En l’espace de deux courses, Aurélie Muller, 31 ans, s’est rappelée au bon souvenir de l’eau libre tricolore. Victorieuse du 5 km indoor à Sarcelles, fin janvier, puis du 10 km de la Coupe de France disputée en Martinique, mi-février, la Mosellane, triple championne du monde (10 km à Kazan en 2015 et 10 km et relais mixte à Budapest en 2017, ndlr), s’est d’ores et déjà qualifiée pour les Mondiaux de Budapest (18 juin-3 juillet 2022), où elle espère renouer avec le fil de son histoire après une parenthèse de deux ans à Nice. Avant cela, Aurélie Muller retrouvera la scène internationale ce jeudi (24 mars) à Eilat (Israël), où se disputera un 10 km de la LEN Cup.
Depuis le mois de septembre 2021, tu t’entraînes de nouveau à Sarreguemines sous la houlette de Gilles Cattani. Comment vis-tu ce retour aux sources ?
Très bien (sourire)… Tout s’est décidé il y a un an. Ça ne se passait plus très bien avec Fabrice (Pellerin) à Nice (qu’elle avait rejoint en septembre 2019 après avoir manqué sa qualification pour le 10 km des Jeux de Tokyo lors des Mondiaux d’eau libre à Yeosu, ndlr). En avril 2021, j’ai passé un mois à Font-Romeu avec Magali (Mérino) avant de rentrer chez moi, à Sarreguemines. Là-bas, je me suis entraînée quinze jours avec Gilles (Cattani). On se connaissait, mais nous n’avions jamais travaillé ensemble. Nous avons pris le temps d’échanger et finalement j’ai décidé de préparer les championnats de France de Chartres (15-20 juin 2021) avec lui et Magali. A titre plus personnel, j’avais aussi à cœur de revenir chez moi, dans mon club, auprès de ma famille. L’occasion s’est présentée alors je l’ai saisie (sourire)…
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
De quelle manière s’organise cette alternance entre Magali Mérino et Gilles Cattani ?
Elle dépend évidemment du calendrier sportif. Ce n’est pas un vrai 50/50, mais je passe de l’un à l’autre au gré des objectifs et cela me convient très bien. Avec Gilles, je fais moins de kilomètres parce qu’à Sarreguemines, on s’entraîne en bassin de 25 mètres. Avec Magali, je travaille le foncier. Là, pour le coup, on fait des bornes (rires)…
Qu’est-ce que cette alternance t’apporte ?
Je n’aime pas la routine et puis, en toute honnêteté, je crois que j’avais envie d’être rassurée car ça faisait deux ans que ça n’allait pas trop. J’avais besoin d’être entourée de gens de confiance. Cette alternance me permet aussi de varier les entraînements et les confrontations. C’est enrichissant. Et puis, Gilles et Magali communiquent très bien. Ma préparation est en accord avec mes envies et mes objectifs.
Est-ce que cela change quelque chose d’être entraînée par une femme ou par un homme ?
Non, pas vraiment ! Je me suis toujours entraînée avec des hommes, mais le fait de travailler avec Magali ne change rien. Ce qui m’intéresse, à l’instar de tous les athlètes de haut niveau, c’est la compétence du technicien, son savoir-faire. Le reste n’entre pas en ligne de compte.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Entrons maintenant dans le vif du sujet : de quoi sera fait ton avenir ? Vas-tu prioriser l’eau libre ou le bassin ?
Mon objectif, c’est de revenir à mon meilleur niveau en eau libre. J’adore cette discipline. C’est sur des longues distances que j’arrive à pleinement m’exprimer. Je ne regrette pas mon passage chez Fabrice (Pellerin), mais il s’agissait d’une parenthèse.
Entre ta victoire sur le 5 km indoor de Sarcelles, fin janvier, et ton succès sur le 10 km de la coupe de France organisée mi-février en Martinique, on a le sentiment que tu es déjà de retour aux avant-postes.
Pour tout vous dire, ma saison 2021-2022 n’avait pas très bien commencé. J’ai contracté le Covid début décembre et cela m’a privé d’une participation au 10 km d’Abu Dhabi (16 décembre 2021). L’espace de quelques jours, je me suis demandée de quelle manière allait tourner la suite. J’ai réussi à me remobiliser pendant le mois de janvier en abattant un gros travail foncier avec Magali (Mérino). Ma performance à Sarcelles m’a beaucoup étonnée. Je ne pensais pas retrouver si vite ce niveau de performance. Mais le plus important, c’était la Martinique parce que la qualification pour les championnats du monde de Budapest était en jeu. Maintenant que j’ai poinçonné mon ticket, j’ai hâte de me confronter au niveau international.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Budapest, ça doit forcément te rappeler de bons souvenirs. En 2017, tu y avais raflé trois médailles, dont deux titres sur le 10 km et avec le relais mixte.
Forcément, j’y pense un peu (sourire)… Et puis, je travaille tous les jours pour revivre ce genre d’expérience. Mais n’allons pas trop vite. Je ne dois pas brûler les étapes. Pour le moment, je me focalise sur la LEN Cup à Eilat (Israël, 24 mars).
