Damien Joly n’est pas le plus connu des nageurs français, ni même le plus titré, le plus expansif ou le plus bodybuildé… A dire vrai, ce serait même plutôt l’inverse. Du haut de ses 24 ans, le Varois est un grand calme animé d’une authentique passion pour le 1 500 m nage libre, épreuve qui en effraierait plus d’un mais qu’il a décidé d’embrasser sans retenue. Rien d’étonnant donc à le voir rafraîchir le record de France de la spécialité (14’48’’90) lors des Jeux Olympiques de Rio, ses deuxièmes, où il s’est hissé jusqu’en finale (septième finalement). Locomotive du demi-fond tricolore, Damien Joly ambitionne désormais de s’illustrer dans un grand championnat international avant de se projeter sur les Jeux de Tokyo, en 2020, histoire de clore son aventure aquatique de la plus belle des manières.
A quelques semaines des championnats de France de Schiltigheim (23-28 mai 2017), où se joueront les qualifications pour les championnats du monde de Budapest, dans quel état d’esprit te sens-tu ?
Je me sens bien. Serein et déterminé (sourire)…
Déterminé ?
Oui, parce que j’avais à cœur de disputer une finale aux Jeux de Rio, l’été dernier, pour poursuivre ma progression. A Londres, quatre ans plus tôt, je m’étais un peu qualifié par hasard. A l’époque, je savais que je n’avais pas le niveau pour accrocher les meilleurs. Mais à Rio, je m’étais préparé comme jamais pour réaliser une grosse performance. En fait, j’ai passé quatre ans à peaufiner tous les détails pour aborder ce rendez-vous dans les meilleures conditions. Au final, ça n’a été que du plaisir, autant pour moi que pour mon entraîneur, Franck Esposito.
Qu’est-ce qui t’a manqué pour monter sur le podium ?
Un peu plus de dix secondes (rire)… Plus sérieusement, c’est ce qu’il va me falloir grignoter pour espérer monter sur la boîte aux Jeux de Tokyo. J’ai quatre années pour modéliser ma performance.
Est-ce une manière de dire qu’un 1 500 m nage libre doit être mécanique ?
Au risque de m’avancer un peu, je serais tenté de dire que toutes les épreuves aquatiques sont mécaniques. En natation, on a besoin de repères. Déjà, à l’époque de Franck, ses 200 m papillon étaient réglés comme du papier à musique.
A l’instar de tes 1 500 mètres ?
Je ne dirais pas que tout est programmé au millimètre, mais je connais le nombre de mes coups de bras par longueur, je sais comment je dois réagir en cas d’attaque ou si je me sens moins bien. Bref, tous les scénarii sont envisagés afin de ne laisser aucune place à l’improvisation. En général, j’ai une idée assez précise de ce qui m’attend quand je m’apprête à prendre le départ d’un 1 500 m nage libre. Et puis, c’est dans ma nature : j’aime maîtriser mon sujet à 100%. Sans cela, je ne me sens pas en pleine possession de mes moyens.
Est-ce aussi une manière de réduire la pression, notamment dans le cadre de grands championnats ou des Jeux Olympiques ?
Paradoxalement, je n’étais pas si stressé que ça à Rio. Il y avait bien un peu de tension, mais je me sentais bien parce que je savais que je m’étais idéalement préparé. Du stress, j’en ai davantage éprouvé lors des championnats de France de Montpellier (avril 2016). J’étais bien, mais pas à 100%. Et puis je savais que ce serait à moi de faire la course en tête pour décrocher ma qualification olympique.
A quoi penses-tu quand tu nages un 1 500 mètres, que ce soit lors des championnats de France ou aux Jeux Olympiques ?
Je me concentre sur mes sensations. J’écoute mon corps. J’essaie de laisser mon corps s’exprimer. Dès le départ je recueille des informations et je sais si ma course va être bonne ou pas. A Rio, par exemple, les sensations étaient incroyables. Dès les séries, j’ai su que rien ne pourrait m’arriver et que tout se passerait bien (sourire)…
Ce qui s’est vérifié avec le record de France (14’48’’90).
(Son sourire s’élargit)… C’est une course dont je me souviendrai toute ma vie. Dès le départ, j’ai senti que j’étais bien. Après 700 mètres, le Chinois Sun Yang, qui était dans la ligne d’eau voisine, décroche. Je me suis alors senti pousser des ailes. Pour autant, je suis resté concentré. A tel point que j’ai réussi à déborder le Canadien Ryan Cochrane en fin de course.
Qu’as-tu ressenti en touchant le mur et en découvrant ton chronomètre ?
Quand je touche, je suis d’abord déçu parce que je vois que je ne suis que quatrième. Il restait encore une série après ma course et je me suis dit que ça allait être compliqué d’entrer en finale. Mais après, je découvre mon temps et là… ce n’est plus que du plaisir.
Que retiens-tu de la finale olympique ?
