A l’issue du championnat d’Europe de water-polo organisé à Budapest du 12 au 26 janvier 2020, les équipes de France féminine et masculine ont connu des trajectoires opposées. Si les Bleues ont atteint leur objectif en se classant septièmes, décrochant par la même leur ticket pour le tournoi de qualification olympique qui se disputera à Trieste du 5 au 15 mars prochain, les garçons terminent, eux, treizièmes. Surpris d’entrée par la Géorgie (7-9 le mardi 14 janvier), ils ne participeront pas au TQO en mars et ne verront ni les Jeux de Tokyo ni le championnat du monde 2021. A l’heure du bilan, le Directeur technique national Julien Issoulié refuse cependant de s’appesantir sur ce qui n’a pas fonctionné, préférant d’ores et déjà se projeter vers l’avenir qui doit permettre aux formations tricolores de performer dans quatre ans aux Jeux olympiques de Paris.
L’équipe de France masculine a achevé le championnat d’Europe hongrois sur une treizième place qui ne reflète aucunement l’ambition initiale et encore moins son niveau de performance. Que retenez-vous de leur Euro ?
C’est un échec ! Même si dans le jeu nous avons montré que la défaite inaugurale face à la Géorgie n’était qu’un accident, sportivement, nous sommes loin de l’objectif initial, à savoir participer au tournoi de qualification olympique qui se jouera à Rotterdam en mars prochain.
Sans parler également du championnat du monde 2021 auquel les Français ne participeront pas.
L’équipe de France masculine va sortir du circuit international pendant deux ans. Sportivement, c’est long, très long… Cependant, il ne faut pas tout noircir. Les joueurs tricolores ont montré après le revers face à la Géorgie qu’ils avaient du caractère en résistant face aux Italiens et aux Grecs. Surtout, les Bleus ne se sont pas désunis face aux Pays-Bas et à la Slovaquie. A présent, il importe de se projeter vers l’avenir.
« L’avenir », c’est d’abord les Jeux de Paris en 2024 ?
Voilà, c’est ça notre objectif ! Compte-tenu de cet échec sportif, qu’est-ce que nous pouvons mettre en place pour que le groupe masculin continue de progresser et puisse aller jouer une demi-finale olympique à Paris dans quatre ans ? C’est ça la vraie question. C’est même la seule question qu’il faut se poser.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Comment combler le déficit de compétition pendant les deux prochaines années ?
Il nous faut encore bien tout mesurer, mais néanmoins il me semble d’abord fondamental d’entamer une phase de développement de nos joueurs. Il faut trouver le moyen de pousser les curseurs de l’équipe, tant sur les plans technique, physique, mental et tactique. Je m’explique. Il y a quelques années, l’Espagne a manqué coup sur coup deux championnats du monde. Comment ont-ils rectifié le tir ? Ils ont réalisé un gros travail technique soutenu par un développement physique tout simplement extraordinaire. Aujourd’hui, les Espagnols sont l’une des formations les plus solides du monde. Il faut vraiment être très costaud pour les bouger ou les prendre de vitesse. En parallèle, il faut permettre à l’équipe de France de se confronter aux meilleures nations mondiales pour garder le contact avec le très haut niveau et, enfin, faire en sorte de rester dans le paysage international en gardant un contact privilégié avec l’arbitrage international par exemple, faire venir de bons arbitres si, à terme, nous organisons une compétition en France. Voilà les trois axes prioritaires de développement, mais ce n’est pas suffisant.
A quoi pensez-vous également ?
Il faut que les clubs et le championnat participent à ces efforts de progrès. Il faut que nous arrivions à réfléchir avec les clubs à une manière innovante d’animer notre championnat, mais aussi de partager la même vision sur l’équipe nationale. Le quotidien des joueurs est essentiel et c’est là aussi qu’il faut travailler à des performances supérieures. En 2016, l’année où les Bleus se qualifient pour les Jeux de Rio, beaucoup de nos joueurs évoluaient à l’étranger et disputaient la Ligue des champions. Cette année, Marseille participe à cette compétition et y réalise de bons résultats. Moi, ce qui m’intéresse, c’est combien de défenseurs pointes, de buteurs, de pointes, de gardien évoluent prioritairement dans notre championnat et le plus souvent possible au haut niveau. La place des internationaux dans les prises de décisions de leurs équipes respectives est fondamentale pour ambitionner une équipe de France performante.
En parlant des JO de Rio, on a le sentiment que la dynamique amorcée en 2016 a fait naître des espoirs sans réellement changer le water-polo tricolore en profondeur.
Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. En 2016, beaucoup de joueurs ont bataillé pendant de longues années pour qualifier l’équipe de France aux Jeux olympiques. Après le TQO de Trieste, certains étaient épuisés. D’autres ont pris du recul avec leur sport en rentrant de Rio. Dans le même temps, de jeunes joueurs sont arrivés pour renforcer l’équipe de France. Avec un peu de recul, j’ai le sentiment que tout le monde à un peu oublier les efforts incroyables réalisés pour se qualifier aux Jeux en 2016. Or, pour un pays comme le nôtre, c’est un challenge à relever tous les quatre ans. Avec Florian (Bruzzo, ancien sélectionneur du groupe masculin aujourd’hui à la tête du collectif féminin), nous savions pertinemment que le rebond post Rio serait très compliqué à gérer.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Pour autant, l’équipe de France masculine est respectée par ses adversaires.
Tous nos adversaires ont salué le travail accompli pour retrouver les Jeux en 2016. Mais depuis Rio, nous n’avons pas réussi à saisir les moments clés. A nouveau, nous sommes entre deux eaux et, forcément, c'est difficile à gérer et cela peut être source de frustration. Nous jouons bien contre les grosses équipes, malheureusement sans gagner, mais nous ne sommes pas réguliers face aux autres. Pour passer le cap contre de grosses cylindrées, il faut que nous soyons en capacité de toujours battre les autres équipes. Donc, je le répète, pour saisir ces moments clés, il est primordial d’accompagner nos internationaux dans leur quotidien tout en permettant à l’équipe de France de défier régulièrement les meilleures formations internationales.
La création d’un Centre national d’entraînement dédié aux garçons à l’image de celui inauguré à l’INSEP en septembre 2018 pour les filles ne pourrait-il pas être une solution ?
Je suis un fervent défenseur de ce projet. Aujourd’hui, je crois qu’en water-polo masculin on paye surtout l’arrêt de l’INSEP en 2013 car il n’y a malheureusement pas ou peu de concurrence entre les joueurs de 22 et 26 ans. Néanmoins, à l’heure actuelle je ne suis pas certain que ce soit la solution et notamment si l’objectif principal est de rentrer en ½ finale des JO.
Pourquoi ?
Au regard des délais qui nous séparent des Jeux de Paris, je pense qu’il y a plus urgent. Un Centre national d’entraînement nous permettrait de disposer d’une nouvelle génération de joueurs d’ici cinq à six ans. Or, compte-tenu des moyens dont nous disposons, la priorité, pour le moment, c’est de développer les joueurs du collectif national dans la perspective de 2024. Malheureusement, nous n’avons pas les ressources pour mener toutes ces batailles simultanément.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Tout au long du championnat d’Europe hongrois, des joueurs tricolores ont réclamé une profonde remise en question des instances dirigeantes. Que leur répondez-vous ?
Je dirais qu’ils manquent de lucidité. La Fédération Française de Natation s’est déjà largement remise en question. Deux entraîneurs nationaux ont été nommés à la tête des sélections masculine et féminine. Il y a désormais une chargée de communication et un site internet dédié à la discipline, un DTN issu du water-polo, des animations comme le Water-Polo Summer Tour ou le Hopla Cup pour les plus jeunes, des tablettes numériques pour soutenir le développement du championnat élite… La fédération essaie d’améliorer les choses, elle entreprend, elle tente de structurer, de donner un cadre, mais l’économie du water-polo reste limitée. Il n’y a de complot contre personne : ni contre les joueurs, ni contre les clubs, ni contre l’équipe de France et son sélectionneur, contre personne… Les instances dirigeantes auxquelles vous faites allusion font tout ce qu’elles peuvent avec les moyens dont elles disposent pour permettre aux collectifs nationaux d’être performants.
Alors comment expliquer cette défiance récurrente à l’égard de la fédération ?
Peut-être que nous communiquons mal ou pas assez auprès des joueurs. Peut-être aussi que c’est facile de taper sur la fédération… Mais qu’on se comprenne bien, je ne dis pas que la fédération est irréprochable. Nous pouvons faire mieux et nous travaillons à nous améliorer. Mais honnêtement, tout est mis en œuvre pour soutenir et aider les joueurs français. Quelle meilleure préparation pour l’Euro auraient-ils pu faire ? Ils ont joué le Monténégro, l’Allemagne et la Géorgie dans un cadre propice à la performance et avec un encadrement de grande qualité. Peut-être effectivement comme évoqué à l’instant nous pourrions peut-être faire mieux sur la logistique ou nos hébergements. Si ce n’était que notre principal souci, ça irait selon moi… Je suis prêt à tout entendre, mais je refuse que l’on se cherche des excuses pour expliquer une performance ratée. Ça, je ne l’accepte pas.
Restez-vous malgré tout optimiste pour les Jeux de 2024 ?
