Entretien avec Stéphane Lecat, Directeur de la discipline Eau Libre de la FFN, à deux jours des épreuves dames et messieurs du 10 km de la Coupe du Monde FINA de Doha.
Nous sommes à quarante-huit heures de la course, quel est votre ressenti à l’abord de ce premier rendez-vous international de la saison 2018 ?
Je suis assez serein car j’ai l’impression que nous, staff et nageurs, connaissons bien le mode de fonctionnement, l’approche adéquat de la compétition pour performer : un mélange de décontraction, de sérieux et d’optimisation des moindres petits facteurs de la performance. Sans oublier l’humilité, car on sait malgré tout qu’il n’y a jamais aucune garantie de résultat. Je suis également très concentré. J’ai à cœur d’entretenir une bonne ambiance collective, que l’équipe vive bien ensemble et qu’en même temps chaque individualité, nageur comme coach, se sente à sa place dans ce projet commun. J’observe aussi beaucoup ce qu’il se passe autour de nous, l’environnement, nos adversaires. Qui est en forme, qui semble moins bien ? Que font les autres ? Et comment éventuellement s’en inspirer pour que nous soyons encore plus forts ?
Qu’avez-vous pu observer depuis votre arrivée sur place à Doha en début de semaine ?
Les autres délégations posent beaucoup de questions au sujet de l’absence d’Aurélie Muller et de Marc-Antoine Olivier, qui ne sont pas présents avec nous sur cette compétition. Cela démontre que l’on s’intéresse de près à ce que fait l’équipe de France, et que certains de nos adversaires ne sont pas exclusivement focus sur ce qu’ils font eux. Peut-être pensent-ils que ce sera plus facile de nous battre, ce qui est partiellement vrai, puisque nous sommes privés de nos deux plus grands champions. Mais j’ai la conviction que nous avons dans ce groupe des nageurs qui peuvent être très forts. Si nous parvenons à exceller une nouvelle fois malgré les absents, nous avancerons encore un peu plus nos pions sur l’échiquier international, pour nous rapprocher de l’échec et mat, qui devrait idéalement se produire aux Jeux de Tokyo en 2020.
(KMSP/Stéphane Lecat).
Qui sont ces « nageurs forts » dont vous parlez et qui pourraient tirer leur épingle du jeu samedi ?
Chez les garçons, Logan Fontaine n’est pas encore à son meilleur niveau, mais il est sur la bonne voie, cette compétition peut l’y amener. Il a bien travaillé sur le stage de février en Turquie, sans jamais baisser les bras malgré des circonstances très difficiles. C’est la preuve qu’il a de grosses ressources mentales. David Aubry est lui aussi dans une phase ascendante. Il a gagné en maturité, cela pourrait être son année, l’occasion de se révéler à l’échelle internationale. En Turquie, durant chaque entrainement, chaque série, il a démontré qu’il avait le potentiel pour être dans le « top 3 » mondial sur 10 km. Axel Reymond arrive également en bonne forme, il semble retrouver la vitesse qui était la sienne il y a quelques années, et l’on connait tous ses qualités d’endurance. Ce cocktail pourrait donner quelque chose de sympa. Du côté des filles, Océane Cassignol avait pris la 5e place de la Coupe du Monde d’Abu Dhabi il y a tout juste un an, et prouvé qu’elle avait le niveau pour concurrencer les meilleures nageuses mondiales sur 10 km. J’aimerais que cette année encore elle se retrouve en position de jouer les premiers rôles. Lara Grangeon, Lisa Pou et Adeline Furst sont trois filles à réel potentiel, mais elles doivent encore faire leurs preuves au plus haut niveau sur 10 km, en progressant notamment sur le plan technico-tactique et sur la gestion mentale de la course.
En parlant de tactique et de gestion de course, sur quoi se jouera le 10 km de samedi ?
Le parcours est constitué de huit boucles de 1 250 mètres, ce qui est assez inhabituel. Cela représente de nombreux passages de bouée et promet une course qui peut vite devenir fatigante nerveusement. Car chaque passage de bouée est un risque de se retrouver enfermé ou piégé. Il faudra donc constamment rester bien placé et veiller à se préserver mentalement pour faire émerger ses points forts au moment de jouer la gagne ou d’aller chercher une place pour décrocher une pré-qualification pour les championnats d’Europe seniors ou juniors.
(FFN/Philippe Pongenty).
Cette année encore vous avez tenu à intégrer de jeunes nageurs à l’équipe de France sur la première épreuve de coupe du Monde de la saison. Pourquoi ce choix ?
Il est important que les jeunes puissent profiter de la dynamique de succès que connaissent nos nageurs élites, et que ces jeunes, qui ont eux-mêmes excellé aux championnats d’Europe juniors ou à la COMEN, puissent s’affirmer auprès des anciens, et pourquoi pas venir les bousculer, voire les dépasser, ce dans un contexte international. Dans une optique de long terme, avec les Jeux de Paris 2024 en ligne de mire, ne pas profiter de cette dynamique serait une erreur. Ce que je trouve beau, c’est de voir dans les yeux de chaque nageur une envie de performer, une envie d’aller chercher leur rêve. Ils ont tous dans leur tête le désir d’atteindre la plus haute marche du podium. C’est l’une de mes missions que de mettre en place un système qui peut éventuellement leur permettre d’aller atteindre un jour ce rêve.
A moyen terme, qu’attendez-vous de cette saison 2018 qui démarre ?
Nous irons sur les championnats d’Europe de Glasgow très ambitieux, avec tout de même une inconnue, car à coup sûr, les courses se disputeront en combinaisons néoprène. Il y a, à mon sens, deux façons de voir les choses. Soit penser que du fait des caractéristiques de nos nageurs et de celles de nos adversaires, nous serons désavantagés par ce matériel : on rentre alors dans un système de pensée négatif. Soit on se dit, pour reprendre une expression chère à John Fitz, que « dans chaque chose qui nous parait négative réside une part de positif à ressentir ». Je suis persuadé que si nous arrivons à être performants à Glasgow avec ces combinaisons, alors cela voudra dire que nous sommes encore plus forts qu’en 2017 et que nous sommes sur la bonne voie pour les championnats du Monde de 2019 qui seront qualificatifs pour les Jeux de Tokyo 2020.
Florian Lucas