Après 2 minutes et 28 secondes d’un effort intense, Fanny Deberghes a bouclé le dernier 200 m brasse de sa carrière à la troisième place lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin). La brasseuse tricolore a d’ailleurs à peine eu le temps de toucher le mur de la piscine de l’Odyssée que Fantine Lesaffre, l’une de ses meilleures amies (qui a remporté cette course) s’est jetée en larmes dans ses bras. Le moment a d’ailleurs ému l’ensemble des personnes présentes pour assister à la dernière course de Fanny Deberghes. Il faut dire qu’avec 21 titres de championne de France, elle aura dominé la brasse française pendant presque dix ans et écrit une jolie page de l’histoire de la natation tricolore. D’autant qu’au-delà de sa réussite sportive, Fanny Deberghes a terminé sa carrière à son image: avec la bonne humeur, l’émotivité, l’humilité et la bienveillance qui la caractérise. Déjà tournée vers sa nouvelle vie et sa dernière année d’école de kiné, la jeune femme (27 ans) espère désormais s’épanouir de la même manière loin des bassins.
Sur le plan sportif, comment as-tu vécu les championnats de France de Chartres ?
Dans cette compétition j’avais deux objectifs qui me tenaient à coeur, même s’ils étaient complètement opposés. Évidemment, j’aurais aimé me qualifier pour les JO, mais je me suis aussi rendu compte dans la saison qu’au delà des performances, j’avais à coeur de clore ce chapitre de ma vie à ma façon. Je m’étais fait la promesse de ne pas pleurer de déception ou de regrets. Je n’ai pas pu retenir mes larmes après la finale du 200 m brasse (troisième derrière Fantine Lesaffre et Camille Dauba), mais il n’y avait pas de déception. Quand ces deux sentiments et ces deux objectifs là se chevauchent, ce n’est pas évident.
Tu n’as jamais lâché tout au long de cette semaine, à l’image de ta carrière.
Je m’étais dit que je voulais faire les choses avec le coeur, comme cela a toujours été le cas. C’est pour cette raison que je ne peux pas avoir de regrets. Si la qualification avait été au bout, tant mieux, mais ça n’a pas été le cas et je ne voulais pas rendre ce moment grave ou triste. Il ne faut pas oublier que l’année a été très difficile. Je n’ai plus 20 ans et contrairement à d’autres nageurs quisont au début de leur aventure, pour moi c’est la fin du chemin.
En plus du Covid et des reports de compétition, l’olympiade n’a pas été simple pour toi avec notamment un changement de club. Comment as-tu surmonté cela ?
J’ai quitté Montpellier il y a deux ans et ça m’est arrivée de vouloir baisser les bras. Je me demandais pourquoi je m’infligeais encore tout ça. Le départ de Montpellier a été difficile à encaisser, c’était un crève-coeur. Aujourd’hui, je remercie les gens qui m’ont accompagnée durant ces sept années là-bas et je n’ai plus de rancoeur, mais j’ai connu des moments très compliqués. Il m’a fallu six mois pour m’en remettre.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile ?
Il a fallu faire le deuil de ma vie là-bas et reconstruire des choses à Antibes. J’avais déjà 25 ans et ça m’a demandé de l’énergie de prendre mes repères dans une nouvelle ville avec un nouvel entraîneur (Franck Esposito, ndlr).
Fantine Lesaffre et Fanny Deberghes à l'issue du 200 m brasse (KMSP/Stéphane Kempinaire)
À Antibes, tu as également partagé tes entraînements avec Fantine Lesaffre. Vous avez vécu ta dernière course ensemble. C’est un joli symbole.
Je savais que cette dernière course (200 m brasse le samedi 19 juin) serait difficile émotionnellement. Fantine y était peut-être moins préparée parce qu’elle était dans sa compétition. Elle a pleuré plus que moi je pense. C’était un beau moment, parce que Fantine est une amie. Évidemment, nous étions concurrentes sur le 200 m brasse, mais ce n’est pas pareil. Elle s’est d’ailleurs excusée 250 fois d’avoir gagné (rires). Hier, ce n’était pas ça l’important. La qualification, mon meilleur temps, un record de France, pourquoi pas, mais à partir du moment où j’ai touché le mur cela sonnait la fin de ma carrière et j’étais prête à ça. La voir aussi bouleversée m’a beaucoup émue. On a un lien très fort toutes les deux. Notre amitié ne s’arrête pas à la piscine. Je lui ai d’ailleurs dit hier dans l’eau.
