En moins d’un an, le sport français a remporté un incroyable triplé : l’obtention des Jeux Olympiques à Paris en 2024, l’organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et le sacre mondial de l’équipe de France de football, en Russie. Pourtant, une lettre de cadrage adressé le 26 juillet par Matignon au ministère des Sports et demandant d’« appliquer un schéma d’emplois de moins 1 600 équivalents temps plein au cours de la période 2018-2022 » a mis le feu aux poudres. Au point de faire réagir plusieurs DTN, à commencer par Julien Issoulié qui occupe la fonction au sein de la Fédération Française de Natation depuis septembre 2017.
Avant toute chose, un point technique s’impose : qu’est-ce qu’un CTS ?
Le CTS est un « conseiller technique sportif ». Les CTS représentent pour les fédérations une richesse qui repose sur leur expertise technique, reconnue et incontournable, mais également, quel que soit le type de fédération, sur le fait qu’ils sont porteurs et garants des valeurs de l’Etat. Il est important de rappeler qu’il existe plusieurs profils de conseillers techniques sportifs. Il y a d’abord ceux qui sont concentrés sur la performance, ceux qui assument des missions d’encadrement au niveau national et régional, mais aussi ceux qui sont focalisés sur le développement et qui sont les référents des clubs sur le plan technique.
Même si plusieurs messages d’apaisement ont été adressés au monde du sport, la polémique perdure. Expliquez-nous dans quelle mesure cette lettre de cadrage a pu créer des tensions.
Chaque année, Bercy indique à chaque ministère les budgets alloués et le nombre de postes attribués. Aux Sports, il y a 3 200 personnes environ. Or, Bercy a annoncé dans cette fameuse lettre de cadrage du 26 juillet qu’il « fallait » en supprimer 1 600. Soit on se dit que cela concerne uniquement les fédérations parce qu’il y a 1 600 cadres dans l’ensemble des instances fédérales, soit c’est 1 600 cadres à répartir entre les CTS et ceux dans les directions régionales, les CREPS l’administration centrale du ministère… Malheureusement, il n’y a pas eu de décisions.
C’est, en effet, un peu flou.
Il faut savoir, par ailleurs, que cette lettre de cadrage a été adressée parallèlement aux discussions menées sur la réforme de la gouvernance du sport français. A mon sens, le contexte n’était pas idéal car il y a actuellement une profonde réflexion pour définir un projet commun. Voilà pourquoi depuis plusieurs semaines tout le monde se fait des nœuds dans la tête sans trop savoir de quoi il en retourne exactement…
(FFN/Philippe Pongenty)
N’y-a-t-il pas moyen de demander des éclaircissements à Matignon ?
Il y a un bureau d’association des DTN dont je fais partie et il y a eu des échanges avec Matignon et l’Elysée pour demander des explications. Il s’agissait de savoir et de comprendre pourquoi une telle annonce avait été faite à six ans des Jeux Olympiques de Paris. Il n’y a aucun doute que l’ensemble du sport français est ambitieux et souhaite travailler pour réaliser des « grands » Jeux à Paris. La même annonce en septembre 2024 n’aurait pas eu le même impact. On aurait vécu les Jeux avant de passer à autre chose. Ça aurait semblé plus naturel, mais là, franchement, il n’y a aucune logique. Nous attendons maintenant de savoir quel sera le rôle de l’Etat avec une nouvelle ministre (Roxana Maracineanu) qui arrive et se retrouve au milieu de ce chantier.
Vous parlez de « profonde réflexion » au sein du sport français. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
Actuellement, de nombreux courants s’opposent alors que les Jeux se profilent à l’horizon. Quelle décision prendre : faut-il rénover le sport ? Construire un modèle à l’Anglaise avec une agence ? Sur ce point, je ne suis pas certain que ce soit reproductible chez nous parce qu’en Angleterre, ils ont professionnalisé toutes les fédérations. En France, et compte-tenu du délai de six années dont nous disposons, ce serait nettement plus délicat.
Toujours dans cette réflexion, comment l’Etat et les Fédérations pourraient mieux coopérer ?
Il y a plusieurs possibilités ! Dans le cas des conseillers techniques sportifs, nous pourrions peut-être envisager de changer la façon dont nous les manageons. Un cadre technique en région est partagé entre son patron, le Directeur régional pour qui il travaille le plus, le président de ligue et le DTN, qui donne les directives. C’est un peu schizophrénique comme situation. Je pense que l’on peut imaginer un autre pilotage des agents de l’Etat dans le sport français. Il y a quand même des gens bien formés qui ont de l’expérience et qui connaissent notre système. Ces cadres peuvent aussi, au fil de leur carrière, apporter leur travail à différentes fédérations ou institutions et de ce fait capitaliser ces expériences au profit de l’ensemble du paysage sportif français.
De quelle manière les cadres de la natation ont-ils réagi face à cette polémique ?
J’ai personnellement envoyé un mail aux 77 cadres techniques de la Fédération Française de Natation pour les rassurer. Certains étaient inquiets. Avec le président Gilles Sézionale, nous avons, par ailleurs, rencontré la ministre pour évoquer le sujet. Roxana Maracineanu a tenu à nous rassurer. Elle arrive, ce n’est pas évident pour elle. C’est toujours bien d’avoir quelqu’un de son sport à un tel poste. Même si nous n’allons pas la contacter tous les jours, je crois que c’est important de pouvoir lui faire part de nos convictions et de nos idées en toute confiance.
Recueilli par A. C. (avec J. C.)