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Depuis six ans, ce Nantais (29 ans) est professeur d'EPS au lycée français de Vientiane, capitale du Laos. A l’occasion de la récente cinquième édition de la CAPN (Asia Pacific Swimming Competition) à Sydney, ce titulaire d’un brevet d’état de natation nous a racontés son incroyable aventure humanitaire auprès d’un peuple de six millions d’âmes ne sachant pas nager…

« Mon diplôme de professeur et maître-nageur en poche, j’ai envoyé une dizaine de curriculum vitae en Asie, région où j’avais toujours eu envie d’aller, sans trop savoir pourquoi. Région où je sentais avoir ma place, sans trop savoir pourquoi, là encore, d’ailleurs ? Alors, quand le lycée français de Vientiane (capitale du Laos) m’a répondu, j’ai foncé. En arrivant, j’ai découvert que les habitants ne savaient pas nager, qu’ils n’avaient pas de maîtres-nageurs, qu’ils n’en formaient même pas : premier grand coup dans la tête », commence Simon Vaslet.

Ses premiers pas le mènent de mauvaises surprises en drames : « Au fil de mes six premiers mois, pour aller repêcher un gamin, j’ai dû sauter trois à quatre fois plus que je n’avais sauté en cinq ans en France. Au passage, je suis aussi tombé sur un rapport mondial de l’UNESCO donnant un chiffre affolant de noyés chez les 5-6ans notamment 20% des décès, dans cette tranche d’âge, en Asie de l’est. Au Laos, en moyenne, six enfants noyés par jour. Au Vietnam, dix. Là, deuxième coup dans la tête ! Alors, ce fut le grand cas de conscience : soit, je restais un maître-nageur sur le papier en faisant le mec qui ne savait pas. Soit, je prenais mes responsabilités ».

PAR PEUR, ILS NAGENT EN LARGEUR

Dans ce pays presque oublié de l’Asie, coincé dans une péninsule entre Thaïlande, Vietnam, Chine et Birmanie, traversé dans presque toute sa longueur par le Mékong au débit capricieux, l’insouciance et l’ignorance font couler à pic des ribambelles de gamins. Et ce, même dans une eau peu profonde. Alors, dans cette attachante république démocratique populaire, poings liés à un parti unique, Simon Vaslet relève un défi humanitaire sortant de l’ordinaire : « Quand je suis arrivé au lycée français, la natation n’existait pas. De rien, nous sommes passés à dix jusqu’à quatre-vingt aujourd’hui ! Enfin, sous la bannière « Swimming Laos », notre association promouvant la natation et la formation de maîtres-nageurs, nous partons au cœur de la jungle, près de barrages hydrauliques, de leurs lacs, des méandres du fleuve pour apprendre à nager gratuitement, souvent à des enfants de paysans. A ce jour, j’ai dû apprendre à nager à 500 gamins et dû former huit maîtres-nageurs, plus six autres en cours d’apprentissage ».

Comme partout « voire plus encore » glisse le Nantais, l’argent reste le nerf de la bataille. A Vientiane, La Nuit de l’Eau permet, grâce à la vente de bonnets et de maillots, de renflouer en kips (monnaie locale) les caisses et sa motivation. Avec huit piscines dispersées dans ce pays tout en longueur, son autre surprise fut de taille : « Par peur de se noyer, les Laos ont pris l’habitude de nager dans la partie du bassin où ils ont pied et, pour limiter les risques, dans sa largeur. Résultat, aujourd’hui encore, j’ai parfois bien du mal à les faire remonter la ligne d’eau comme il faut ».

Début avril, à la cinquième édition de la CAPN (2) rassemblant douze lycées français de l’Asie et du Pacifique, Simon Vaslet est venu avec quatorze nageurs « dont 60% originaires du Laos. Parmi eux, certains n’avaient jamais nagé dans un bassin de 50 mètres. Certains n’avaient jamais vu la mer. En 2013, quand nous sommes venus pour la première fois à cette compétition rassemblant sur des sujets communs des enfants tellement géographiquement éloignés, ils étaient tous très timides, se sentaient écrasés. Ils ne criaient pas dans les tribunes, avaient peur de prendre le place dans le bassin d’échauffement, baissaient le nez quand il fallait, dans tel ou tel contexte, faire face aux autres. Aujourd’hui, ils sont fiers ».

LEUR CHANSON : « HAKUNA MATATA »

Avant l’ouverture de cette compétition annuelle scolaire, comme les onze autres équipes, le Laos devait choisir un hymne de circonstance, une chanson connue. Après une longue discussion, « Hakuna Matata » fut retenue. Mais du bout des lèvres. Puis, une victoire est arrivée : Alyssa Barbour (11 ans) sur 50 m brasse. Au moment où elle touche le mur, le Laos est muet. Au moment où elle sort de l’eau, le Laos ne se fait pas entendre. Au moment où elle s’apprête à rejoindre ses camarades en tribune, toujours le silence. Mais au moment où elle gravit les marches vers eux, ils entonnent « Hakuna Matata ».  Non loin, Simon Vaslet eut du mal à cacher son émotion.

Puis le dernier jour de la compétition, pour le relais ouvert aux entraîneurs des douze lycées, avec le drapeau du Laos autour de la taille, il en a pris le départ.  Et… l’a gagné, avec son assistant-coach formé par ses soins, apportant ainsi à son pays de cœur une deuxième victoire. Magnifiée de symboles. A cette heure, après des saisons en forme de moussons d’espoirs et de gouttes d’eau en forme de victoires, après cette compétition référence où le Laos ressort la tête haute avec sa médaille d’or et de ses six finales (3), le quitter serait un crève-cœur : « En Asie, je suis dans une bulle de paix, d’équilibre et de sérénité. En France, les gens font la gueule et se plaignent en permanence, s’embrouillent pour un rien. Ici, tout reste à faire », tacle Simon Vaslet. « Au final, même si je bosse sept jours sur sept à 200%, je suis pris dans la spirale grisante  de vouloir former toujours plus de gamins, de maîtres-nageurs. Un jour, je vais devoir partir. Mais, ce pansement sera dur à arracher. »

A Sydney,  textes et photos Sophie Greuil

(1)  Les six millions et demi d’habitants du Laos se nomment des Laotiens ou des «Laos».

(2)  L'Agence pour l’Enseignement du Français à l’Etranger (A.E.F.E.) gère 499 établissements français sur 136 pays et organise des rencontres scolaires annuelles par sport.

(3)  Vientiane a terminé neuvième devant Hanoï (Vietnam), Séoul (Corée du sud) et Djakarta (Indonésie) d’une compétition par équipes remportée par Hong Kong.

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