Charlotte Bonnet a également confié avoir eu du mal à se mettre dans son 100 m nage libre parce qu’elle voulait absolument assister à ta dernière course.
On s’entend toutes les trois très bien. En arrivant à Antibes, cela nous a beaucoup rapprochées. J’ai été très touchée par leur attention avec ce bouquet de fleurs qu’elles m’ont offert sur le podium. On est un bon trio et on s’est toujours soutenue dans les moments les plus difficiles. On a vécu les mêmes déceptions, les mêmes doutes.
Est-ce important pour toi de laisser une image comme celle-là au moment de tirer ta révérence ?
Je me suis toujours bien entendue avec beaucoup de monde. Tous les messages que j’ai reçu hier comme marque d’affection me flattent énormément. Des parents m’ont envoyé des mots pour me dire que j’étais un modèle pour leurs enfants. On ne s’en rend pas bien compte quand on nage et qu’on a la tête dans le guidon. Avec un peu de recul, je m’aperçois qu’en 2013 lors de mon premier podium, j’étais une gamine et que les filles devant moi constituaient une référence. J’en ai parlé avec Fantine d’ailleurs. Aujourd’hui c’est à notre tour d’être des modèles pour la jeune génération. On se doit d’être bienveillant, de montrer l’image d’une personne humble. C’est important pour moi. J’étais contente que l’on soit quatre sur le podium du 200 m brasse. Justine (Delmas) et Camille (Dauba) ont été des concurrentes redoutables ces dernières années et je les ai prises dans mes bras avant le podium parce que j’avais envie de leur dire que j’étais ravie de leur laisser ma place. Je suis certaine qu’elles en feront bon usage. D’ailleurs, Camille m’a écrit un message qui m’a beaucoup touchée. Un de mes plus grands regrets est de ne pas avoir battu un record de France et je souhaite à ces nageuses d’inscrire leur nom dans les tablettes.
Quelle est la première chose qui t’a traversé l’esprit lorsque tu as touché le mur à l’issue du 200 m brasse ?
C’est fini ! Ce 200 m brasse, je l’ai mené à ma façon, en partant vite. Aujourd’hui, je suis incapable d’expliquer de quelle manière j’ai procédé. Je sais que j’ai fait un premier 100 mètres assez rapide, mais ça a toujours été mon point fort. J’ai craqué à la fin. Dans la dernière longueur, j’ai vu que Fantine me passait devant. Ce dernier 50 mètres était très long et pendant ces 39 secondes, j’ai eu le temps de me dire que c’était fini. J’étais cramée et je n’ai aucun regret à avoir. J’ai touché le mur, je n’ai pas voulu enlevé tout de suite mes lunettes, je savais que c’était la fin et je n’ai pas eu le temps de regarder le tableau d’affichage que Fantine m’a sauté dessus (rires).
KMSP/Stéphane Kempinaire
Avais-tu préparé cette fin de carrière ?
Avant le confinement, j’avais déjà travaillé sur mon après carrière. Quand le confinement a été décrété et que les JO ont été reportés, ça a été difficile parce que j’étais déjà prête à tourner la page. Je savais également que j’allais être envahie par mes émotions à Chartres et j’avais travaillé là-dessus avec mon préparateur mental. Avant le 200 m brasse, Franck et Fantine m’ont pris dans les bras et quand ils m’ont dit que c’était à nous, c’était dur. On a beau être préparé, tant qu’on ne le vit pas, on ne se rend pas bien compte. Mais j’ai vécu un moment génial le samedi 19 juin.
Durant ta carrière tu as décroché 21 titres de championne de France. Te rends-tu compte de cette performance ?
Après mon 100 m brasse à Chartres, j’étais un peu déçue alors que je m’étais promis de ne pas l’être. Mais quand on est sportif de haut niveau, on veut toujours plus. J’en ai discuté ensuite avec des proches et l’un d’entre eux m’a dit que quand j’aurais fini de faire la liste des choses que je n’ai pas réussi à accomplir dans ma carrière, il faudrait quand même que je pense à tout ce que j’ai pu réaliser. Il va me falloir un peu de temps et c’est vrai que je ne réalise pas encore que j’ai décroché 21 titres durant ma carrière.
De quoi es-tu le plus fière ?
