Auteur de « Nadal – Federer – Djokovic, 21 matchs pour booster votre mental » (Editions Solar), Christophe Bernelle, un ex-professionnel de tennis battu par Wilander au 2ème tour de Roland – Garros 1983 (année de la victoire de Noah) sait précisément ce qui se passe dans la tête des sportifs. Reconverti psychiatre du sport, il décrypte pour la FFN les mécanismes et le fonctionnement du cerveau, ses forces et faiblesses dans l’exercice du haut-niveau et de la natation.
On parle de plus en plus des neurosciences dans le sport. Cela veut dire quoi concrètement ?
Cela correspond à l’étude du cerveau de l’humain et du sportif. Les neurosciences englobent la visualisation, la mémorisation et le travail sur les pensées. En clair, une manière d’expliquer le fonctionnement du cerveau à différents niveaux de complexité. Et c’est très vaste : cela va de la biologie à la physiologie. Tout part des cellules et des neurones notamment. Personnellement, nous en médecine, cela fait longtemps qu’on utilise ce terme. Le cerveau reste une boite noire mais on essaye d’en comprendre son fonctionnement : un vaste programme quand on sait les milliards de connexions qu’il y a à l’intérieur.
Et cela va apporter quoi précisément ?
Nos pensées sont essentiellement situées dans notre cerveau mais aussi dans notre corps, et il ne faut pas trop les dissocier. Et c’est à rapprocher de ce que disait Montaigne dans ses essais quand il repensait le « connais-toi toi-même » de Socrate.
Plus terre à terre, comment les neurosciences peuvent-elles optimiser la préparation mentale du nageur ?
Depuis pas mal d’années, on parle de plus en plus de visualisation, cette possibilité que l’on a de s’imaginer en train de nager. On a notamment parlé de neurone miroir, des mouvements à blanc avec par exemple des neurones crawl où la visualisation va se concentrer sur cette nage. Sans s’en rendre compte, et parfois avant de dormir, le nageur va penser à sa technique, se voit bien rentrer dans l’eau, et cela va l’aider à automatiser plus rapidement. Il y a ce côté imagination. Grâce à ce travail, ils peuvent continuer à travailler sans forcer sur leur corps
Sur quelle partie du cerveau la préparation mentale va-t-elle agir ?
Le circuit de la mémoire est important. Cela touche plusieurs zones du cerveau. La mémoire, l’automatisation du geste, c’est capital. Le cerveau, c’est comme un orchestre, avec un rôle bien précis pour chacun des membres. Tout le cerveau est sollicité. Concernant la natation, il s’agit d’un combat à distance. Les nageurs sont dans des lignes d’eau séparées, et il faut absolument être centré sur soi, son relâchement. Cela part du cerveau. Il y a un vrai travail à faire pour être le plus relâché possible, via des techniques de méditation, en lien avec l’épanouissement personnel.
C’est-à-dire ?
Avant la compétition, les pensées que l’on a vont influer sur la performance. L’idéal : arriver à être content d’être là, et pas trop focus sur le résultat. Si l’on se fixe absolument un objectif de podium, là on va avoir tendance à se crisper. En revanche, si l’on se concentre sur sa nage, sur ce que l’on veut faire, sur le plaisir d’être dans l’eau, on verra dans un 2ème temps ce que ça donne.
Cela aide à décompresser, éviter le stress ?
Florent Manaudou, il a un préparateur mental et un bon coach mental ne va pas uniquement se concentrer sur la performance sportive. Il est aussi là pour que le sportif et le nageur soit épanoui dans sa personne. Manaudou a réussi son come-back parce qu’il était heureux d’être là, avec le plaisir d’être à nouveau dans sa natation en compétition. A partir du moment où l’on sait pourquoi on le fait, le stress se réduit avec l’idée de se mettre moins de pression.
Comment cela s'imbrique dans une préparation de sportif de haut niveau (fréquence, routine…) ?
Tous les jours, dans sa routine, Djokovic fait 15 à 30 minutes de méditation chaque matin. Il se met dans une position où il se donne le plus de chances de gagner, où il se voit gagner. Il va se focaliser sur sa respiration. Quand on dit méditation, c’est essentiellement un travail sur sa respiration, ses pensées qui ont tendance à aller dans tous les sens. Et le travail sur la respiration va les diminuer : le souffle va évacuer les nuages de pensées négative, remplacées par des pensées positives. L’idée est de prendre du recul pour prendre du détachement.
Et le web 3.0, l’intelligence artificielle permettent-ils d’aller encore plus loin dans le cadre des neurosciences ?
Il n’y a pas encore d’appareil à même d’étudier le cerveau du sportif et en tirer les leçons pour progresser. On n’en est pas encore là. J’ai entendu parler de l’attaquant de Lens (Loïs Openda) qui travaille avec un préparateur mental. Le Belge joue du piano et avec son coach mental, ils ont ensemble trouvé le déclic pour qu’Openda soit plus fort face au but. Dans quel état tu es quand tu joues du piano ? Il a dû faire un parallèle, et réussir à mettre le joueur dans le même état qu’au moment où il s’apaise en jouant du piano. Bref, trouver du détachement, oublier le résultat.
Propos recueillis par Antoine GRYNBAUM