Stéphane Lecat, Directeur de l’eau libre, nous présente son projet sportif pour l’année 2020. A cette occasion, il revient sur la planification de la préparation des qualifiés pour les Jeux de Tokyo, sur les critères de sélections aux différentes compétitions internationales ainsi que sur l’accompagnement des équipes de France, des entraîneurs et des nageurs, particulièrement renforcé cette année pour les catégories juniors.
Pouvez-vous nous présenter les principaux enjeux sportifs qui attendent l’équipe de France d’eau libre en 2020 ?
L’objectif majeur est clairement identifié, ce sont les Jeux olympiques de Tokyo, début août, avec nos trois nageurs qualifiés : Lara Grangeon (CN Calédoniens) chez les dames, Marc-Antoine Olivier (Denain Natation Porte du Hainaut) et David Aubry (Montpellier Métropole Natation) chez les messieurs. Nous aurons également à cœur d’accompagner les nageurs non qualifiés pour les Jeux de Tokyo, notamment pour performer aux championnats d’Europe en Hongrie (20-24 mai) et sur des épreuves de coupe du monde ainsi que nos juniors à fort potentiel, et ce dans la perspective de Paris 2024. Nous avons aujourd’hui un collectif très fort en équipe de France eau libre avec des nageurs, des nageuses et des entraîneurs de grande qualité. Il est indispensable de les accompagner afin qu’ils puissent tous optimiser leurs compétences.
Stéphane Lecat (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Comment va s’articuler la saison pour les nageurs qualifiés aux Jeux ?
Dans la lignée de la saison passée, la préparation sera individualisée et spécifique pour chaque nageur, même s’il y aura évidemment des regroupements sur certains stages et certaines compétitions. Le projet de Marc-Antoine est focalisé uniquement sur l’eau libre. Nous avons établi un programme de courses bien identifiées avec les championnats du Brésil, des étapes de coupe du monde au Qatar, aux Seychelles, dans des environnements chauds et humides similaires à ceux que nous connaîtrons à Tokyo. Sur ces différentes compétitions, en plus de se frotter à la concurrence internationale, nous pouvons tester différentes stratégies physio et d’adaptation à la chaleur, différentes approches tactiques. Lara aura une préparation similaire, mais ces trois derniers mois, elle a surtout effectué un gros travail foncier avec, en point d’orgue, un stage de trois semaines en Sierra-Nevada dans un groupe d’entraînement où elle était entourée de nageuse de très haut niveau mondial en demi-fond. Depuis, elle poursuit un important travail de préparation physique au quotidien à Rouen. Les championnats de France petit bassin d’Angers seront un premier bilan d’étape pour elle. David a, quant à lui, un double projet pour les Jeux de Tokyo, avec des ambitions élevées sur 800 et 1 500 m nage libre en bassin comme sur le 10 km en eau libre. Avec Philippe Lucas, il a été décidé que David nagerait davantage en bassin, discipline où il excelle particulièrement ces derniers mois, mais sa préparation passera tout de même par les étapes de coupe du monde de Doha et des Seychelles ainsi que par les championnats de France eau libre (12-15 juin, Saint-Raphaël). De toute façon, l’expérience montre que plus il sera capable d’élever son niveau en bassin, plus il sera performant en eau libre, et vice-versa. Philippe a une grande expertise pour manager ses nageurs sur les deux tableaux. Enfin, dans la continuité des saisons passées, nos trois nageurs qualifiés à Tokyo bénéficient de l’accompagnement d’un staff riche de compétences dans les différents facteurs de la performance : au niveau médical (Jean-Loup Bouchard), paramédical (Fabien Horth, Marion Bril), physio et récupération (Anaël Aubry, Robin Pla), analyses techniques (Frédéric Barale), préparation mentale (Emilie Pelosse). Ces personnes identifiées de longue date connaissent parfaitement les athlètes en leur proposant un suivi régulier depuis maintenant plusieurs saisons.
Lara Grangeon (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Quelle place occuperont les championnats d’Europe en Hongrie dans cette saison olympique ?