C’est trop frais encore. J’arriverai à répondre à cette question dans quelque temps. Sylvain, mon ancien entraîneur à Montpellier m’avait dit à Glasgow en 2018 qu’il faudrait que je sache ce que je souhaiterais raconter à mes enfants plus tard. Ça m’avait beaucoup marquée. J’aurais tellement de choses à leur raconter… Aujourd’hui c’est encore trop frais, mais j’ai rencontré des gens extraordinaires, j’aimerais remercier toutes les personnes que j’ai croisé durant ma carrière. J’ai partagé des souvenirs géniaux avec des gens que j’aime. Mes parents qui m’ont toujours accompagnée étaient aussi présents pour ma dernière course. Il y a 20 ans ils nous emmenaient à la piscine de Pau avec ma grande soeur pour jouer avec les frites et les tapis. Ma grande soeur me mettait d’ailleurs une raclée avec les frites (rires). Si à cette époque on nous avait dit qu’on finirait comme ça tous les quatre 20 ans plus tard, on aurait signé sans hésiter. C’était très important qu’ils soient là. Voir mon papa avec les larmes aux yeux et ma soeur, qui a un coeur de pierre, submergée par l’émotion, ce sont des images qui resteront. J’en suis fière.
Au-delà des titres, c’est l’aventure humaine qui reste aussi gravée.
Au-delà de la qualification olympique, l’objectif était de fermer cette page de cette manière. Je me suis créée des amis dans ce milieu parce que la natation c’est toute ma vie. Ce sont des moments privilégiés. Dans une carrière, il y a des succès, mais aussi des doutes, des déceptions, des obstacles à surmonter et c’est pour cette raison qu’il était important pour moi de savourer cette fin de carrière de cette manière.
KMSP/Stéphane Kempinaire
Tu mets un terme à ta carrière avec ces anneaux olympiques dessinés sur ton bras droit. Ce n’est pas rien.
Les JO, c’était un rêve de gosse. Mon père était en équipe de France. J’étais petite et un jour j’ai demandé à ma maman de me montrer ses médailles et trophées. Je ne m’attendais pas à ça. Nous sommes montées dans le grenier et il y avait quatre cartons entier. J’ai ouvert les cartons et je pense que ces images m’ont forgée dans cette quête du haut niveau. Participer aux JO de Rio, c’était très fort en émotion.
As-tu peur de ce que les anciens athlètes appellent « la petite mort » ?
J’ai une semaine bien remplie qui m’attend parce que je déménage le week-end prochain. Au-delà de ça, bien sûr que j’ai peur, c’est inévitable. On passe d’une vie où la piscine est l’élément central, à une existence où l’on a davantage de temps. Je suis partie de chez moi en septembre 2009 à 15 ans pour vivre cette vie-là. Évidemment j’ai peur de la suite, mais j’ai mis un point d’honneur à préparer l’après en intégrant une école de kiné en septembre 2016. Ça n’a pas été facile tous les jours, mais je sais que cela va m’aider. J’aurais des moments plus difficiles, mais j’ai la chance d’être bien entourée. Il y a mes parents, ma grande soeur, ma meilleure amie, mon chéri. Dans les coups durs, je pourrais compter sur eux.
De quoi sera faite ta nouvelle vie ?
Le kiné d’Antibes, avec qui je m’entends très bien et qui est aussi mon tuteur de stage, m’a dit des choses qui m’ont énormément touchée. Il m’a encouragé en me disant que je serai une kiné géniale, que je devais m’amuser. Ça m’a fait du bien parce qu’autant en natation, j’ai confiance en moi parce que j’ai de l’expérience, mais dans le milieu professionnel, c’est plus difficile.
Souhaites-tu pratiquer dans le milieu de la natation ?
Je ne sais pas encore. J’ai envie de voir plein d’autres choses. Je suis très curieuse. Quand j’étais à Montpellier je ne voulais pas effectuer mes stages dans le milieu sportif par exemple. J’avais envie d’apprendre et de découvrir autre chose. Il y a quelques mois, quand je n’avais pas envie d’aller nager, je me disais qu’il était hors de question que je travaille dans le milieu du sport et de la natation. Aujourd’hui, j’ai un discours tout autre parce que j’ai un pincement au coeur de quitter ce milieu qui m’a tellement apporté. Peut-être que j’y retournerais, je ne sais pas. Ce n’est pas forcément une priorité, mais quand je vois les anciens et notamment mon papa être au bord du bassin, je pense qu’on y revient toujours.
Que peut-on te souhaiter ?
D’être heureuse dans cette nouvelle vie parce que ça va être un apprentissage pour moi. Mon bonheur va désormais passer par autre chose que la natation et je vais devoir apprendre à vivre différemment. Je pense que j’ai toutes les clés pour y arriver grâce aux personnes qui m’entourent. J’ai énormément de chance de les avoir dans ma vie.
Recueilli à Chartres par Jonathan Cohen