Je l’ai abordé avec ambition, mais j’avais le sixième temps et je savais que j’avais nagé les séries à fond. Pour moi, cette course c’était d’abord un bonus, l’occasion d’emmagasiner de l’expérience. J’ai profité de m’aligner avec les meilleurs spécialistes du 1 500 mètres de la planète. D’ailleurs, l’ambiance dans la chambre d’appel était très chaleureuse. Tout le monde s’encourageait.
Et la course ?
Ça n’a pas été simple (rire)… Dès le départ, j’étais en retrait. J’ai essayé de m’accrocher pour revenir, mais les gars allaient trop vite. Au final, je termine septième en 14’52’’73 (son deuxième meilleur chrono personnel, ndlr) à plus de dix secondes du médaillé de bronze (l’Italien Gabriele Detti, 14’40’’86, ndlr). L’écart est important, mais c’est jouable. Je sens que j’ai la capacité pour progresser. La prochaine fois, je ferai mieux…
As-tu malgré tout le sentiment de faire d’ores et déjà partie du gotha mondial du demi-fond ?
J’ai déjà franchi la barre mythique des 15 minutes à plusieurs reprises, mais c’est vrai qu’une finale olympique a une autre saveur. Et puis, passer sous les 14’50, c’est quand même une sacrée performance. Sur le moment, je n’ai pas réalisé, mais en rentrant en France, j’ai pu mesurer le travail accompli.
Pour autant, le 1 500 m nage libre n’est pas l’épreuve la plus populaire. Est-ce que ça n’est pas un peu frustrant ?
Non, parce que je sais que je suis à ma place. Le 1 500 mètres, c’est ma course. J’ai les qualités pour m’y exprimer et l’envie de bien faire. Il est primordial de disposer d’athlètes comme Florent Manaudou ou Camille Lacourt qui brillent sur de courtes distances, mais il faut aussi des nageurs au long cours. Néanmoins, j’aimerais décrocher une médaille dans un grand championnat pour braquer les projecteurs sur le demi-fond. Sébastien Rouault et Nicolas Rostoucher l’ont fait. A présent, c’est à mon tour de m’illustrer. Et puis c’est aussi une manière d’entraîner de jeunes nageurs dans mon sillage.
Te considères-tu comme la locomotive du demi-fond tricolore ?
D’une certaine manière, c’est le cas parce que j’ai pris la suite de Sébastien et Nicolas en équipe de France. Je suis fier d’avoir repris le flambeau, mais j’ai aussi conscience que seuls les résultats me confèreront ce statut de locomotive. J’espère pouvoir élever mon niveau pour signer des résultats et donner à d’autres nageurs envie de s’aligner sur 1 500 m nage libre.
Au risque de te faire détrôner.
C’est le jeu (sourire)… Mais à moi de tout mettre en œuvre pour rester le leader du demi-fond français jusqu’aux Jeux de Tokyo. Ça passera forcément par de nouveaux records de France et des récompenses sur la scène internationale. Mais en travaillant, en continuant d’améliorer ma technique de nage, mes départs, mes virages et mes poussées sur le mur, je suis persuadé de réussir à faire descendre le chronomètre.
D’autant que comme nous l’a confié Franck Esposito, tu es un athlète calme et appliqué. Est-ce une qualité propre aux nageurs de 1 500 mètres ?
Non, je ne le crois pas. Ça fait partie de ma personnalité. Je suis calme, posé et respectueux. Je m’énerve très rarement, ce n’est vraiment pas dans mon tempérament. Et puis, en toute franchise, je trouve que bien souvent ça ne sert à rien. Moi, ce que j’aime, c’est travailler dans mon coin, prendre mon temps et m’appliquer jusqu’à atteindre les objectifs que je me suis fixé.
Quelle relation entretiens-tu avec Franck ?
Ça fait plus de trois ans que nous travaillons ensemble, avec les résultats que vous connaissez… Je trouve que l’on a trouvé le bon équilibre. Désormais, il me connaît bien. Il sait quand il doit hausser le ton ou, à l’inverse, quand il faut relâcher la pression. Il faut également savoir que l’environnement du CN Antibes me convient tout à fait. Certains nageurs ont besoin de se tirer la bourre à l’entraînement, mais ce n’est pas mon cas.
Tu préfères t’entraîner seul qu’évoluer au sein d’un groupe.
Nous sommes onze nageurs dans le groupe d’Antibes, je ne suis donc pas seul (sourire)… Mais c’est vrai que parfois, je termine mes séances en solo parce que les autres ont déjà fini. Heureusement, j’ai de temps en temps de la compagnie. Ainsi, le Tunisien Oussama Mellouli (double champion olympique sur 1 500 m nage libre et 10 km, ndlr) est venu s’entraîner à Antibes en novembre 2016. Ça m’a fait du bien de nager avec un athlète aussi expérimenté, mais en toute franchise, je ne sais pas si j’apprécierais ça tout au long de l’année.
