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Expatrié depuis le début de la saison en Australie, le sprinteur Clément Mignon fait partie de la cohorte de nageurs tricolores qui ont tenté l’aventure dans l’hémisphère sud. Une expérience en forme de pèlerinage au cœur du berceau de la natation, où la discipline reste présente dans toutes les villes et à tous les niveaux de la société. Pour tenter de comprendre ce phénomène d’expatriation sportive, nous avons sollicité l’expertise de Pascal Giraud, 53 ans, professeur d’Éducation Physique et Sportive installé à Sydney depuis douze ans. Sur cette île-continent du bout du monde, il est devenu un entraîneur respecté parfaitement au fait des us et coutumes aquatiques. Témoignage.

En atterrissant pour la première fois dans une piscine australienne, quelles ont été vos surprises ?

Souvent, ce n’est pas une piscine, mais un complexe aquatique ! Aujourd’hui encore, je suis ébahi par leur nombre, leur dimension, leur beauté et leur propreté, parce que les gens respectent ces lieux. Même dans des villes de moyenne importance, ces complexes disposent de plusieurs bassins, extérieurs et intérieurs, d’une salle de musculation et de fitness, parfois d’un spa, d’un lieu de restauration, d’un magasin de vêtements et de matériels de natation et d’une grande salle de convivialité. Certains ouvrent à six heures du matin.

Si tôt ?

Ici, le soleil se lève tôt, vers cinq heures en été pour se coucher vers 20 heures. En Australie, les gens dînent aux alentours de 18 heures. Nager tôt, c’est génétique ici et cela permet surtout d’éviter les grosses chaleurs, les orages ou le vent qui souffle dans la journée. Un jeune acceptera sans sourciller de venir s’entraîner à 6h30 avant de se rendre à l’école. Chaque grande plage dispose également de sa piscine d’eau de mer gratuite et ouverte en continue ainsi que de son club de « life saving » accueillant les enfants dès l’âge de cinq ans pour les initier au sauvetage en mer et à leur environnement parfois dangereux. Ils fonctionnent comme des clubs de sport classiques avec des compétitions extrêmement médiatisées.

(FFN/Sophie Greuil)

De quelle manière les Australiens apprennent-ils à nager ?

Quand un enfant apprend à nager, son maître-nageur est debout, dans l’eau, avec lui. Ainsi, son stress est considérablement réduit. En confiance, il apprend mieux et plus vite. D’entrée, leurs séances sont techniques. En dix semaines, un enfant maîtrise le crawl avec respiration sur le côté sur 12,50 mètres et le dos. A six ans, il est initié aux quatre nages. Alors, tranquillement, sans forcer, il peut nager deux à trois kilomètres en une heure et demie, deux à trois fois par semaine. Résultat, 70% des enfants arrivant en classe de sixième savent nager plus ou moins bien les quatre nages. Entre les écoles, il y a des rencontres de natation où chaque élève, même le moins doué, peut rapporter des points à son équipe. Ici, que ce soit en natation ou ailleurs, l’objectif n’est pas simplement d’atteindre la moyenne, mais de décrocher un 20/20.

Les méthodes australiennes semblent très différentes de ce que nous connaissons en France.

Quelque soit son niveau, un nageur travaille autant la saison en petit bassin que celle en grand bassin, avec deux semaines de break entre les deux. D’ailleurs, travailler sur les courtes distances est moins démoralisant et moins épuisant, surtout pour les jeunes. Résultat, passer de 12,50 mètres, à 25 puis 50 mètres se fait naturellement, sans heurts. Dans les piscines, il y a également un panneau devant chaque plot indiquant le niveau des pratiquants de chaque ligne d’eau. Cela est respecté au pied de la lettre, d’autant qu’il est interdit de plonger de n’importe où dans le bassin ou d’y venir avec des frites. Ainsi, les personnes âgées, très nombreuses, font leurs longueurs sans avoir peur qu’un enfant leur saute dessus. Cela permet aux écoles et au public de partager des créneaux sans difficulté. Les générations se croisent dans une ambiance très bon enfant. Et, surtout, l’attribution des lignes est modulable.

