Depuis qu’il a mis un terme à sa carrière, il y a cinq ans déjà, Alain Bernard, champion olympique 2008 du 100 m nage libre est devenu un ambassadeur de luxe de la natation française. Jamais loin des bassins, l’ancien sprinteur garde un œil attentif sur les performances de la relève tricolore.
Faute d’avoir rempli les critères de qualification aux championnats de France de Strasbourg (mai 2017), Jordan Pothain, Damien Joly, Clément Mignon et Marie Wattel n’ont pas pris part, cet été, aux Mondiaux de Budapest. Est-ce problématique pour la suite de leur carrière ?
Il faut d’abord comprendre que pour un athlète, cela peut être perturbant. Cela réveille forcément un sentiment d’échec qu’il faut apprendre à gérer. Cependant, et il me semble que c’est le cas de Damien et Marie, ils ont eu la possibilité de nager avec l’équipe de France A’ à l’US Open. Ce n’était peut-être pas les championnats du monde, mais cela leur a permis d’avoir un objectif en fin de saison. Ils ne se sont certainement pas mis autant de pression que pour les Mondiaux, mais quand même, ils ont pris part à une compétition de dimension internationale.
Il est intéressant de noter que Jordan et Clément ont opté, de leur côté, pour un été sans compétition. N’est-ce pas risqué ?
Damien et Marie avaient sans doute besoin de se confronter alors que Clément, par exemple, en a profité pour changer de structure d’entraînement en partant en Australie. A titre personnel, je n’ai jamais été dans leur situation, même si je n’en suis pas passé loin en 2011. Je m’étais malgré tout qualifié sur le 50 m nage libre des championnats du monde de Shanghai. Sans cela, très honnêtement, je ne sais pas si j’aurais eu le courage de reprendre l’entraînement pour préparer une autre compétition estivale.
Que l’on se confronte ou pas, on a le sentiment que cette période est propice à l’introspection.
Oui, il me semble que ce genre de situation doit permettre de prendre du recul sur sa pratique et ses objectifs. Là-aussi, tout dépend du caractère des uns et des autres, mais je crois sincèrement que c’est l’occasion d’amorcer une nouvelle dynamique.
Alain Bernard avec Fabrice Pellerin aux Jeux Olympiques de Rio. (Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire)
Qu’entends-tu par-là ?
Les nageurs s’inscrivent dans des schémas de préparation très précis, où tout se joue parfois à deux ou trois jours près. De fait, ce rythme devient forcément épuisant, tant physiquement que nerveusement, car chaque année, ce n’est pas un, mais quatre rendez-vous pour lesquels il faut se montrer performant. Il y a les championnats nationaux en grand et petit bassin, eux-mêmes qualificatifs pour des échéances internationales. Dans ces conditions, un petit accident de parcours peut vite arriver. Un accident qui n’a parfois rien à voir avec les capacités sportives des athlètes, mais qui n’en demeure pas moins frustrant. A eux, maintenant, de trouver les ressources pour rebondir et de ne surtout pas sombrer dans une spirale négative.
Cette non-qualification, qu’on lui trouve une raison ou non, reste malgré tout un échec.
C’est certain ! Pour autant, il n’y a pas de honte à échouer. A mon sens, on progresse davantage après un échec qu’à l’issue d’un succès. Mais c’est très français de se focaliser sur une contre-performance. Toutefois, ce n’est pas parce qu’on a échoué que tout ce que l’on a mis en place doit être modifié. J’espère qu’ils ont profité de leur été pour s’interroger sur leurs performances aux championnats de France de Strasbourg afin de comprendre ce qui n’a pas été, mais aussi tout ce qui a bien fonctionné !
D’où l’importance, on l’imagine, d’être bien entouré. La relation entraîneur-entraîné prend-t-elle tout son sens dans pareille période ?
Il est primordial de parler lorsqu’on traverse une période de doutes. Les mots réconfortent, d’autant plus s’ils sont échangés avec une personne de confiance. D’une certaine manière, cela permet de gagner en lucidité et de ne pas se focaliser sur ses problèmes.
Alain Bernard avec le judoka Teddy Riner et Bernard Amsalem. (Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire)
La fédération a-t-elle un rôle à jouer dans ces moments-là ?
Honnêtement, je ne vois pas trop ce que la fédération peut faire de plus qu’autoriser ces nageurs à participer aux compétitions réservées à l’équipe de France A’. Le reste, à commencer par l’analyse de ce qui n’a pas fonctionné et la projection sur de nouvelles modalités d’entraînement, n’appartient qu’à l’entraîneur et au nageur. De leur capacité à dépasser ensemble cette période d’incertitudes dépend aussi l’avenir de leur collaboration.
Ne peut-on pas imaginer une intervention des « anciens » de l’équipe de France auprès des jeunes nageurs confrontés à ce genre de difficultés ?
Il me semble, en effet, capital de conserver une proximité entre les différentes générations de nageurs. Cependant, il faut que les relations naissent spontanément. Cela ne peut être imposé. Il est impératif que cela parte d’une demande, d’un besoin, sinon, je ne vois pas comment ce type d’échanges pourrait fonctionner. Reste que, et j’insiste sur ce point, nous ne réagissons pas tous de la même manière. Certains n’hésitent pas à se confier tandis que d’autres auront tendance à se replier sur eux-mêmes. A titre personnel, j’ai toujours eu besoin de parler. Je me rappelle d’ailleurs qu’aux championnats d’Europe de Budapest en 2006, j’avais été voir Laure (Manaudou) pour lui demander comment elle réussissait à enchaîner autant de courses.
Que t’avait-elle répondu ?
Qu’elle était simplement heureuse de se retrouver sur le plot de départ et de nager. Sa réponse m’a marqué. Elle avait raison. Si je n’avais pas posé la question, j’aurais pu tergiverser pendant des années avant d’arriver probablement à la même conclusion.
Recueilli par Adrien Cadot