En finale A sur 50 m papillon lors des derniers championnats de France à Montpellier, l’Ukrainien de l’Alliance Dijon Natation, Danylo Matokhniuk vit avec déchirement l’invasion de la Russie dans son pays natal. Installé en France depuis 2016, le sprinteur de 22 ans étudiant en deuxième année de LEA à l’Université de Bourgogne reste en contact permanent avec sa famille sur place. Ce samedi (5 mars), à l’occasion des séries des championnats régionaux de printemps, il arborait le maillot de la délégation ukrainienne aux Jeux olympiques de Tokyo.
Danylo, déjà, comment allez-vous ?
Je suis préoccupé par rapport à ma famille. Moi, je suis en France, donc ça va. Mais je prends des nouvelles tous les jours, quand tu vois qu’il y a des bâtiments bombardés, que tes grands-parents sont dans la ville (Vinnytsia), tu as peur. Il y a des occupants et des Russes partout. Ma ville est à 200 bornes de Kiev.
Comment aviez-vous appris l’invasion russe ?
J’étais en stage au Portugal. Le matin, j’ai vu que la cryptomonnaie avait chuté, j’ai compris directement. Je suis allé sur Twitter et j’ai vu les nouvelles. J’ai pleuré, je n’étais pas bien, j’ai envoyé des messages à mon cousin, mes grands-parents pour savoir s’ils étaient vivants. Ils m’ont assuré que tout allait bien dans leur ville, ça allait pour le moment. Je continue à prendre des nouvelles tous les jours et je suis l’actualité à travers des sites Télégram ukrainiens, je suis le président ukrainien…
(Photo : Bien Public/Rémi Chevrot)
Aujourd’hui, cela occupe intégralement votre esprit ?
Oui, même en nageant je n’arrive pas à déconnecter. Tu ne t’attends pas à ça, tu ne sais pas comment réagir quand il y a une guerre qui éclate dans ton pays alors que tu n’es pas dans ton pays. Je me sens partagé, j’ai eu à de nombreuses reprises l’idée de partir en Ukraine pour les aider, mais je ne peux pas lâcher ma famille non plus.
Que vous dit votre famille en Ukraine ?
Ils sont tous motivés et persuadés qu’ils vont gagner et se débarrasser des Russes. On voit qu’il y a beaucoup de Russes qui sont contre cette guerre aussi. Des grands sportifs dans le tennis et la natation ont déjà dit qu’ils n’étaient pas d’accord. On a pu voir des footballeurs russes également. Pour revenir à la question, ils sont tous motivés et ça me rassure. Mon cousin fait le volontaire et il m’assure qu’ils ont beaucoup plus de motivation que les Russes pour gagner cette guerre.
(Photo : Bien Public/Rémi Chevrot)
Vous avez quitté l’Ukraine en 2016, quels liens gardiez-vous avec ce pays ?
J’y suis retourné pour la première fois cet hiver à l’occasion des championnats d’Ukraine (la semaine avant les France à Montpellier). Je suis passé par des endroits qui aujourd’hui n’existent plus. Le métro que j’ai pris pour aller jusqu’à l’aéroport, son entrée n’existe plus.
Sur place, fin 2021, sentiez-vous que de tels évènements pouvaient arriver ?
Là-bas, c’était une routine. Depuis 2014 et le Donbass, cette pression était « normale » pour les Ukrainiens. Quand j’étais en Ukraine, j’ai reçu des messages d’amis français en me disant qu’ils avaient vu des informations comme quoi il y avait beaucoup de Russes à la frontière. Je demande à mon cousin et il m’avait répondu : « Comme d’habitude, ça ne change pas ». Les gens savaient que ça allait arriver un jour, on ne savait pas quand. Il n’y avait pas de tension quand j’étais là-bas. L’Ukraine était « prête » pour se défendre.
(Photo : Bien Public/Rémi Chevrot)
En France, on assiste à des manifestations de soutien pour l’Ukraine. Cela doit vous toucher ?
J’ai participé à celle de Besançon (fin février). C’est touchant de voir les Français supporter les Ukrainiens. J’ai vu un monsieur porter une plaque « Poutine hors de l’Ukraine ». Je l’ai envoyé à mon cousin, ça aide mentalement de savoir que les gens supportent l’Ukraine.
Représenter l’Ukraine un jour sur la scène internationale est-il un objectif encore plus fort désormais ?
Aujourd’hui, je suis à quatre dixièmes des temps pour les Euro (Rome, 10-21 août) et les Mondiaux (Budapest, 18 juin-3 juillet). Pendant le stage à Porto, on a fait des séries de sprint et je n’avais nagé aussi vite à l’entraînement. Il y a une progression. Si j’arrive à me qualifier et représenter le drapeau ukrainien, ça sera une réussite. Je ne sais pas si je vais réussir cette saison, car quatre dixièmes sur un 50, c’est énorme, mais ça serait une fierté.
Propos recueillis par Claire Robert