Entretien avec Maxime Taffanel. L'ancien nageur de haut niveau est aujourd'hui comédien. Il a écrit et joue seul sur scène son premier spectacle, « 100 mètres papillon ». La natation y fait figure de personnage principal. A découvrir du 6 au 26 juillet au Théâtre de la Manufacture à l’occasion du festival d'Avignon.
Quel a été votre parcours de nageur ?
De la sixième à la terminale, j'ai nagé au Montpellier Université Club natation en section sportive, puis j'ai intégré l'ASPTT Montpellier pendant deux ans. J'étais un spécialiste des épreuves de sprint en papillon : les 50 et 100 mètres. Dans les catégories jeunes, j'avais un très bon niveau. J'ai terminé deux fois sur le podium des championnats de France minimes et cadets en relais 4x100m 4 nages avec l'équipe de Montpellier. J'ai décroché plusieurs victoires et une belle deuxième place au Natathlon. Je nageais le 100 m papillon en 59 secondes environ. A l'époque, je rêvais d'être dans Natation Magazine !
Comment êtes-vous venu à la comédie ?
Mes parents sont artistes : ma mère est chorégraphe et mon père danseur. J'ai toujours baigné dans l'univers artistique. Plus jeune, je prenais des cours de théâtre à côté des entraînements de natation. Ils ont pris le pas sur le sport. J'ai réussi le concours d'entrée de l'Ecole nationale supérieure d'art dramatique de Montpellier (Ensad). J'ai passé trois ans au Conservatoire, puis j'ai intégré pendant un an la Comédie française en tant qu'élève comédien. Depuis, je joue dans différents spectacles et je travaille sur des projets cinématographiques.
(D. R.)
Qu'est-ce qui vous plaît autant dans le théâtre ?
La sensation extraordinaire de liberté que l'on a sur un plateau, le fait de porter un texte qui ne vous appartient pas et qui petit à petit s'imprègne en vous. En tant qu'acteurs, nous sommes les porteurs d'une partition. Cette liberté d'être sur un plateau et le bonheur de dire la prose ou les vers des autres n’a pas de prix.
Vous avez aussi monté votre premier spectacle ?
Oui, le fait d'être dans l'eau, porté par un courant, toutes ces années de glisse m'ont tellement habité physiquement que j'ai souhaité écrire autour de la natation. Le spectacle a pris corps et a évolué avec la metteure en scène Nelly Pulicani, rencontrée à la Comédie française. Nous étions dans la même promotion. Elle m'a fait confiance et m'a aidé à monter le projet. Dans ce spectacle, je joue plusieurs personnages. Ça ne fonctionnait pas toujours. J'ai réécrit certains passages en fonction des improvisations et de ces retours. J'ai mis un an et demi à l'écrire le spectacle.
Que raconte « 100 mètres papillon » ?
C'est l'histoire de Larie, un jeune nageur qui découvre le haut niveau. Le spectacle évoque la glisse, son rapport à l'eau à travers les compétitions, les rituels, les heures d'entraînements. Larie aimerait être aussi talentueux que Michael Phelps, mais à un moment, « le courant » n'agit plus. Petit à petit, les doutes et les remises en question arrivent. Ce sont des choses que vivent tous les nageurs. Démarre alors un questionnement pour lui. Il a un rapport très charnel à l'élément aquatique pendant le spectacle. Il en vient même à parler à l'eau. C'est le cas dans le prologue. Ça peut paraître déconcertant, mais on ne sait pas alors s'il parle à une femme ou à l'eau.
(D. R.)
« 100 m papillon » est une épreuve physique sur scène ?
