Alors que Mélanie Henique débute ses Jeux olympiques à Tokyo demain avec le 50 m nage libre, nous vous proposons de (re)découvrir un entretien qu'elle nous avait accordé pour le Natation Magazine
« Never give up, just try it one more time » (*). Une phrase qui colle à la peau de Mélanie Henique, 28 ans, et qui résume sa carrière à la perfection. Depuis ses débuts en équipe de France (2009), la jeune femme est passée par toutes les émotions. Une troisième place sur 50 m papillon aux championnats d’Europe de Budapest en 2010 et une autre aux Mondiaux de Shanghai en 2011, puis plus rien ou presque pendant des années, à l’exception de médailles collectives glanées en petit bassin. Pour disputer les Jeux olympiques, la Picarde se reconvertit sur 50 m nage libre. Sa nage est à reconstruire. Pourtant, elle n’abandonne pas. Ses efforts sont récompensés lorsqu’elle devient championne d’Europe aux Euro de Glasgow de 2019, mais en petit bassin et sur 50 m papillon, une épreuve ne figurant pas au programme olympique. Et puis, cet hiver, comme par miracle, les étoiles s’alignent. En claquant 24’’34 en série du 50 m nage libre des championnats de France « covidiens » de Saint-Raphaël, Mélanie s’est non seulement adjugée le record de France, mais elle a également donné un peu plus de poids à son rêve. Guidée par le plaisir et l’envie d’aller plus loin, l’élève de Julien Jacquier entend profiter de cette renaissance pour décrocher de nouvelles récompenses. Peut-être dès cet été, à Tokyo.
(*) N’abandonne jamais, essaie une fois de plus.
À 28 ans et en dépit d’une carrière déjà richement fournie, on te sent plus épanouie que jamais.
En ce moment, tout est réuni pour que je nage vite. Pour autant, je ne veux pas me contenter de ce que j’ai déjà accompli cette saison et notamment aux championnats de France de Saint-Raphaël (10-13 décembre 2020). Voilà pourquoi, avec Julien (Jacquier, son entraîneur au CN Marseille), on a travaillé très dur toute l’année pour progresser encore davantage.
Savais-tu en arrivant aux championnats de France de St-Raphaël que tu évoluerais à un tel niveau ?
Les sensations ont tout de suite été au rendez-vous. Je me suis même sentie plus forte qu’aux championnats d’Europe de Glasgow en petit bassin de 2019. Dès ma première course (sur 50 m papillon), je n’ai plus pensé à rien. J’ai laissé les choses se faire, comme si je nageais, mais qu’en même temps, j’étais spectatrice de ma performance. Pour être franche, je ne me souviens même pas de mon 50 m nage libre (sourire)…
Qu’est-ce que tu peux encore améliorer sur cette distance ?
Il me reste des petits détails à travailler pour tutoyer les meilleures. Avec Julien, nous n’avons pas eu énormément de temps cet automne et au début de l’hiver parce que je suis partie à l’ISL début octobre. Je ne suis rentrée que fin novembre. Deux semaines plus tard, il était déjà temps de s’aligner à Saint-Raphaël. Nous avons donc travaillé tout cela en début d’année 2021, notamment lors de stages.
Quelle place occupe ce chrono de 24’’34 dans ta saison ?
Mon chrono des championnats de France m’a fait beaucoup de bien. J’ai la conviction d’être sur la bonne voie. Je réalise de bonnes choses à l’entraînement depuis quelque temps. Je sentais que les résultats allaient suivre. J’avais vraiment à cœur de réussir le temps de préqualification le plus tôt possible et de m’imposer sur le 50 m nage libre. A 27 ans (elle a eu 28 ans le 22 décembre 2020), c’est mon premier titre sur la distance (sourire)…
KMSP/Stéphane Kempinaire
D’autant que tu nous as déjà confié qu’en arrivant à Marseille, tu ne savais pas nager le crawl.
