Après vingt mois d’absence consécutifs à une opération de l’épaule qui aura nécessité une longue convalescence, Anna Santamans a retrouvé la compétition à l’occasion de l’étape marseillaise du FFN Golden Tour-Camille Muffat. Un retour sur 50 m nage libre, son épreuve de prédilection, soldé par une cinquième place en 25’’39 (son record personnel et record de France réalisé aux Mondiaux de Budapest en 2017 est de 24’’54, ndlr). Satisfaisant donc, mais pas encore suffisant pour renouer avec l’élite internationale. Qu’à cela ne tienne, Anna savoure son plaisir d’être redevenue, le temps d’un meeting, une nageuse de haut niveau.
Anna, d’abord, comment vas-tu ?
Je vais bien ! Ma blessure n’est pas encore complètement réglée, l’épaule c’est très complexe à soigner, mais je me sens en forme. Reste que les médecins m’ont prévenu : j’aurais dorénavant un travail spécifique à réaliser sur mon épaule. Sans compter que j’ai perdu du muscle pendant mon indisponibilité. Il va falloir que je retrouve progressivement de la force. Cela va forcément prendre du temps, mais je peux quand même nager. C’est le plus important (sourire)…
Vingt mois d’indisponibilité, c’est long !
C’est la première fois de ma carrière que je suis contrainte de m’arrêter aussi longtemps. Jusqu’alors je m’interrompais un mois et demi pendant les vacances d’été, mais là, ça n’a absolument rien de comparable…
Ça laisse le temps de cogiter.
Oui, ça laisse, en effet, pas mal de temps pour se retrouver face à soi-même…
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
As-tu douté ?
Je suis, en effet, passée par des phases de doute. Je me suis posée beaucoup de questions, trop sans doute, mais je n’étais pas préparée à affronter pareille coupure. Au début, le chirurgien qui m’a opéré m’avait annoncé quatre mois d’interruption avant de retrouver la compétition. Ce que je n’avais pas compris, c’est qu’il s’agissait de quatre mois, dans le meilleur des cas…
Le meilleur ne s’est pas produit.
Au bout de quatre mois, je me suis remise à l’eau. J’ai même posté des vidéos sur les réseaux sociaux, mais je ne pouvais rien faire en réalité. J’allais à une allure ridicule et j’avais surtout mal à l’épaule. Là, j’ai compris que ça allait être plus long que prévu.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
De quelle manière as-tu géré la douleur ?
Les médecins et les kinés n’ont d’abord pas trop compris pourquoi j’avais encore mal. Ensuite, ils m’ont dit que mes douleurs venaient du système nerveux, mais que ça ne m’empêcherait pas de reprendre. Sauf que dans l’eau, je souffrais à chaque séance. Finalement, j’ai revu mon chirurgien en septembre 2018 qui a fini par me dire que la douleur avait sans doute pour origine les vis que j’avais dans l’épaule.
Quelle décision a été prise pour te soulager ?
On me les a retirées. Depuis, les douleurs ont disparu. J’ai repris la musculation en décembre, puis l’entraînement en janvier 2019. Quand j’ai repris, je nageais 2 000 mètres et j’étais morte, totalement cuite.
Un nouveau combat à mener, long et difficile : retrouver son niveau de performance.
Celui-ci n’a cependant rien de comparable avec ma convalescence.
Pourquoi ?
Parce que j’étais enfin libre de m’entraîner, libre de retrouver ma place au club et dans la ligne d’eau… La natation m’a énormément manqué ! Pendant ces vingt mois, je me suis rendue compte que je ne nageais pas par défaut. C’est vraiment ma passion, le truc que j’aime faire et dans lequel j’ai envie de m’investir.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
As-tu suivi les championnats d’Europe de Glasgow, l’été dernier ?
Il n’y a pas très longtemps, on m’a fait lire l’interview que le défenseur de l’équipe de France de football Laurent Koscielny avait accordé au journal L’Equipe après la victoire des Bleus en Coupe du monde. Je me suis vraiment reconnue dans ce qu’il disait…
Comment ça ?
Il racontait qu’il regardait jouer ses partenaires, mais qu’il n’avait qu’une envie : qu’ils perdent ! En même temps, il se sentait mal de penser ce genre de chose. J’ai éprouvé sensiblement la même chose. Pendant les championnats d’Europe de Glasgow, il m’est arrivée de pleurer devant ma télévision parce que c’était trop dur de voir les Françaises réussir alors que j’étais sur mon canapé à ne rien pourvoir faire.
