Dans la vie, ne pas être trisomique vous plonge à jamais dans le monde dit « des ordinaires ». A un chromosome près en plus, un destin bascule. Mais, heureusement, tout corps plongé dans un liquide peut se révéler, à l’image du Niçois Raphaël Dutay, nageur sortant de l’ordinaire. Du 20 au 26 juillet prochain, le champion d’Europe du 50 m brasse (27 ans) sera l’un de ses six nageurs de l’équipe de France de sport adapté engagée aux championnats du monde de Truro (Nouvelle-Ecosse, Canada).
Au premier coup d’œil, ce nageur paraît différent. D’abord, il ne fait absolument pas son âge (27 ans). D’ailleurs, son entourage, composé essentiellement de femmes (sa maman, sa marraine-entraîneur, son entraîneur et sa fiancée-nageuse), voit en lui « un grand adolescent ». Ensuite, ses grands yeux bleus semblent venus d’ailleurs, comme pêchés à l’homme de l’Atlantide. Enfin, les consignes de son entraîneur Marybel Moron (45 ans) à peine lancées que, déjà, il entame sa première coulée. « Quel que soit l’exercice, il veut toujours faire la course », s’amuse cette ancienne dossiste venue du Poitou au Piol, mythique grand bain niçois. De bout en bout, tout au long de ses cinq séances hebdomadaires d’entraînement, Raphaël Dutay, réputé « assez têtu », veut être le premier.
Raphaël Dutay à l'entraînement avec ses partenaires de l'Olympic Nice Natation (FFN/Sophie Greuil).
Au second coup d’œil, ce nageur confirme vraiment ne pas être comme les autres. Avant de mettre son bonnet bleu sur son enthousiasme débordant, il est le seul nageur de l’Olympique Nice Natation à préciser : « O.N.N. veut dire que nous sommes le meilleur club de natation d’Europe ». Puis, à la seconde près, il se plie à un échauffement et des pompes au pied de la lettre. Alors, même s’il souffre sur la minute de gainage, même s’il en surligne sa dureté entre deux temps morts, il ne grimace pas. Parfois, comme il est athlète de haut niveau depuis seulement huit mois, apprendre à se faire mal lui donne encore du fil à retordre. « Mes bons résultats me montrent que je dois accepter de souffrir. Je sais que ça finira par payer… », avance-t-il avec optimisme. Puis, avant d’aller à l’eau, Raphaël Dutay précise être un grand fan de « Charlotte Bonnet. Quand je ne m’entraîne pas, j’aime bien regarder des vidéos pour observer le style de chacun. Entre Phelps et elle, je préfère vraiment regarder Charlotte ».
Raphaël Dutay sur sa nage de prédilection : la brasse (FFN/Sophie Greuil).
Au troisième coup d’œil, ce nageur s’affirme sortant de l’ordinaire. A huit mois, petite crevette accrochée sur le ventre de sa maman comme un bébé koala, il pique des têtes dans les vasques laissées à marée basse à l’Ile d’Oléron. Sept ans plu tard, le chronomètre de sa maman professeur de sports le pousse à des apnées de plus en plus longues. Stimulé en permanence, Raphaël Dutay devient un redoutable compétiteur : « Dans l’eau, je suis vraiment dans mon élément. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais c’est l’endroit où je me sens le mieux ». Sa maman, Mickaele (57 ans), confirme sans l’ombre d’une hésitation : « Dans l’eau, il est sur son petit nuage. Il oublie tous ses soucis. »
Raphaël Dutay écoute les consignes de son entraîneur Marybel Moron (FFN/Sophie Greuil).
A 23 ans, Raphaël Dutay démarre donc vraiment la natation sérieusement. Très vite repéré « brut de décoffrage », il intègre l’équipe de France de sport adapté, arbore fièrement les équipements offerts par Clément Lefert (champion olympique sur 4x100 m en 2012) et ambitionne de « devenir complet en maîtrisant les quatre nages ». Reste qu’il se révèle en maître brasseur. Même si ses derniers chronos de juin aux championnats de France ne sont pas folichons, il veut les oublier, garder en tête ceux des Régionaux en avril dernier (50 m brasse en 43’’91 ; 100 m brasse en 1’42’’17 et 200 m brasse en 3’42’’10), et se projeter avec ambition sur les championnats du monde canadien en visant « au moins une médaille en brasse ». L’an dernier, aux championnats d’Europe à Bobigny (France), son or sur 50 m brasse fut fondu en 42’’33, son argent sur 200 m brasse en 3’32’’31 et son bronze sur 100 m brasse en 1’38’’78.
Après son titre continental décroché l'an passé sur 50 m brasse, Raphaël Dutay entend s'illustrer sur la scène mondiale lors du rendez-vous canadien de Truro (20-26 juillet) (FFN/Sophie Greuil).
Au fil des saisons, Raphaël Dutay fait donc sa mue, bougonne désormais quand on l’appelle « Raphy », le surnom ayant bercé son enfance. Aujourd’hui, il s’identifie à son nouveau modèle, le joueur de tennis Rafaël Nadal. Depuis, il signe son prénom, lui aussi, avec un « f ». A Nice, où sa notoriété pointe le bout de son nez, ce grand fan du PSG signe ses premiers autographes avec un « DR » entremêlés. Au fil de l’eau, Rafaël Dutay prouve qu’un handicap n’arrête pas une volonté ou une passion. Les deux, encore moins ! Jusqu’à faire un nageur, un champion à part entière, sortant de l’ordinaire.
A Nice, Sophie Greuil