Je suis arrivée au Cercle en décembre 2014 en me disant que ce serait bien d’essayer le 50 m nage libre parce que c’était ma seule chance de disputer les JO. À l’époque, mon record personnel était de 26’’3. Il faut se rendre compte que je nageais plus vite en papillon qu’en crawl (sourire)... Pour moi, c’était l’inconnu complet. Je ne savais pas mettre un bras devant l’autre. J’avais tout le temps été habituée à nager du papillon et je ne comprenais pas comment on pouvait briller sur les deux disciplines en même temps.
Pourtant, tu décroches ta qualification sur le 50 m nage libre pour les Jeux olympiques de Rio. Était-ce un soulagement ?
Je me suis certes qualifiée pour les Jeux brésiliens, mais je savais que je n’étais pas capable de réaliser 24’’. J’y suis allée pour emmagasiner de l’expérience. Ça m’a donné envie d’être réellement actrice à Tokyo. En 2016, je bouclais la longueur de bassin en 25’’11. C’est seulement en février 2020, lors du Golden Tour de Nice, que j’ai enfin réussi à passer sous les 25 secondes (24’’8). Et là, il y a eu un petit déclic. Je me suis dit que tout le travail accompli jusque-là commençait enfin à payer.
Tes médailles décrochées aux championnats d’Europe de Glasgow en petit bassin en décembre 2019 n’ont-elles pas constituées un premier déclic ?
En fait, ce qui m’a vraiment permis de passer du bon côté, c’est le fait de ne pas me qualifier aux championnats du monde de Gwangju en 2019. J’étais vraiment « dégoûtée » parce que j’avais toujours été présente sur les Mondiaux depuis 2009. Je savais que ce serait compliqué en arrivant aux championnats de France de Rennes parce que j’avais été blessée pendant douze semaines, mais je voulais malgré tout décrocher ma qualification. Cette période n’a pas été facile à gérer. On a beaucoup échangé avec Julien, puis je suis partie en vacances pendant deux mois.
Doit-on en déduire que tu as construit ta réussite sur un échec ?
Je ne vois plus cette non qualification comme un échec ! Je me dis que ça a été un break dans ma carrière. J’ai pu recharger les batteries et me poser les bonnes questions. À ce moment, je suis devenue actrice de mon projet. J’ai verbalisé mes ambitions, mes objectifs et tout ce que je voulais mettre en place pour y arriver. Mon entraîneur m’a aidée à emprunter le bon chemin et à partir de là, la confiance s’est installée et tout le reste a suivi.
KMSP/Stéphane Kempinaire
Comment as-tu procédé pour rebondir ?
J’ai pris une feuille de papier sur laquelle j’ai écrit les points que je voulais modifier. A la rentrée (septembre 2019), j’ai dit à Julien que je voulais être championne d’Europe à Glasgow. Finalement, je remporte quatre médailles, dont le titre du 50 m papillon. Ça nous a conforté dans l’idée que tout était possible.
As-tu également travaillé sur l’aspect mental ?
Je travaille avec une préparatrice mentale depuis quelques années. Ça m’aide à séparer le personnel du professionnel. Ça me donne beaucoup de liberté et de confiance. On passe tous par des périodes difficiles dans la vie. J’en ai traversé quelques-unes, mais désormais je sais faire la part des choses. Quand je suis dans l’eau, je ne pense à rien d’autre qu’à ma performance.
Es-tu toujours restée confiante sur le fait que tu retrouverais ton meilleur niveau ?
Dans ma carrière, il y a toujours quelque chose qui me laissait penser que je pouvais faire mieux, aller chercher un truc plus fort. Au fond de moi, je savais que ce n’était pas terminé. Aujourd’hui, je suis à un moment de ma carrière où j’ai une certaine maturité, mais ce n’est pas venu tout seul. J’ai dû apprendre, rater des courses et commettre des erreurs pour mûrir. La force d’un sportif de haut niveau, c’est de savoir tomber et se relever. Pendant toutes ces années, j’étais contente d’être finaliste aux Euro et aux Mondiaux, mais je savais que je valais mieux que ça.
As-tu toujours eu cette force de caractère en toi ?