A priori, Lara, qui privilégiera un stage dans un environnement chaud à cette période, et David, qui priorisera le bassin, ne disputeront pas les championnats d’Europe d’eau libre. Marc-Antoine devrait s’aligner à minima sur le 10 km, ce sera l’occasion d’une nouvelle confrontation internationale relevée, une bonne répétition, même si l’environnement froid et le probable port de la combinaison néoprène offriront des conditions de compétition assez éloignées de celles de Tokyo. Pour les autres nageurs, il s’agira du grand objectif de la saison. Nous avons mis en place un système de qualification similaire aux années précédentes avec un temps de pré-qualification requis en petit bassin ou en grand bassin sur 1 500, 800 ou 400 m nage libre à réaliser avant l’étape de coupe du monde qualificative à Doha (Qatar, 15 février) pour les épreuves du 5 km et du 10 km, puis la Coupe d’Europe d’Eilat (Israël, 8 mars), qualificative pour le 25 km. Des aménagements aux critères de qualification ont été proposés pour Logan Fontaine (5 km), Aurélie Muller (5 km), Lisa Pou (25 km) et Axel Reymond (25 km) sur la base de leurs excellents résultats aux championnats du monde 2019. Avec trois places par nation par épreuve, nous pouvions nous le permettre sans compromettre, par ailleurs, les chances de qualification de nouveaux nageurs. L’exigence concernant les temps de pré-qualification demeure élevée, dans la logique de nos observations, confirmées lors des derniers championnats du monde : les meilleurs nageurs mondiaux en eau libre sont également parmi les plus rapides sur les épreuves de demi-fond en bassin. Nous espérons que de nouveaux nageurs parviendront à réaliser ces critères et à se qualifier pour les championnats d’Europe afin qu’ils démontrent à leur tour leur capacité à aller chercher des podiums internationaux. Par ailleurs, les nageurs qualifiés pour cette compétition et qui ne participeront pas aux Jeux olympiques se verront proposer une participation sur une étape de coupe du monde au Canada en juillet, de façon à poursuivre l’optimisation de leur projet sportif dans la perspective de l’olympiade suivante.
David Aubry (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Chez les juniors, les critères de qualification aux championnats d’Europe (juillet 2020) ont, en revanche, été totalement revus. Pouvez-vous nous expliquer cette nouvelle philosophie ?
Cela faisait longtemps que le système de qualification était calqué sur celui des séniors, avec l’obligation de réaliser un temps de pré-qualification en bassin. En conséquence, et plusieurs entraîneurs le déploraient, notre équipe de France juniors était souvent incomplète en grande compétition, contrairement aux autres nations majeures, ce qui nous pénalisait non seulement au classement des nations, mais aussi en termes de prise d’expérience pour nos jeunes nageurs. En tant que Directeur de la discipline, il faut savoir faire preuve d’écoute et de confiance. J’ai donc pris la décision qu’en 2020 les trois premiers aux championnats de France de chaque catégorie junior seraient qualifiés aux championnats d’Europe juniors, et ce sans critères chronométriques préalables. En contrepartie, j’ai pensé nécessaire la mise en place d’un suivi qui nous permette d’optimiser nos connaissances chez nos nageurs et nos entraîneurs. Avec l’apport notamment de Frédéric Barale et de Robin Pla du service optimisation de la performance à la FFN, nous avons donc conçu un système d’évaluation régulière pour les nageurs ayant pour projet de se qualifier aux championnats d’Europe juniors. Un système pouvant s’insérer facilement dans les programmes d’entraînement. Les informations recueillies seront traitées et rendues public à l’ensemble des entraîneurs impliqués dans ce projet afin d’identifier et d’analyser collectivement nos points forts et nos points à améliorer. C’est un mode de fonctionnement novateur, ouvert à tous, qui enclenche une dynamique commune vers la performance, à travers l’échange et le questionnement, entre les entraîneurs, les nageurs et les analystes. Le maître mot est le « partage ». Le partage de la connaissance et de la confiance entre les entraîneurs et la DTN. J’espère ainsi certaines prises de conscience sur les programmes à mettre en place en vue des échéances internationales juniors pour y être performant. Pour les championnats du monde juniors (août 2020), l’exigence pour la qualification est ainsi revue à la hausse : terminer dans les six premiers aux championnats d’Europe juniors.
Marc-Antoine Olivier (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Vous soulignez l’importance de l’accompagnement fédéral pour les seniors comme pour les juniors. Avez-vous le sentiment que les structures d’entraînement sont suffisamment accompagnées, à la fois pour la formation de jeunes nageurs et pour l’accès au plus haut niveau en eau libre ?
Aujourd’hui, les nageurs et les entraîneurs sont plutôt bien accompagnés, même si l’on peut toujours faire mieux. Mais ce qui prime avant tout, c’est le projet conjoint de l’entraîneur et de l’athlète, que la FFN peut accompagner dans le cadre du projet sportif, avec les déplacements sur les compétitions internationales, la constitution de staffs compétents, la mise en place de suivis scientifiques, tout ce que j’ai décrit précédemment. La solution n’est donc pas d’abord financière, elle réside avant tout dans la cohérence du projet, le modèle sur lequel on veut s’appuyer pour atteindre l’objectif. « La vérité se trouve dans le bassin, pas chez le banquier », disait John Fitz, entendant par-là que le niveau de performance n’est pas corrélé au montant des dépenses dédiées à un athlète ou à une structure. L’Italie a un budget fédéral deux fois plus important que le nôtre pour l’eau libre. Pourtant, c’est bien nous qui avons soulevé le trophée de meilleure nation mondiale aux derniers championnats du monde. Je ne dis pas que je ne veux pas de ce budget, je dis que je ne garantis pas que nous serions meilleur avec. L’important, je le répète, c’est ce que fait le nageur au quotidien avec l’entraîneur qui l’accompagne, dans la franchise et l’exigence du haut niveau.
Recueilli par F. L.