Oui, cette course a donné son nom au spectacle puisque je joue vraiment un 100 mètres papillon. Dans la pièce, Larie gagne cette épreuve lors des championnats de France. Je joue la course, je suis en maillot, bonnet, combinaison et lunettes. Je raconte aussi l'ambiance dans la chambre d'appel, la phase d'intimidation des nageurs. Je fais la coulée, les virages. Il y a aussi beaucoup de bruitages. Il fallait ensuite réussir aussi à transmettre le malaise de Larie qui s'installe, cette mauvaise glisse en quelque sorte. Là était le défi du spectacle. Sur scène, j'utilise le texte, le corps et la danse. Ce jeu peut être assimilé à une partition de musique. Les mouvements très précis du papillon finissent par être répétés, répétés, jusqu'à devenir de la danse, du krump pour être exact. Les gestes se transforment en quelque chose de monstrueux. Cette danse me permet de faire ressentir tout le malaise. On n'est plus avec la glisse à ce moment-là. C'est exactement ce que je ressentais à la fin de mes jeunes années de nageur. J'étais très fort jeune et petit à petit, j'avais beau continuer à m'entraîner dur, quelque chose s'était perdu. Je me focalisais sur les temps, ça a perturbé ma nage. J'ai perdu la notion de glisse. J'avais l'impression de devoir me battre, d'affronter le temps, je ne nageais plus par plaisir. J'étais devenu mutique sur les plots. Pour toutes ces raisons, le spectacle est très physique. C'est assez drôle d'ailleurs, puisqu'à la fin, je suis en nage, transpirant. Certains spectateurs m'ont raconté percevoir ça comme la présence physique de l'eau des bassins.
Qu'est-ce qui vous a inspiré ?
Les spectateurs ont la sensation que je raconte mon histoire, mais c'est celle de mon personnage. J'ai embelli l'histoire et je l'ai rendu plus forte dramaturgiquement en lui faisant gagner le championnat de France minime. Mon histoire est moins violente, moins triste… Le rapport aux courses, les commentateurs, les coaches, les nageurs que j'imite, tout est fictionnel. Surtout, je ne règle aucun compte dans le spectacle. Les seules choses réelles qui m'ont inspiré, ce sont mes sensations dans l'eau. Plus jeune, petit à petit, je ne me suis plus senti à l'aise, ça ne me parlait plus de rester des heures et des heures dans un bassin. En terminale, un entraîneur m'a réconcilié avec l'eau. Il m'a réappris à souffler, à aborder les compétitions, les entraînements d'une autre manière. Ça a bouleversé ma nage et ramené le plaisir. Cette notion est importante dans le spectacle. Tous les moments où Larie glisse seul, le personnage est heureux de nager. C'est aussi une manière de dire merci à cet entraîneur.
(D. R.)
Le spectacle connaît d'excellents début. Tout a été très vite ?
Oui, c'est un accomplissement incroyable ! J'ai terminé l'écriture fin 2017 et les premiers extraits ont été présentés en janvier 2018. Le spectacle a été joué plusieurs fois. Je serai du 6 au 26 juillet au Théâtre de la Manufacture pendant le festival d'Avignon. C'était un sacré risque au départ. J'avais peur d'être jugé dans l'écriture ou qu'on me dise que la natation n'était pas un sujet intéressant, qu'il soit réservé aux sportifs. Sur scène, il y a un rapport au rythme important. La culbute, le crawl, ce sont comme des musiques ou une partition interprétée par les nageurs. En exprimant mes sensations, j'ai essayé de poétise ce sport. Ça donne une dimension plus universelle au spectacle. Il ne touche pas que les nageurs.
En retour, « 100 mètres papillon » a-t-il eu des effets sur votre nage ?
Oui, c'est drôle, je retrouve le plaisir de renouer avec des sensations oubliées. Etonnamment plus je joue le spectacle, plus tout est simple et facile quand je nage. Jeune, je mangeais des kilomètres pour être performant. Aujourd'hui, j'ai du plaisir à ne pas compter ce que je fais. Avant, je me disais « là j'ai fait une série de 4 km, j'ai vraiment nagé. Maintenant, je fais 25 ou 50 mètres, je me pose, je regarde autour de moi, puis je repars. Ça m'arrive de ne faire qu'un kilomètre. La distance devient secondaire. Seule, la glisse importe.
Recueilli par Céline Diais
Retrouvez les prochaines dates du spectacle : https://www.collectifcolette.fr/spectacles/cent-m%C3%A8tres-papillon/