Il faut savoir que j’ai commencé la natation très jeune. La vie n’a pas toujours été facile. On habitait chez ma mère, on n’avait pas énormément d’argent, mais malgré tout on s’en est toujours sortie, on ne manquait de rien. J’en parle avec beaucoup d’émotions. Quand je réalise le temps pour les Jeux à Saint-Raphaël (10-13 décembre 2020), ma première pensée est pour ma mère. Elle s’est sacrifiée pour moi. Elle a tout donné pour que je sois heureuse. Je pense que c’est un juste retour des choses. Je n’avais pas le droit de lâcher. À un moment donné quand tu veux vraiment quelque chose, tu dois tout mettre en œuvre pour l’obtenir. Je n’ai pas connu la facilité quand j’étais jeune et ça m’a servie. Quand il m’arrive de croiser Michel Chrétien (son entraîneur à Amiens, ndlr) au bord du bassin, beaucoup de choses remontent parce que je mesure le chemin parcouru. Mon histoire a parfois pris des tours inattendus, mais c’est une belle histoire !
KMSP/Stéphane Kempinaire
Une histoire avec l’équipe de France qui a débuté en 2009, à Rome.
Quand j’arrive à Rome cette année-là, je me dis que ce serait énorme de remporter une médaille un jour. À l’époque, j’étais en concurrence avec Diane Bui Duyet sur le 50 m papillon. J’avais 16 ans et je termine vingt-septième aux championnats du monde. J’étais déçue, mais en même temps, je n’étais pas concentrée, c’était ma première sélection. À Rome, je me suis dit : « L’année prochaine, tu feras podium ». Pendant un an, je n’ai pensé qu’à ça. On est parti en stage avec le groupe d’Amiens et on a nagé comme des fous. On faisait des bornes et des bornes. Je me souviens, avec Jérémy (Stravius), on se lançait des petits challenges pour se surpasser en se disant que si on n’y arrivait pas, on ne décrocherait pas de médailles.
Et tu remportes finalement une médaille de bronze sur le 50 m papillon aux championnats d’Europe de Budapest.
Mon objectif était vraiment de faire mieux qu’aux Mondiaux de Rome. Je suis arrivée aux Euro, je passe les séries, puis les demi-finales avec le quatrième temps. C’est marrant, je m’en souviens comme si c’était hier. Et là, je me dis : « Pourvu que je n’arrive pas quatrième ». Je touche derrière Alshammar et Ottesen. C’était complètement dingue !
L’année suivante, aux Mondiaux de Shanghai, tu rafles à nouveau le bronze du 50 m papillon avant de connaître une traversée du désert entre 2012 et 2019. N’as-tu jamais été impatiente de remonter sur un podium en individuel pendant cette période de disette ?
Évidemment que je l’étais ! Je n’arrêtais pas de me demander à quel moment j’allais revivre ce bonheur. La question n’était pas de savoir si cela allait arriver, mais quand. J’étais persuadée que j’y arriverais, ça ne pouvait pas en être autrement parce que je voulais absolument éprouver à nouveau ces émotions. Les podiums avec les relais lors des Euro en petit bassin m’ont permis de tenir. Et puis, j’ai fini par me dire que pour y arriver, je devais travailler encore plus fort !
Pourtant, si tu mettais toutes les chances de ton côté pour progresser, le niveau mondial n’a également jamais cessé de s’améliorer.
À un moment donné, je n’étais plus qu’à huit dixièmes du record du monde, puis il est descendu d’un coup et là ce fut difficile à encaisser. Mais j’ai continué à travailler parce qu’encore une fois, je savais que ce n’était pas terminé. Je rêvais d’avoir une Marseillaise. Et maintenant, je rêve encore plus. C’est marrant, mais quand tu réalises ton rêve, tu en veux encore plus ensuite.
KMSP/Stéphane Kempinaire
Si beaucoup de nageurs prennent leur retraite assez jeune, tu n’en es pas du tout à ce stade de ta carrière. Songes-tu aux Jeux olympiques de Paris en 2024 ?