Absolument ! Je suis convaincu que nos joueurs ont du potentiel. J’ai totalement confiance en eux, mais je refuse que nous allions aux Jeux pour participer. Moi, ce qui m’importe, c’est de gagner un quart de finale. Voilà mon objectif pour 2024 : disputer une demi-finale ! Avec l’engouement de jouer à la maison tout est possible ! On parle des Jeux olympiques, la compétition suprême, le rendez-vous le plus important dans le monde du sport. C’est là-bas que j’ai envie de briller et de voir nos équipes de France s’illustrer.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Dans cette perspective, doit-on voir dans la défaite face à la Géorgie la fin d’un cycle et le début d’une nouvelle dynamique ?
Je ne parlerais pas de cycle, mais plutôt de façon de penser. Il faut aborder les choses différemment. Il faut se rappeler d’où on vient et ce que représente le water-polo en France. Je ne dis pas qu’il ne faut pas être ambitieux, mais soyons réaliste un instant : nous ne sommes pas une grande nation sur l’échiquier poloïstique mondial. Pour autant, nous avons des armes, des atouts, d’excellents joueurs, des clubs ambitieux et structurés, des entraîneurs compétents et reconnus… Voilà ce qu’il faut mettre en avant, voilà sur quoi il faut s’appuyer pour aller aux Jeux de Paris. Comment on glisse l’idée qu’encore une fois il faut que tout le monde travaille plus avec plus d’exigence et que le projet de l’équipe de France soit quotidien dans la tête de tous.
La treizième place des Bleus à l’Euro hongrois remet-elle en cause l’avenir du sélectionneur Nenad Vukanic ?
Absolument pas ! Je vais vous dire, le mercredi 15 janvier, au lendemain de la défaite face à la Géorgie, j’ai retrouvé Nenad au petit-déjeuner. J’ai senti qu’il doutait, mais j’ai coupé court à tout flottement en lui donnant immédiatement rendez-vous le 6 février prochain à la fédération pour une grande réunion avec les clubs. Réunion durant laquelle il sera question de l’avenir de la discipline. Pour moi, Nenad est l’homme de la situation. Je compte sur lui. Il a connu le haut niveau. Il a été un immense joueur, puis un entraîneur adjoint dans une équipe très performante. C’est normal qu’il se remette en question parce que c’est un professionnel. L’inverse m’aurait étonné. Mais je sais qu’il est d’ores et déjà concentré sur la suite et qu’il réfléchit à la meilleure manière d’améliorer les choses et de rendre ce groupe performant.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Parlons maintenant de l’équipe de France féminine. Que retenez-vous de leur Euro en Hongrie ?
Les Françaises ont atteint l’objectif fixé : décrocher un ticket pour le tournoi de qualification olympique qui se jouera à Trieste début mars. Je trouve qu’elles progressent là-dessus, mais les défaites sont encore trop lourdes. Elles sont moins loin dans le jeu que par le passé, mais les scores sont encore trop larges contre l’Italie et la Grèce. Les filles peuvent être déçues, mais elles sont dans une dynamique de progrès, l’ambiance dans le groupe saine et stimulante et je trouve que l’intégration de quelques jeunes joueuses issues du Centre national d’entraînement de l’INSEP est positive. Il faut maintenant aborder les matchs avec la volonté de battre les adversaires plus forts et pas de se contenter de mieux jouer ou de bien jouer contre ces équipes.
Un an et demi après avoir inauguré le Centre d’entraînement national à l’INSEP, les résultats sont-ils à la hauteur de ce que vous en attendiez ?
C’est une vraie réussite ! D’autant que l’année dernière, nous n’avons pas tout fait parfaitement…
C’est-à-dire ?
On aurait pu être meilleur. Je n’ai pas peur de le dire. Florian (Bruzzo) avait encore la double casquette Directeur de la discipline et entraîneur national du groupe féminin. Nous avons également imposé un rythme de travail trop fort dès le début alors que certaines filles n’étaient pas prêtes à encaisser pareilles cadences d’entraînement. Mais comme je le disais précédemment, je ne me cherche pas d’excuses. J’assume tous nos choix et les erreurs qui, parfois, en découlent. Reste que nous en avons tiré des leçons. Aujourd’hui, tout fonctionne beaucoup mieux et ça se voit pendant les rencontres. J’apprécie quand je vois les jeunes qui ne se dégonflent pas et qui prennent leur responsabilité !
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
N’y a-t-il malgré tout pas encore un petit complexe tricolore à l’égard des équipes du top mondial ?
Dans le jeu, c’est encore le cas, mais c’est en train de changer car Florian aime que ses équipes tentent des choses. Il est plus simple de canaliser les énergies que l’inverse. Parfois, les filles hésitent à prendre des shoots ou manque simplement d’agressivité face aux défenses adverses. Le water-polo est un jeu simple ou parfois il ne faut pas trop se poser de questions. Les Hongroises ou d’autres nations devant nous, ne s’en posent pas. Elles envoient ! Il faut que nos joueuses prennent confiances parce que si on ne marque pas de buts, il sera difficile d’aligner les victoires.
Recueilli à Budapest par Adrien Cadot