natation ? A quel moment orienter des enfants vers les structures FFN ?

Il n’y a qu’une natation, les principes d’action sont les mêmes pour tous, il est important, pour le bien des enfants, que l’école et le club disposent des mêmes cadres de référence pour enseigner la natation. Enseigner la natation efficacement suppose de disposer d’une démarche pédagogique solide et de contenus didactiques éprouvés. Les enfants à partir de 5-6 ans peuvent construire « le corps flottant » assez facilement à l’école et devenir nageurs avant l’entrée en sixième. Je ne pense pas qu’on ait la possibilité d’orienter les enfants vers les clubs. Notre chance est que les parents nous amènent leurs enfants pour qu’ils apprennent à nager. Dès lors, le club doit se poser une série de questions : comment enseigner la natation rapidement et efficacement ? Comment donner envie de pratiquer la natation ?  Comment permettre de toujours progresser ?

En dépit d’un manque de piscines, de lignes d’eau et de moyens, on a le sentiment que la question de l’apprentissage de la natation est enfin abordée sérieusement. La FFN doit-elle saisir cette opportunité pour consolider sa position et affirmer son rôle social auprès du grand public ?

La FFN devrait se saisir de l’opportunité qui lui est offerte pour les raisons que vous évoquez, mais pas seulement. A moyen terme, nos résultats sportifs à l’international n’en seront que meilleurs. Entraîner, c’est enseigner la natation. Si les entraîneurs deviennent de meilleurs enseignants, ils deviendront de meilleurs entraîneurs. Claude Fauquet l’avait parfaitement compris. A partir de 1997 (Championnats d’Europe de Séville), nos résultats sportifs décollent, Raymond Catteau y a contribué. Il n’était pas un entraîneur, ce qui lui a été souvent reproché par ceux qui ne comprenaient pas que son domaine c’était la pédagogie et la didactique, mais il s’intéressait à la haute performance pour comprendre comment les nageurs construisaient la natation et il nous aidait à être plus performants dans la mise en œuvre de nos options « techniques ».

Est-il nécessaire d’ajuster la méthode de Raymond Catteau ou est-elle toujours d’actualité ?

Raymond Catteau nous a présenté la natation et le fonctionnement du nageur comme personne ne l’avait jamais fait. Il a été un praticien hors pair et son expertise émerge en partie de ses expériences pédagogiques formalisées. Son dernier ouvrage s’intitule « La natation de demain ». Le titre de ce livre n’est pas usurpé ! La pédagogie de Raymond Catteau est propre à Raymond Catteau, ceux qui l’ont vu enseigner comprendront… mais on peut s’approprier sa démarche. L’option de Raymond Catteau, c’est « la pédagogie de l’action » qui repose sur une succession chronologique de réussites des élèves. Pour Raymond Catteau enseigner, c’est permettre à l’élève de dépasser ce qui lui fait immédiatement obstacle et chaque dépassement est un progrès qui intègre la construction précédente. Chaque dépassement est un nouveau point de départ. C’est la raison pour laquelle on parle de démarche de construction. La méthode active demande « une connaissance forte de la discipline » et impose une longue formation en action. Beaucoup d’enseignants en sont restés au modèle « Equilibre Respiration Propulsion Information » de Raymond Catteau, les travaux qui suivent cette période (de 1991 à 2019) sont encore mal connus, ou s’ils le sont, c’est souvent pour couvrir par des mots nouveaux des pratiques inchangées. Ce ne sont jamais des ajustements qui sont apportés à sa méthode, mais des modifications qui dénaturent les fondements de la conception, ces modifications sont toujours apportées par ceux qui croient à tort s’être approprié la démarche.

Plus généralement, l’apprentissage de la natation peut-il se passer d’un enseignement théorique pour s’en tenir à une expérience plus personnelle ? Ne s’agit-il pas, en fin de compte, d’un ressenti individuel ?

La théorie doit-elle précéder la pratique ? Non, la pratique est première, mais doit être accompagnée et alimentée ponctuellement d’apports théoriques contextualités. Par expérience, on constate que c’est seulement après avoir réussi à obtenir une transformation significative avec ses élèves qu’un enseignant de natation « novice » pourra comprendre les fondements didactiques sur lesquels repose cette réussite. Ce qui est vrai pour l’élève qui apprend, est également vrai pour l’enseignant qui apprend : réussir avant de comprendre et pour comprendre. Ce postulat est essentiel à intégrer afin de repenser notre démarche de formation. L’intégrer c’est mettre l’expérimentation guidée et accompagnée au cœur de toutes nos formations. Une chose est sûre, pour enseigner la natation efficacement et rapidement, la matière à enseigner (la natation) ne peut pas se passer d’un traitement didactique solide et se satisfaire d’un « ressenti individuel ».

Recueilli par Adrien Cadot

Découvrez le numéro 198 de natation Magazine ici !

Pour aller plus loin, consultez l'article de Marc Begotti Cheminement de construction du « corps flottant » !

Partager la page