Après une carrière en bassin, Oussama Mellouli a bifurqué vers l’eau libre avec succès. Est-ce une orientation qui pourrait te séduire ?
Oussama m’a dit que les nageurs de 1 500 mètres disposaient de qualités de vitesse qui pouvaient faire de grosses différences sur les épreuves en lac ou dans des bassins d’aviron, comme ce fût le cas aux Jeux de Londres. Mais il m’a également confié que nager en mer ou en rivière était très différent et parfois déstabilisant pour un athlète habitué au bassin.
C’est une réponse de Normand…
(Il sourit)… Pour le moment, ça marche bien pour moi en bassin, donc je ne me vois pas changer de registre. Malgré tout, je me dis qu’en effet, j’aurais des arguments à faire valoir sur 5 ou 10 km. Je ne suis pas fermé à l’idée de tenter l’expérience, mais à condition que cela ne perturbe pas ma saison en bassin.
Existe-t-il des liens privilégiés entre les nageurs de 1 500 mètres et les nageurs d’eau libre ?
Malheureusement, que cela soit en stage ou en compétition, nous nous côtoyons rarement. Je croise Marc-Antoine (Olivier) et Axel (Reymond) sur des rendez-vous internationaux, mais ils accumulent de telles charges de travail qu’ils sont bien souvent épuisés. Et quand ce n’est pas eux, c’est moi qui suis cramé (sourire)… Mais ce qui est certain, en revanche, c’est que ce sont de très gros bosseurs.
Parlons maintenant de ton avenir. Quelles seront tes ambitions aux championnats du monde de Budapest ?
J’espère d’abord continué à être performant à l’entraînement car les résultats viennent de là. Pour l’heure, je suis toujours animé par la passion de l’entraînement. J’aime nager, même lorsqu’il s’agit d’encaisser de grosses séances de 18 km (sourire)… Ensuite et compte-tenu de ce qui s’est passé aux Jeux de Rio, j’espère me qualifier sur 400 m nage libre pour accumuler de la vitesse et m’illustrer sur 800 et 1 500 m nage libre.
As-tu un objectif de médaille ?
Une médaille, ça fait rêver. Je travaille tous les jours à l’entraînement pour ça, mais dans le sport, rien n’est écrit à l’avance. C’est toute la beauté de l’aventure (sourire)…
Ce qui est certain, c’est que tu vas être attendu à Budapest, mais aussi et surtout à Schiltigheim, où se disputeront les championnats de France. Maintenant que tu as la pancarte de favori dans le dos, il va falloir assumer.
Ça ne me dérange pas. Au contraire, je suis fier de porter l’héritage du demi-fond français. Je me rappelle aussi que c’est à Schiltigheim, en 2011, que j’ai décroché ma première médaille individuelle sur la scène nationale (l’argent derrière Sébastien Rouault, ndlr). J’espère que ça me sourira encore.
Est-ce que ton statut va évoluer au sein de l’équipe de France ?
Je ne serais jamais le genre d’athlète à prendre les choses en main et à imposer ses vues. Il y a des leaders nés dans le groupe, à l’image notamment de Jérémy Stravius. De par son palmarès et son expérience, il est le patron du groupe masculin. Moi, je vais rester à ma place, mais si des jeunes ont des questions à me poser, je serais disponible.
Que réponds-tu aux sceptiques qui prétendent que la natation française va connaître des heures sombres ?
Il faut être lucide : ces dernières années, nous avons eu de très grosses têtes d’affiche, des nageurs comme Alain Bernard, Camille Muffat, Yannick Agnel ou Florent Manaudou… Mais la natation française ne manque pas de talents. Je suis les jeunes nageurs et il faudrait être aveugle pour ne pas mesurer leur potentiel.
Malgré tout, ils tardent à éclore au plus haut niveau.
La natation est un sport qui demande de la patience, beaucoup de travail et encore plus de courage. Le mieux, c’est encore de leur laisser le temps d’éclore plutôt que de douter continuellement de leur potentiel. A titre personnel, je reste convaincu que le travail et l’envie sont les principaux moteurs de développement. Plus jeune, je regardais Alain Bernard, Boris Steimetz, Christophe Lebon ou Mylène Lazare s’entraîner dans le bassin antibois. Je n’avais qu’une hâte : les rejoindre en équipe de France !
Franck nous a confié avoir parfois éprouvé de la lassitude à l’entraînement. Tu dis être passionné, mais ne redoutes-tu pas d’être un jour ou l’autre rattrapé par une certaine routine ?
Ce serait mentir de prétendre que je viens nager tous les jours avec la même motivation. C’est vrai que la natation peut être parfois lassante, mais au-delà des seuls entraînements, je garde toujours en tête les raisons qui me poussent à accumuler 15, 18 ou parfois 20 km au cours d’une séance. Comme je le disais précédemment, mes performances seront à la hauteur du travail accompli à l’entraînement. Il n’y a pas d’autre secret !
Recueilli par Adrien Cadot