Denis Auguin, 51 ans, ancien entraîneur d’Alain Bernard, unique champion olympique tricolore du 100 m nage libre (Pékin 2008), a rejoint en tant que responsable de la relève le nouveau staff de l’équipe de France de natation chapeauté par le Néerlandais Jacco Verhaeren. Une mission dont il a accepté de nous présenter les enjeux à l’occasion de la première journée des championnats de France de Montpellier (9-12 décembre).
Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre le staff de l’équipe de France à trois ans des Jeux olympiques de Paris ?
Il faut d’abord expliquer que cela ne s’est pas fait en trois mois. Cela fait déjà quelques années que je discute avec le DTN (Julien Issoulié, en poste depuis septembre 2016). Il me sollicite sur certaines questions et je lui fais part de mes retours et impressions. Depuis le printemps dernier, les choses sont devenues progressivement plus concrètes. Julien m’a demandé de prendre des responsabilités, cela avant même que Jacco soit officiellement nommé. Quant à ma décision en elle-même, je crois qu’elle tient dans ma volonté de transmettre. Je ne fais pas ce métier pour garder mes observations pour moi ou rester seul dans mon coin. Non, l’important, c’est de partager !
C’est d’ailleurs le slogan de Paris 2024 : « Les Jeux en héritage ». Pour autant, on a le sentiment que ces dernières années, la natation tricolore a progressé un peu chacun de son côté plutôt que de concert.
D’où la volonté de Julien (Issoulié) de réorganiser le staff de l’équipe de France. Avec Jacco (Verhaeren), nous avons pour mission de fédérer, de faire travailler tous les acteurs de l’équipe de France ensemble, ce qui n’est jamais une chose facile. En évoquant le sujet avec des entraîneurs d’athlétisme, j’ai d’ailleurs constaté qu’il en allait de même de leur côté. Je ne sais pas si cela tient au fait que nous sommes des sports « individuels », sans doute un peu, mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il faut revoir notre mode de fonctionnement et d’échange.
Pour résumer, l’idée, c’est donc que Jacco et vous évoluiez au-dessus de la « mêlée » pour prendre le recul nécessaire, c’est bien cela ?
En France, on a une vision déformée du rôle de manager. Un manager, ce n’est pas celui qui fait tout. Au contraire, c’est quelqu’un qui est déchargé de l’opérationnel, quelqu’un qui prend de la hauteur et du recul, qui trouve le temps d’analyser pour impulser le bon rythme et la bonne direction au collectif. D’où la nécessité de réorganiser le staff national, de définir clairement les missions des uns et des autres et de faire en sorte que nos collaborateurs soient clairement identifiés par les nageurs, les entraîneurs et tous les acteurs de la natation française. Il s’agit donc d’un processus de « clarification » des prérogatives. Cela nous aura pris plusieurs mois, mais l’organisation est désormais établie.
(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire)
Cela ressemble à un virage « anglo-saxon », tant dans le pragmatisme que dans l’autonomisation et la responsabilisation des acteurs de la discipline ?
Oui, il y a un peu de ça, c’est vrai ! Le constat a été simple : de quoi avons-nous besoin pour performer à Paris en 2024 ? Une fois nos impératifs ciblés, nous (Jacco et lui) nous sommes demandés qui serait le meilleur à chacun de ces postes. Charge ensuite à chacun de tout mettre en œuvre pour servir les intérêts de l’équipe de France. Mais c’est un fait, la présence de Jacco me fait du bien…
A quel niveau ?
C’est d’abord un excellent communicant. Et puis, il est hyper pragmatique…
Comment ça ?
Moi, j’écris, par exemple, alors que lui, il fait des schémas. Au moment de passer à l’action, cela fait une grosse différence. Je crois malgré tout qu’il a été surpris par le poids de notre « bureaucratie ». Il n’en demeure pas moins qu’il a rapidement remarqué lors des nombreux voyages que nous avons fait depuis septembre à travers le pays qu’il y a beaucoup d’endroits pour faire du haut niveau en France. Le problème, ce n’est pas une question d’infrastructures.
Quel est-il alors ?
Je crois que cela tient surtout à une histoire de densité : nous manquons de vivier.
Le DTN Julien Issoulié et le Directeur des équipes de France Jacco Verhaeren lors des Euro 25 m de Kazan (Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire).
On a le sentiment que la question de la relève est au cœur des préoccupations depuis plusieurs années. Pourtant, cet été, aux Jeux de Tokyo, une nouvelle génération s’est illustrée dans le sillage de Florent Manaudou (médaillé d’argent du 50 m nage libre) : Maxime Grousset (4e du 100 m nage libre olympique), Marie Wattel (6e du 100 m papillon), Léon Marchand (6e du 400 m 4 nages) et les demi-finalistes olympiques Antoine Viquerat, Cyrielle Duhamel, Yohann Ndoye Brouard et Mewen Tomac.
A mon sens, tous ces nageurs ont la capacité de disputer une finale aux Jeux de Paris. Pour le podium, c’est une autre histoire. Entre la 4e et la 3e place olympique, il y a un gouffre, mais ce n’est rien entre l’écart qui sépare une médaille de bronze d’un titre olympique. Malgré tout, je suis convaincu que cette nouvelle génération a les capacités de figurer parmi les meilleurs nageurs du monde d’ici trois ans.
Le délai qui nous sépare des Jeux de 2024 n’est donc pas trop serré ?
Est-ce qu’on a le choix ? Non, alors il faut composer avec. Il n’empêche, nous devons nous densifier. Notre réservoir d’élite est trop restreint. Un nageur comme Florent Manaudou, par exemple, ce n’est presque déjà plus de notre ressort. Il a une telle expérience du haut niveau. Florent se connaît par cœur. Il sait ce qu’il doit mettre en œuvre pour atteindre ses objectifs. Notre rôle, c’est surtout d’accompagner les jeunes nageurs en devenir, ceux qui découvrent l’environnement du très haut niveau mondial.
N’avez-vous toutefois pas l’impression que l’écart entre les nations phares de la discipline (Etats-Unis, Australie, Russie) et la France et l’Europe s’est creusé ces dernières années et notamment aux Jeux de Tokyo ?
Qu’est-ce qu’on compare exactement ? Les USA comptent 330 millions d’habitants. En France, nous sommes 70 millions. Pour égaler le poids de la population américaine, il faut regrouper plusieurs nations européennes. Clairement nous ne faisons pas le poids. La vraie différence, selon moi, c’est l’Australie qui, de par sa culture et son organisation, demeure une exception. L’Australie, c’est 25 millions d’habitants. Reste que tous les gamins de 12 ans savent nager un 4 nages. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils s’orientent tous vers la natation, mais en termes de densité, ils disposent d’un vrai vivier.
Recueilli à Montpellier par Adrien Cadot