Sans compter qu’il ne faut évidemment rien exprimer.
Non, c’est quelque chose qui ne se dit pas ! C’est exactement ce qui m’a plu dans l’interview de Laurent Koscielny. Il a osé mettre des mots sur sa frustration. C’est fort d’en parler car non seulement c’est un sentiment humain, mais c’est quelque chose qu’il ne faut pas garder pour soi.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
D’autant plus que dans ton cas, Charlotte Bonnet, Fantine Lesaffre, Marie Wattel, Béryl Gastaldello ou Mathilde Cini, par exemple, sont des filles de ta génération.
Aujourd’hui encore, je me dis que j’aurais dû faire partie de cette aventure. Surtout qu’en 2017, j’avais connu une belle année. A l’époque, je m’étais alors dit que les championnats d’Europe de Glasgow allaient arriver au bon moment et que j’aurais certainement l’occasion de m’illustrer. Peut-être pas de faire une médaille, mais de poursuivre ma progression et de continuer à emmagasiner de l’expérience au plus haut niveau. Et puis d’un coup, tout s’est arrêté…
As-tu le sentiment d’avoir mûri ?
Quand j’entends des gens dire « Ce qui ne tue pas, rend plus fort », ça m’agace un peu. Je trouve que c’est un raccourci.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Malgré tout, c’est le genre d’épreuve qui endurcit.
Quand on touche le fond, il est difficile d’aller plus bas. Il n’y a alors plus qu’à pousser un grand coup pour remonter à la surface. Donc oui, j’ai mûri pendant cette période. Cette blessure m’a fait grandir, mais à quel prix…
Lequel ?
Je n’étais absolument pas préparée à vivre tout ça. Je suis passée par des moments de doute que j’ai eu du mal à surmonter. Ça a tout remis en cause. Je me suis même dit qu’il allait falloir que je me remette aux études alors que je n’en avais pas du tout envie. Moi, je suis une nageuse. C’est aussi ça qui m’a permis de ne pas lâcher. Je me disais que je n’avais pas fait tout ça pour rien et que si j’arrêtais sans me donner les moyens de revenir, j’allais le regretter.
Dans ce contexte, que représente cette finale du 50 m nage libre au FFN Golden Tour-Camille Muffat ?
J’en ai rêvé de cette course. Peu importe le chrono ou la place (cinquième en 25’’39), j’avais juste en tête de monter sur le plot et de prendre le départ.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Quelles ambitions nourris-tu pour les championnats de France de Rennes (16-21 avril) ?
Cette année, les championnats de France ne seront qu’un point de départ. Je suis engagée dans un processus de reconstruction qui va prendre du temps. On verra où j’en suis en fin de saison. Pour l’heure, j’avance une course après l’autre. Pas question de se précipiter et de brûler les étapes. J’espère malgré tout que je pourrais disputer une compétition internationale cet été. Mais si ça n’arrive pas cette année, ce n’est pas grave. Mon objectif, ce sont les Jeux Olympiques de Tokyo. J’ai un an devant moi pour être prête.
On entend souvent dire que les muscles ont une mémoire. Après vingt mois d’interruption as-tu retrouvé tes sensations de nageuses ?
Je n’ai pas recommencé à zéro, même si je n’en étais pas loin, mais c’est vrai que j’ai quand même dû réapprendre pas mal de trucs. D’autant plus qu’à la base, je ne suis pas vraiment faite pour passer autant de temps dans l’eau (sourire)…
C’est-à-dire ?
Je ne flotte pas ! Mais bon, ça revient. Pas aussi vite que je le voudrais, mais petit à petit, je redeviens une nageuse de haut niveau.
(KMSP/Stéphane Kempinaire).
Ce retour n’est-il pas aussi une occasion de faire le « tri » d’une certaine manière parmi tous les modes d’entraînement auxquelles tu as été confrontée dans ta carrière ?
Je ne cherche pas à retrouver la façon dont je nageais avant. Sachant aussi que je travaille avec un nouveau coach (Julien Jacquier) et que je découvre sa méthode. Mais c’est vrai que c’est enrichissant. J’arrive à un moment de ma carrière où je dispose de suffisamment d’expérience pour savoir ce qui me correspond vraiment.
En restant focalisée sur le 50 m nage libre, ton épreuve de prédilection.
Oui, toujours (sourire)… Et puis je manque encore d’entraînement pour m’aventurer sur le 100 mètres. On verra l’année prochaine, mais là, le plus important, c’est de retrouver de la force et de l’endurance.
Recueilli à Marseille par A. C.