Bien sûr que j’y pense ! Après, je ne sais pas ce que la vie me réserve. Depuis les championnats de France de Saint-Raphaël, j’ai l’impression d’avoir entamé une nouvelle carrière. Ça fait du bien de se dire qu’on est capable de puiser de nouvelles forces en soi, que rien n’est jamais écrit à l’avance. Ça me donne beaucoup de confiance pour la suite.
Où s’arrêtera donc Mélanie Henique ?
Je ne sais pas (sourire)... J’ai toujours voulu aller plus loin !
Où ça exactement ?
Ah ça, on verra bien (sourire)… Dès mon plus jeune âge, j’ai toujours voulu gagner et progresser, faire mieux que les années précédentes. Ça a été mon moteur depuis l’enfance.
Comme à Shanghai en 2011 après avoir décroché le bronze du 50 m papillon un an plus tôt à Budapest ?
En Chine, je m’étais qualifiée en finale de justesse. J’étais ligne d’eau numéro 1. Deux heures avant la course, je sors me promener avec Michel (Chrétien) pour me détendre un peu et je lui dis que j’aimerais vraiment faire un podium et que pour ça, il faut que je batte le record de France. Je me rappelle qu’il trouvait ça un peu ambitieux (sourire)... C’était la première finale des championnats et je me souviens que la chambre d’appel me tétanisait. J’y suis allée à la dernière minute pour ne pas stresser. Je me souviens que les 4, 5 et 6e de la finale terminent le 50 m papillon un centième derrière moi. C’était comme dans un rêve !
KMSP/Stéphane Kempinaire
Débuter en équipe de France aux côtés de la génération dorée, celle qui a tout gagnée, t’a-t-il permis d’être encore plus performante ?
Ça m’a carrément aidée ! Je me souviens qu’avant ma finale à Budapest en 2010, je croise Fred Bousquet qui me dit : « Mel, vas-y c’est la tienne ». J’avais envie de rentrer dans l’arène et de tout exploser. À cet âge-là, tu as tendance à t’emballer et Michel m’a beaucoup aidée à temporiser et à me calmer. J’étais tout feu tout flamme et très à cran. Il ne fallait pas m’agresser. Michel a su me canaliser et trouver les mots justes pour m’apaiser. J’avais presque besoin qu’il m’accompagne à la chambre d’appel et après je savais que ça allait le faire.
Désormais, tu vas devoir confirmer à chaque sortie. N’est-ce pas une pression supplémentaire ?
Je n’ai pas l’impression de devoir confirmer parce que je veux encore progresser. Je veux mieux et je vaux mieux. Je suis simplement sur le bon chemin. C’est super, j’ai réalisé le temps pour les Jeux en décembre, mais on est juste au bon endroit au bon moment. Les Euro de Glasgow ont déclenché quelque chose, mais aujourd’hui j’ai 28 ans et j’arrive à un moment de ma carrière où l’objectif premier est de profiter. J’ai vécu énormément de choses, des bonnes et des moins bonnes. Grâce à ça, je suis désormais capable de savourer l’instant. En arrivant à Saint-Raphaël, je voulais juste kiffer. Rien qu’en voyant l’affiche de la compétition avec ma photo, j’étais heureuse. C’est une reconnaissance et ça fait plaisir. Avant, ça me mettait la pression. Maintenant, ça me donne envie d’aller encore plus loin. Voilà ce qui a changé. Je suis tellement libérée que lorsque j’arrive en compétition, j’ai juste envie de nager et de profiter. Ça me permet d’être relâchée techniquement, d’être plus fluide dans mes mouvements.
Le stress ne te paralyse plus ?
En chambre d’appel, je me répète la course, mais je stresse beaucoup moins. Ça me fait du bien parce que j’y laisse moins d’énergie et d’influx nerveux.
Comment as-tu articulé ta saison avec cette qualification pour la compétition internationale de l’année dès le mois de décembre ?
Je me suis investi à 200% parce qu’au bout, ce sont les Jeux ! Chaque entraînement était important. J’ai maintenant hâte de voir ce que ça peut donner à la fin.
Recueilli par Jonathan Cohen