Y-a-t-il autre chose qui a pu vous surprendre en arrivant en Australie ?

Autour des bassins, on peut marcher en chaussures de ville ou de sport. L’idée, c’est de réduire le nombre de chutes possibles. Et bizarrement, le problème de verrues plantaires est presque inexistant, mais ne me demandez pas pourquoi…

(FFN/Sophie Greuil)

Que connaissiez-vous de la natation avant d’arriver à Sydney, il y a douze ans maintenant ?

Troisième dan au judo, j’entraînais au « Dojo 77 » de Melun. Après avoir été à la direction des sports de l’ex-Paris Xll (SUAPS), je suis arrivé au service des sports de l’Université de Western Sydney. Deux ans après, en 2007, je suis entré comme professeur d’EPS au Lycée International Français. Mes spécialités étaient le judo, le football et la natation. Pour entraîner en France, mes connaissances en natation étaient convenables, mais en Australie, impossible de superviser une séance sans passer des diplômes. Alors j’ai obtenu tout ce qui était nécessaire pour pouvoir exercer. Depuis un an, ce sont les entraîneurs australiens qui viennent me demander des conseils.

A quelles difficultés vous êtes-vous heurté lorsque vous avez commencé à entraîner des nageurs ?

A six heures du matin, deux fois par semaine pendant une heure et demie, j’avais douze à quinze nageurs sur deux lignes d’eau en section sportive. Majoritairement Français, les parents des élèves de ce lycée ne voulaient pas se lever. Au début, je n’avais aucun soutien. Malgré tout, j’ai pu monter une association sportive au lycée avec une section de compétition et un programme de détection de talents en primaire. Deux ans après, j’avais trop de demandes et aujourd’hui encore, ils veulent tous venir. Comme nos lignes d’eau ne sont pas extensibles, je ne peux pas aller au-delà de mes cinquante nageurs. Alors je monte un projet pour construire une piscine de 25 mètres au sein du lycée pour 2020.

Comment gérez-vous vos entraînements ?

Je fais du sur mesure avec palmes ou sans, avec des temps de repos différents en fonction de l’état de forme de chacun. Comme tout entraîneur en Australie, j’accorde plus d’importance au temps qu’à la distance. Toutes mes connaissances universitaires en préparation physique et en physio me servent autant que ma polyvalence venant de mon BE1 de natation en mer et en badminton, mon BE2 en « life saving » pour être manager au club et mon BE3 en judo. En dix ans, je suis devenu spécialiste australien de natation et de surf.

(FFN/Sophie Greuil)

Quelle est votre principale motivation ?

Voir mes élèves progresser. Quand ils arrivent avec le sourire à l’entraînement, tôt le matin, c’est ma plus grande satisfaction. Pour qu’ils puissent progresser, je dois veiller à ne pas les dégoûter, les « cramer » ou les blesser. Quant à moi, je peux additionner des heures parce que je ne suis pas épuisé, non plus.

Comment faites-vous pour ne pas être épuisé ?

Ici, je suis professeur d’éducation, de physique et de sports, les trois ! Pendant un cours, je ne passe pas mon temps à stopper les bagarres, à gérer des élèves sans tenue : ici, ça n’existe pas ! Sur un cours de 55 minutes, il y en a 45 effectives de sport. Au-delà de mes 20 heures syndicales dont 8 heures de natation, je peux en rajouter huit.

Quels sont vos moyens ?

Pour se rendre à la piscine, les élèves ont un bus à l’année. Je peux filmer mes nageurs soit avec mon IPad, soit à l’aide de six caméras sous-marines. Nous avons des budgets pour faire des compétitions en Asie-Pacifique contre d’autres lycées français. En avril 2017, mon lycée, sans piscine contrairement à ceux de Hong Kong, Singapour ou Kuala Lumpur, a terminé second. Nous sommes impatients de disposer enfin de notre équipement.

Recueilli à Sydney par Sophie Greuil

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