Alain Bernard, double champion olympique (100 et 4x100 m nage libre), appartient à la légende du sport français. Si le destin ne tient pas à grand-chose, celui du grand blond tient à onze centièmes de seconde. Ces onze centièmes qui vous font basculer de l’anonymat des bassins aux sollicitations médiatiques et à la notoriété. Pourtant, rien ne le prédestinait à une telle carrière, ni ses parents qui l’inscrivent à la natation dès six ans par peur de le voir se noyer, ni ses capacités naturelles de nageur. Devenir le meilleur, se différencier des autres par le sport pour faire face au harcèlement dont il a été victime à l’adolescence, c’est ce qui a motivé Alain pour vaincre sa timidité et ses complexes liés à sa taille et à sa minceur. Touché par la perte de ses camarades lors du tournage d’une émission de téléréalité et d’aventure (Dropped), il partage dans son autobiographie ses valeurs – le courage, le respect, la combativité – qu’il continue de véhiculer aujourd’hui. En collaboration avec l’auteur (Antoine Grynbaum) et la maison d’édition (Talent Editions), nous vous proposons de découvrir dès à présent les bonnes feuilles de l’autobiographie attendue du plus grand sprinteur de la natation tricolore.
DROPPED, LE DRAME
« À Ushuaia, mon équipe et moi étions partis les premiers. Ce jour-là, c’était donc à l’équipe adversaire d’ouvrir la voie. À quoi peut tenir une existence ? Pourquoi eux et pas moi ? Le traumatisme, l’injustice, le destin, la chance… Il y avait deux hélicos : l’un avec l’équipe de Florence (Arthaud), Alexis (Vastine) et Camille (Muffat), l’autre avec les journalistes et le caméraman. À terre, nous avons observé le premier hélicoptère décoller, puis faire quelques ronds dans le ciel, au-dessus du deuxième hélicoptère toujours au sol, sûrement pour faire des prises de vue… Puis ce fut au tour de l’hélicoptère de nos concurrents de décoller. Je ne sais pas pourquoi, je me suis retourné, je les ai perdus de vue. Peut-être deux ou trois minutes après leur départ, nous avons entendu un énorme bruit, un gros claquement. Surprise, incompréhension, quelques secondes de flottement. À terre, nous nous observons, sans voix. Puis nous voyons de la fumée au loin, à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau… Les membres de la production, mes coéquipiers et moi, nous avons sauté dans les voitures disponibles, la boule au ventre. Il nous a fallu quelques secondes pour arriver sur les lieux. Et ce que nous avons trouvé ne prêtait à aucune équivoque : une carcasse d’hélicoptère au milieu de la végétation, des parties de la carlingue calcinée, des flammes… Une image de chaos. Nous sommes sortis des voitures, hébétés. Nous avons observé les alentours, pour voir si des passagers auraient pu être éjectés dans le crash… Malheureusement rien… Nous nous sommes raccrochés à un mince espoir, en vain. Nous étions effondrés, mais il a fallu faire bonne figure et parer au plus pressé. Prévenir nos familles que nous étions en vie avant que la terrible nouvelle ne fasse la une en France. Et puis ce fut un appel déchirant au frère d’Alexis Vastine pour lui annoncer la terrible nouvelle. Nous voulions le faire avant qu’il ne l’apprenne par les médias. Nous sommes restés enfermés à l’hôtel quatre jours pour les besoins de l’enquête. Une juge argentine et de nombreux enquêteurs n’ont pas tardé à débarquer. Ce furent des jours éprouvants entre les interrogatoires et la pression de la centaine de journalistes et de paparazzis autour de l’hôtel, certains cachés dans les arbres. Camille Muffat était l’une de celles que je connaissais le mieux. Elle venait de prendre sa retraite sportive. Elle était hyper épanouie, à fond dans l’émission, très décontractée et rieuse. Elle avait prévu de prendre du bon temps après une carrière bien remplie et se laisser le temps de voyager, de profiter des moments les plus agréables de la vie, parfois incompatibles avec nos objectifs sportifs. Un repas qui peut finir un peu plus tard, un week-end de trois jours, des rencontres, du temps pour assouvir ses passions... Elle avait soif de vivre. »
Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire
PEKIN 2008, DANS LES COULISSES DE LA FINALE DU 100 M NAGE LIBRE
« En sortant de l’échauffement (20 minutes dans l’eau), juste avant de rentrer dans la chambre d’appel, Denis Auguin (son entraîneur au CN Antibes) m’a pris à part. En perfectionniste, il avait longuement analysé la dernière course de mon principal adversaire, Eamon Sullivan. Sûr de son fait, il m’a dit : « Sur les 25 derniers mètres, tu es meilleur que lui. Tu peux être deux à trois dixièmes plus rapide sur la dernière ligne droite. Si tu passes aux 75 mètres sans avoir consommé toute ton énergie, tu as toutes les chances de toucher avant lui. Ne sois pas crispé sur les 75 premiers mètres, ne te bousille pas avant les 25 derniers mètres. Reste au contact et ne te fais pas déborder. » Ce fut un boost de confiance fondamental ! Et il a poursuivi par deux ou trois autres consignes : « Pense à ta cadence, à bien poser ta nage, à ta rotation dans le virage pour avoir le maximum de vitesse… » Dans un geste dont je ne suis pas coutumier, je l’ai arrêté en lui posant la main sur l’épaule. Je lui ai glissé à l’oreille : « Ne t’inquiète pas, je sais faire. Regarde bien, tu vas te régaler. »
Alain Bernard sur le toit de l’Olympe (KMSP/Stéphane Kempinaire)
SOLLICITATIONS MEDIATIQUES ET CELEBRITE POST PEKIN
« Dans un autre registre, durant cette période de très forte notoriété, les sollicitations venaient de toutes parts. Des portes s’ouvraient, même les plus inattendues. En décembre 2008, je fus invité à Sacrée Soirée, l’émission culte des années 1990 présentée par Jean-Pierre Foucault ! Oui, moi, Alain Bernard, le gamin d’Aubagne, j’allais participer aux côtés du gratin médiatico-people parisien à la célèbre émission du mercredi soir, une spéciale Sacrée Soirée avant les fêtes de Noël. Un poil gêné aux entournures, je ne me sentais pas tout à fait à ma place même si j’étais heureux de faire de belles rencontres. Le festival de célébrités croisées démarra par Line Renaud que je rencontrai dans les loges. « Mais je suis si fière de toi », me déclare-t-elle de sa voix pleine de gouaille. Comme de coutume dans l’émission, en tant qu’invité, j’eus droit à ma surprise mise en place par la production, avec la complicité de mon entourage. Et ma surprise s’appelait… Roselyne Bachelot ! À l’époque ministre de la Santé et des Sports, elle arriva avec son lot de cadeaux, bizarrement d’abord avec une paire de Crocs, semblable à celles que portent les aides-soignantes à l’hôpital. En direct, je me montrai un peu surpris. « Mais non ton cadeau, ce n’est pas ça », plaisante-t-elle. « Je sais que tu es passionné d’aéronautique et j’en ai parlé avec mon ami ministre de la Défense, Hervé Morin, qui a donné son aval. Tu vas pouvoir voler avec la Patrouille de France ! »
Alain Bernard face à ses fans lors des championnats de France 2009 à Montpellier (KMSP/Stéphane Kempinaire)
Sujet réalisé par Antoine Grynbaum