Ex-gymnaste fauché par une croissance douloureuse, Benjamin Auffret, quatrième à la plateforme à 10 mètres des Jeux Olympiques de Rio, a su rebondir pour devenir le meilleur plongeur français. Trop léger pour les tremplins à 1 et 3 mètres, ce passionné de photo a intégré le top 8 mondial de l’épreuve de haut-vol. Mais le triple champion de France de la discipline ne compte pas s’arrêter en si bon chemin et rêve d’un podium à Tokyo en 2020. Portrait.
« J’ai été le premier surpris par ma quatrième place à Rio ! Trois mois et demi avant, je m’étais fracturé le sacrum en tombant bêtement dans un escalier. » En se replongeant dans sa préparation olympique, Benjamin Auffret mesure davantage le chemin parcouru. « Dans la foulée, exceptée de la visualisation, je n’ai rien pu faire pendant deux mois. Du coup, je suis arrivé à Rio, à deux tiers de la saison, sans aucune pression, sans doute assez frais, en me glissant dans la peau d’un outsider. Et, au passage, en me disant, que faire tomber quelques cadors pourrait être rigolo. En y arrivant, je ne savais pas ce que je valais. Mon objectif était double : aller chercher du bonheur et aller chercher une demi- finale. Après, même si je n’aime pas plonger en extérieur, je me suis pris au jeu d’en vouloir toujours plus. » Mais cette surprise n’a jamais laissé place à une confiance démesurée ou un acquis pour la suite de sa carrière. « Rapidement, je suis redescendu de mon petit nuage en me disant que ma quatrième place n’était pas totalement dans la logique des choses et que si je refaisais cette compétition, le lendemain, tout serait différent. A la limite, cette compétition est presque à oublier parce que je ne serais jamais un médaillé de Rio. Il fallait juste rebondir dessus, pour aller de l’avant. En résumé, voici l’unique chemin à cultiver pour un athlète : rebondir pour aller de l’avant ! En même temps, si j’avais été champion olympique pour mes premiers Jeux à 21 ans, je pense que j’aurais arrêté ma carrière. »
TROP PLUME POUR LES P’TITS… TREMPLINS !
Au passage, Benjamin Auffret mesure le profil « surdimensionné » des Jeux, se revoit « gamin de six ans » les regarder devant la télévision « en louchant sur les survêtements des gymnastes où il y avait marqué le nom « France » : là, mon rêve d’aller aux Jeux est né. A Rio, mon rêve d’être médaillé olympique est né. » Futur ingénieur en informatique, cet étudiant à Marie Curie ne sera pas une comète mais, une future étoile en forme de surprise. Son début de saison tonitruant nous le prouve (cinquième aux Diving Séries de Guhangzou et de Pékin) : « De Rio, je suis revenu avec foi en moi, avec l’envie de médailles à chaque grosse compétition internationale. Maintenant que mon nom semble être connu des juges et semble être bien attaché au plongeon pour le grand public, je me dois d’être un ambassadeur à la hauteur. J’aimerai créer un effet boule de neige pour attirer de nouveaux pratiquants. » Poids plume venu de Perthes dans le Gâtinais, cet ex-as de la barre fixe se souvient avoir appris très tôt à rebondir. Au propre et au figuré. « Petit, je suivais ma mère, entraîneur de gymnastique, à la salle. Né acrobate dans l’âme, un coup perché sur mes mains, un coup pendu par les pieds, un autre montant les escaliers sur une main ! Mais, à l’âge de 13 ans, au Pôle France de Vélizy, en pleine croissance, j’ai commencé à ressentir des douleurs au niveau des cartilages (genoux et coude droit). Résultat, on m’a fait comprendre qu’il était impossible de me garder. Alors, Damien Cély (troisième en plongeon synchronisé aux championnats d’Europe en 2011 ; vingt-deuxième aux Jeux en 2012) m’a suggéré d’essayer le plongeon. Dès mon premier essai à 1 mètre, j’ai ressenti l’extase.»