On te sent à la fois impatiente et prudente. Est-ce que l’eau libre t’a manquée depuis 2019 ?
Oui, forcément, parce que j’adore ma discipline. Mais, en fait, je crois que ce qui m’a le plus manqué, c’est la stratégie…
C’est-à-dire ?
En bassin, ce n’est pas pareil. On s’observe moins. Disons qu’on applique ou qu’on tente de mettre en place un schéma de course. En eau libre, il faut sans cesse s’adapter, réagir et anticiper les attaques de ses adversaires. Ce truc-là, j’ai vraiment hâte de le retrouver.
Les Français du relais mixte (Logan Fontaine, Océane Cassignol, Aurélie Muller et Marc-Antoine Olivier) célèbrent leur victoire aux Mondiaux de Budapest 2017 (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Comment gères-tu l’enchaînement des entraînements et des compétitions à 30 ans passés ?
C’est sûr que mon corps me rappelle régulièrement mon âge (sourire)… Ce que j’aime chez Gilles (Cattani), c’est justement qu’il est à l’écoute de ce que je lui dis. On échange énormément sur mes sensations et mon ressenti. Aujourd’hui, c’est primordial pour moi parce que je récupère moins vite et que je ne peux plus enchaîner comme je le faisais lorsque je m’entraînais avec Philippe Lucas.
A 31 ans est-il également temps de prendre de la hauteur et du recul sur l’ensemble de ta carrière ?
Oui parce que j’ai pleinement conscience d’être plus proche de la fin que du début. Je sais que ça va bientôt s’arrêter et qu’il faut aussi que je profite de ce qui m’arrive en ce moment. Tout ce que j’ai vécu, je fais désormais en sorte de le transformer en expérience. J’essaie de m’en servir pour relever les derniers challenges de ma carrière. Ce n’est pas toujours simple de prendre du recul, mais j’y parviens de mieux en mieux parce que j’ai grandi, parce qu’aujourd’hui, je suis une… une femme, oui, je peux le dire !
En 2017, à Budapest, Aurélie Muller s'adjuge deux titres mondiaux sur 10 km et avec le relais mixte (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Qu’en est-il malgré tout de tes déconvenues olympiques ? Quelle place occupent-elles dans ta galerie de souvenirs ? Parviens-tu à t’en servir ou est-ce encore douloureux ?
J’espère sincèrement que les Jeux de Paris seront une libération. Aujourd’hui, c’est clairement ce qui me motive, ce qui me donne envie de m’entraîner et de retrouver mon meilleur niveau en eau libre. Je ne peux pas imaginer clore ma carrière sans une médaille olympique, qui plus est devant ma famille, mes amis et tous mes partenaires. Ce serait absolument fabuleux ! Mais bon, dans le haut niveau, on ne sait jamais. En tout cas, si ça ne se passe pas comme prévu, je pourrais au moins écrire un livre parce qu’avec tous ces rebondissements, c’est quand même une sacrée histoire (rires)…
Une histoire dont le public se souvient…
C’est vrai qu’aujourd’hui encore on me parle des Jeux de Rio. Cet épisode fera toujours partie de mon parcours, mais moi, j’ai eu besoin de passer au-dessus à un moment pour continuer d’avancer. En revanche, quand on me parle de la Santa Fe, ça me touche presque plus. Pendant longtemps, j’ai pris plaisir à revoir l’Intérieur Sport (émission de Canal + consacrée à des champions français, ndlr) retraçant mes 57 km dans la rivière Coronda, mais ce n’est plus le cas.
Pourquoi ?
Avant, ça me donnait de la force. D’ailleurs, je ne sais toujours pas comment j’ai pu aller au bout de cette course. Aujourd’hui, je suis toujours fière de ce que j’ai accompli en Argentine, mais c’est quelque chose qui appartient au passé.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Les Jeux de Paris, tu y penses souvent ?
J’essaie de ne pas y penser tous les jours, mais ce n’est pas simple (sourire)… C’est encore loin, mais ça va arriver très vite. Ce qui m’importe, pour le moment, c’est de tout mettre en œuvre pour être prête en 2024. Pour l’heure, je vais essayer de revenir à mon meilleur niveau, profiter des Mondiaux de Budapest pour m’étalonner face à la concurrence internationale, puis on se projettera sur la saison prochaine. Le risque, comme je l’ai déjà dit, ce serait de vouloir aller trop vite.
On te sent incroyablement lucide. Ce recul dont tu disposes aujourd’hui, serais-tu prête à en faire bénéficier les nageurs de l’équipe de France ? A jouer, par exemple, un rôle de leader ?
Aujourd’hui, je me sens, en effet, légitime pour prendre la parole au sein du collectif national. Nous avons été très forts, notamment en 2017 à Budapest, alors forcément cela m’attriste de voir que nous le sommes un peu moins. Si je peux apporter mon expérience, ce serait avec grand plaisir (sourire)…
Recueilli par Adrien Cadot