À Toulouse depuis le début du confinement, Joris Bouchaut commence à apercevoir le bout du tunnel, comme tous les Français qui vont retrouver certaines libertés lundi 11 mai. Mais beaucoup de questions restent en suspens et compliquent cette reprise, où les nageurs vont devoir renouer avec l’eau pour retrouver leurs sensations et leur niveau d’avant le confinement.
Sais-tu quand est-ce que vous pourrez reprendre l’entraînement ?
On s’oriente vers une reprise la semaine prochaine sans avoir de dates précises. Nous attendons encore les annonces officielles de la Ministre des Sports, qui devraient donner des réponses aujourd’hui. Il faut également qu’on attende les décisions de la Mairie de Toulouse qui a la gestion de la piscine. Normalement, la semaine prochaine on devrait pouvoir se retrouver, et si ce n’est pas dans l’eau, ce sera pour d’autres activités physiques.
D’autant que vous disposez d’un bassin extérieur, ce qui peut vous permettre de reprendre plus rapidement.
On sait très bien que si nous avions évolué dans une piscine intérieure, cela aurait été très compliqué. On a la chance de disposer d’un bassin extérieur et nous ne sommes pas les seuls en France. Ça peut peut-être nous permettre de reprendre plus rapidement l’entraînement dans l’eau.
Comment imagines-tu cette reprise ?
J’avoue que j’ai encore du mal à l’imaginer parce qu’on a toujours débuté une saison avec des objectifs clairs en tête. Pour moi, on recommence une saison désormais et on est malgré tout dans le flou et on sait qu’il n’y aura pas de compétitions dans les prochains mois. Nous sommes des sportifs de haut niveau et on s’entraîne au quotidien pour la compétition. Sans cet objectif là en tête, c’est déjà plus compliqué pour nous psychologiquement de se remettre dedans. D’autant qu’on repart de très loin. Le niveau que j’avais avant le confinement va mettre du temps à revenir et ce n’est jamais agréable de repartir de zéro.
Comment expliques-tu que cette perte de sensations soit si importante en deux mois ?
J’en ai discuté avec beaucoup d’entraîneurs tout au long de ma carrière et ça s’explique de différentes manières. Lorsque j’étais au CREPS de Toulouse, il y avait des sportifs de différentes disciplines autour de moi et il n’y en avait pas qui s’entraînait autant que nous. Et puis un athlète peut travailler ses appuis en montant des marches par exemple. Quelque soit le sport terrestre que l’on pratique, les appuis peuvent se travailler au quotidien, même en confinement. En natation, tant qu’on n’est pas dans l’eau et qu’on n’exécute pas le mouvement, on perd la sensation. D’autant qu’on s’entraîne beaucoup et qu’on a des repères dans l’eau. Je sens que je perds ces appuis et ces repères lorsque je diminue le rythme d’entraînement, donc après deux mois loin des bassins, ça risque d’être compliqué. Il est aussi difficile, à mon sens, de passer de tout à rien, que l’inverse. Je pense que je suis actuellement incapable de nager deux heures de suite et de tenir un entraînement de dix kilomètres alors que j’en faisais deux par jour il y a trois mois.
La reprise risque donc d’être difficile.
Ça va être dur. Ça ne va pas être les moments les plus agréables mais on va le faire. On a la chance d’avoir un groupe solidaire à Toulouse et ça va nous aider. Concernant la motivation, je pense que l’absence de compétition et le flou qui règne autour de ça risque de peser un peu, mais l’objectif va être de retrouver mon niveau assez rapidement et quand ce sera le cas, je serai satisfait.
Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire
Est-ce difficile d’aborder une reprise dans ces conditions ?
Je discute avec de nombreux nageurs qui ont vécu des expériences différentes à ce niveau-là. Nicolas D’Oriano par exemple a connu une longue période de blessure après les JO de Rio en 2016 et il avait aussi mis sa carrière entre parenthèses un long moment. J’ai aussi discuté avec Grégory Mallet qui avait raccroché quelques années avant de retrouver les bassins cette saison. Ce n’est pas quelque chose qui me fait peur. Ça m’est déjà arrivé de couper deux mois lorsque j’étais avec Philippe (Lucas) parce que j’en ressentais le besoin. Il ne faut pas avoir peur de ça. On va tous retrouver notre niveau même si on aurait aimé partir de moins loin. On peut comparer cette période aux coupures qu’on a déjà connues pour diverses raisons. Il ne faut pas se prendre la tête plus que ça. Je ne pense pas qu’un nageur va totalement perdre son niveau en raison de ce confinement.
D’autant qu’il reste encore beaucoup d’interrogations.
En natation, on fonctionne par olympiade et par saison, on a une vision à long terme et ne serait-ce que de ne pas savoir comment vont se dérouler les qualifications olympiques, c’est une interrogation. Comment on construit la saison, sachant qu’elle peut commencer en mai-juin et se terminer en août après les Jeux ? À quel moment on coupe ? Quand est-ce qu’on s’affûte ? À quelle période les charges d’entraînement seront plus importantes ? Il y a encore beaucoup de questions et tant qu’on n’aura pas ses réponses, on restera dans le flou concernant la préparation.
Dans ce cas, vaut-il mieux foncer tête baissée en attendant les réponses à tout cela ?
Il y a plusieurs écoles. Il y a la méthode Lucas où je pense que trois semaines après la reprise ils seront déjà à 8 ou 9 km par entraînement. Ça a des avantages, comme le fait de retrouver rapidement son niveau, ce qui est plaisant. Et puis, à Toulouse, je pense qu’on reprendra un peu plus tranquillement en prenant le temps de se réathlétiser par de la préparation physique ou des entraînements plus techniques pour combler des lacunes. Personnellement, je vais en profiter pour travailler mes virages. C’est aussi une chance parce que quand on nage beaucoup, on accumule des défauts qui peuvent disparaître quand on a moins de repères parce qu’on a davantage de temps pour travailler dessus.
Vous avez en effet du temps devant vous.
Ça nous laisse du temps, il ne faut pas imaginer qu’on en a à foison, mais c’est une chance d’avoir ce laps de temps en plus. On aurait dû être dans une période de travail à ce moment de la saison et là on va repartir sur quelque chose de plus technique pour mettre davantage de qualité dans la nage. Mon coach (Nicolas Castel) y est très sensible et ce sera bénéfique pour l’année prochaine.
Est-ce malgré tout important de disposer de ces réponses pour avancer plus sereinement ?
C’est important, d’autant que je me mets à la place de nombreux athlètes. Fanny Deberghes avait pris la décision de mettre un terme à sa carrière à l’issue de la saison et il va falloir qu’elle puisse prendre des décisions. Aurélie Muller qui avait décidé de continuer cette année sans vraiment se projeter sur la suite: que va t-elle faire ? Et puis il y a des jeunes aussi comme Léon Marchand, qui avait programmé de se qualifier pour ses premiers Jeux olympiques avant d’être beaucoup plus fort en 2024 et qui se retrouve avec un an de plus pour être meilleur à Tokyo. D’autres jeunes visaient des qualifications en équipe de France juniors. Ces compétitions sont annulées et ils perdent une chance de se construire un palmarès, alors que ce sont de belles compétitions et parfois un joli tremplin. C’est pour cette raison que je me dis qu’il faut donner une perspective à tous ces gens là pour qu’ils puissent prendre des décisions et aller de l’avant.
Recueilli par Jonathan Cohen