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Les Jeux olympiques de Tokyo et l’Euro de football déplacés en 2021, les championnats du monde de natation à Fukuoka (Japon) décalés en 2023, ces derniers mois ont vu le sport international marqué par deux séquences aussi fortes qu’inédites : dans un premier temps la pandémie de Covid et désormais la guerre en Ukraine. Crise sanitaire et suspension des sportifs russes et biélorusses, les enjeux et problématiques du moment sont à gérer avec pragmatisme et sens politique à deux ans des Jeux de Paris.

Préparatifs annulés, tournois de qualification délocalisés, grands évènements internationaux reportés, à l’échelle mondiale, ces deux dernières années ont été terribles pour le sport et ses athlètes. Tout un écosystème a été profondément remis en cause avec en symbolique marquante, le report d’un an des Jeux olympiques de Tokyo (de 2020 à 2021, ndlr). Une incertitude perpétuelle qui, selon Jean-Baptiste Guégan, géopolitologue du sport, se faire encore ressentir. « La première conséquence a été de mettre le sport sur pause pendant une longue séquence, le Covid constituant désormais une épée de Damoclès au-dessus de la tête des sportifs en cas de test positif », livre l’auteur de « La république du foot » (Editions Amphora). « Mais pour le reste, il y a eu un assouplissement des mesures excepté en Asie et dans les pays qui avaient une stratégie 0 Covid (Australie, Nouvelle-Zélande, Japon et Chine, ndlr) ».

L’équipe de France de natation à l’échauffement aux Jeux de Tokyo (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire)

Une épée de mauvais augure qui a notamment poussé l’équipe de France de natation artistique à déclarer forfait lors du dernier Open de Paris organisé à la piscine Georges Vallerey (1er-3 avril). Des nageuses positives, une préparation à remodeler, mais des leçons à en tirer également. « Sur un plan purement négatif, le coronavirus a eu raison de la fin de carrière de certains nageurs dans l’incapacité de s’entraîner à cause du confinement », souligne Alain Bernard. « Mais si l’on regarde les choses plus positivement, certains nageurs en développement en ont profité pour mieux préparer les Jeux de Tokyo. Sixième du 400 m 4 nages, Léon Marchand aurait certainement été un peu « short » pour se qualifier en finale, ou n’aurait pas pu y accéder si les Jeux avaient eu lieu en 2020. Cela l’a énormément aidé dans sa progression, c’est sûr ! »

Léon Marchand (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).

Une incidence à tiroirs pour les athlètes mais aussi pour la presse sportive et son business-model de plus en plus précaire. Comment le journal L’Equipe a-t-il amorti cette sombre période ? Combien a-t-il perdu d’abonnés et de revenus ? Son équilibre économique est-il en danger ? « Les kiosques ont souffert, en partie à cause du confinement, et cette période a en plus été perturbée chez nous par un nouveau système de distribution mis en place (au printemps 2020, ndlr). La presse vendue dans les gares et aéroports, ça nous a touché de plein fouet sur une presse écrite qui ne se portait pas très bien », analyse Jean-Philippe Leclaire, Directeur adjoint de la rédaction de L’Equipe. « En fait, cela a été un accélérateur de zones de turbulences. Nos pires prévisions se sont réalisées avec deux ans d’avance. Il y a une tendance à la baisse sur notre journal à l’image de la presse écrite et on a atteint ce mur-là dès le confinement. Malgré tout, on en est sorti vivant, costaud. La pire période de l’Equipe et de la presse écrite en France et dans le monde, mais éditorialement passionnante. Pendant ces semaines sans compétition, il y avait quand même vingt-quatre pages à remplir, un site à alimenter, qu’est-ce que je mets dedans ? Et il a fallu trouver des sujets, inventer des choses, se dépouiller ».