« DEUX ANS A FAIRE MON DEUIL DE LA GYM »
En septembre 2010, la fosse de l’INSEP lui ouvre ses portes. Mais, son cœur est ailleurs : « Certes, mes années de gym me filaient un sacré coup de main dans la rigueur, la visualisation, la perception de mon corps dans l’espace, dans l’aspect artistique, dans la pratique du trampoline. Mais, j’ai vraiment mis deux ans à faire mon deuil de la gym. Résultat, les premiers temps, je mettais six mois pour réussir une demi rotation ! » Mais à peine lancé, Benjamin Auffret a dû tourner le dos aux tremplins de 1 mètre puis, aux 3 mètres : « Le premier n’est pas olympique. Et pour le second, je suis trop fin, pas assez lourd, pas assez puissant, trop plume avec mes 1m67 pour 52 kg ! Une nouvelle fois dans ma carrière, j’ai dû rebondir, me remettre en question pour aller vers l’avant… » Et « l’avant » se situe là-haut, perché à 10 mètres. « Régulièrement, avec mon entraîneur (Alexandre Rochas), avec mes parents ou avec d’autres plongeurs, le sujet de monter revenait sur la table. Comme je n’étais pas rassuré, il m’a fallu un an pour l’accepter. » Entre des premiers pas hésitants, le plongeur s’offre « des petites récréations de l’esprit au tremplin de 3 mètres. Pour adopter le haut-vol, pour y prendre du plaisir, il m’a fallu huit mois. Même aujourd’hui, je ressens toujours une certaine peur en moi. Sans doute présente à vie. Sans doute, assez saine, pour ne pas me laisser griser, pour être vigilant sur mes prises de risques. » En septembre 2013, conforté par un premier titre de champion de France, le 10 mètres se confirme comme son unique planche de salut pour cultiver un horizon à podiums. « Du coup, quand j’ai participé aux championnats du monde à Kazan en 2015, j’étais seulement dans ma seconde année de pratique. Alors, je me suis demandé à quelle sauce j’allais être mangé. »
« JE SUIS HANTÉ PAR LE PLONGEON ! »
Une sauce au goût plutôt appréciable et à la saveur olympique. Auffret décroche la cinquième place mondiale et valide son ticket pour Rio. « Aujourd’hui, j’aime cette discipline à haut risques où tout se joue à des dixièmes, à des riens, à des sensations extrêmement infimes. J’aime travailler en visualisation où je suis le seul, paraît-il, à voir deux images en même temps : oui, j’arrive aussi à voir l’image sublimable. Sans le provoquer, j’ai souvent des flashes sur tel ou tel morceau de tel ou tel plongeon. Je le vois comme un puzzle : par exemple, en six pièces pour trois tours et demi. Je visionne beaucoup les plongeons des autres. Je ne m’inspire directement de personne, mais, je me greffe le petit bout d’un plongeon d’un Chinois, le petit bout du plongeon d’un Ukrainien ou celui d’un Allemand. Et quand je ne m’entraîne pas, je fais beaucoup de photos et de vidéos. Devinez de quoi ? De plongeon ! En fait, je suis hanté par mon sport. » A la faveur de sa blessure au sacrum, privé de fosse et de tours pendant deux longs mois, Benjamin Auffret ne s’est pas pour autant éloigné du plongeon. « Je me rendais souvent à la piscine pour regarder mes coéquipiers s’entraîner. Debout, accroupi ou à plat ventre, je les photographiais, je les filmais. J’avais l’impression de plonger avec eux. » Depuis ses magnifiques clichés ont largement dépassé le cadre des bassins. En noir et blanc, en formats courts pour les « Facebook » des uns et des autres, en formats plébiscités en vitesse réelle, au ralenti, en musique ou pas, sur « YouTube », ils deviennent références. « Fou furieux de photo et de plongeon, j’ai eu la bonne idée de marier les deux. Comme les plongeurs sont des potes, comme ils connaissent mon travail, j’arrive à me faire oublier. Comme je connais bien cette discipline se déroulant de manière éclaire, l’espace de trois secondes, je sais exactement ce que je veux, quand je veux donc, quand il me faut appuyer pour attraper tel ou tel instant. » Là aussi, Benjamin Auffret donne dans le haut vol et rebondit toujours et encore dans l’instant.
Sophie Greuil