(Photo : Adobe Stock)

Et puis, en deuxième lame après la pandémie mondiale est intervenue la guerre en Ukraine et ses conséquences sur l’ordre du sport mondial avec désormais une jurisprudence inédite en matière de droit avec la suspension des sportifs russes et biélorusses lors des derniers Jeux paralympiques. Le géopolitologue Jean-Baptiste Guégan de préciser : « Les conséquences seront importantes à terme car le mouvement sportif a été le premier à appliquer des sanctions. A cause de la régularité et de la récurrence des évènement sportifs (des matchs tout le temps), il a fallu aller vite. Une réunion politique internationale, tu la décales, une entreprise, tu peux limiter les commandes, comme si tu n’échangeais plus avec la Russie… Mais l’évènement sportif, quand tu sanctionnes, ça se voit tout de suite. Et cela a été la première fois que le mouvement sportif (Comité paralympique) est sorti du mythe de l’apolitisme, de la neutralité du sport… Le contexte (annonceurs, sponsors) a clairement poussé le CIO et la FIFA à prendre des sanctions historiques ».

(Photo : Adobe Stock)

Au XXème siècle, il y a eu la suspension de l’Allemagne et du Japon après 1945, puis l’exemple yougoslave lors de la guerre des Balkans, mais cette décision des instances sportives internationales a ouvert une boîte à sanctions illimitées. Les mesures sportives antirusses sont historiques et ouvrent la porte à des sanctions systématiques en cas de violation du droit international. L’Arabie Saoudite, l’un des trois principaux financeurs du sport mondial, sera-t-elle sanctionnée pour sa participation active à la guerre au Yémen ? Et la Chine à propos du traitement réservé aux Ouighours ? Le département d’Etat américain parlant de génocide au Xinjiang. Interrogé sur le sujet ukrainien et ses conséquences à long terme, sur midilibre.fr Tony Estanguet a délivré la position officielle de Paris 2024 : « Il y a une dynamique internationale forte pour essayer de faire évoluer la situation. Le monde du sport a toujours essayé de préserver les athlètes. C’est notre rôle. Vu la gravité de la situation, cela nécessitait d’aller un cran plus loin. Y compris de prendre, comme l’a fait le CIO, des décisions qui peuvent avoir un impact sur la participation des athlètes. Tout ce que l’on veut éviter normalement. Mais à situation grave et exceptionnelle, mesure grave et exceptionnelle. Je comprends ces décisions et je les soutiens ».

Tony Estanguet (Photo : D. R.).

Mais une question se pose : le sport mondial doit-il sanctionner individuellement ou collectivement ? Petit cas pratique et gros cas de conscience posé par Alain Bernard : « Philippe Lucas a une nageuse russe qui s’appelle Anna Egorova (spécialiste du 800 m nage libre, ndlr). Cela fait plusieurs années qu’elle s’entraîne chez lui et elle a récemment nagé aux championnats de France de Limoges (5-10 avril). Comment cela va-t-il se passer aux Mondiaux de Budapest (18 juin-3 juillet) ? Les instances ont-elles pris une décision à son sujet ? Pour moi, ce serait horrible de sanctionner une nageuse qui n’a rien demandé dans tout cela… Tu n’as pas le droit de t’entraîner en France ? Tu rentres chez toi alors ? ». Après la guerre russo-ukrainienne, le mouvement sportif ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur sa gouvernance globale et assumer pour la première fois de son histoire un rôle politique majeur. Ne plus faire semblant, ne pas savoir. Si l’on pousse le raisonnement à l’extrême, et avec un quart de dictatures dans le monde, cela signifierait-il d’exclure tous ces pays du concert sportif mondial ? En attendant, la Russie a organisé il y a quelques semaines une épreuve de patinage artistique, un modèle alternatif avec ses plus proches alliés (Arménie, Biélorussie, Kazakhstan et Tadjikistan). Un nouvel ordre sportif mondial serait-il sur le point d’émerger ? Poutine avance ses pions, mais, pour l’heure, le bloc occidental fait front.

Antoine Grynbaum

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