Après six ans à la tête de l’équipe de France féminine de water-polo, Florian Bruzzo, 39 ans, a retrouvé le collectif masculin en septembre 2021 qu’il avait contribué à qualifier pour Rio 2016 après vingt-quatre ans d’absence aux Jeux olympiques. A deux ans de l’édition parisienne de 2024 et à quelques jours des phases finales de la World League européenne (28-30 avril), le sélectionneur des Bleus évoque ses ambitions, l’évolution de son sport et le mariage d’expérience et de jeunesse de son groupe.
Vous avez trois grosses échéances à venir avec les phases finales de la World League européenne (fin avril) et mondiale (fin juillet), puis les championnats d’Europe (fin août-début septembre). En dessous de quel résultat seriez-vous déçu ?
Bonne question (il réfléchit)… L’idéal serait de sortir de l’été avec une qualification pour les Mondiaux 2023 au Japon alors que l’on n’a pas réussi à se qualifier pour les championnats du monde, cette année, à Budapest (18 juin-3 juillet). Cela signifierait avoir battu les grosses équipes du top 8 mondial (l’équipe de France est 12ème actuellement, ndlr). Pour se qualifier pour les Mondiaux, il faut au minimum être en finale de la World League mondiale. Après, c’est difficile de se donner un objectif de classement, à minima les quarts de finale pour les championnats d’Europe.
Les phases finales de la World League mondiale auront lieu à Strasbourg (fin juillet). Un avant-goût de Paris 2024 sur la manière de gérer la pression à domicile (les équipes hommes et femmes sont d’office qualifiées pour Paris 2024, ndlr) ?
Il est évident que toute compétition internationale en France sert de répétition aux Jeux.
Travaillez-vous des choses sur l’humain plus spécifiquement ?
On a une « psy » avec nous depuis trois ans. Elle nous apporte ce temps-là, en travaillant individuellement avec les athlètes afin qu’ils se sentent bien dans leur tête pour tirer le meilleur de chacun.
Florian Bruzzo (Photo : FFN/Philippe Pongenty).
Culturellement, le water-polo est très implanté en Europe centrale et dans les Balkans. Pourquoi la Hongrie, la Croatie, la Macédoine, la Serbie ou le Monténégro rendent des championnats d’Europe plus durs que des Mondiaux ?
Ce sont des pays dans lesquels le water-polo sert d’ascenseur social. Tout y participe : la qualité des championnats, la considération donnée à notre sport, de l’audience, plus de moyens, de culture water-polo, de connaissance… Et à l’arrivée, c’est plus dur de rivaliser avec eux, car nous, en France, on n’est pas un pays de water-polo et de sport en général.
Peut-on rattraper notre retard ?
Oui, en développant notre savoir-faire et nos compétences. On essaie de se mettre au niveau et on n’est pas si loin que ça. Les résultats le prouvent. C’est dans la régularité des résultats qu’il va falloir le démontrer. Car sur du « one shot », on est capable de rivaliser et on y arrive !
(Photo : WP Inside)
Six ans après, quel bilan tirez-vous des Jeux de Rio ?
Il y a eu ce match face aux Etats-Unis qui aurait pu nous permettre de rester vivant en poule en cas de victoire… Mais six ans plus tard, ce n’est pas vraiment le moment de parler des Jeux de Rio. L’équipe a changé, l’espace-temps également. Je ne vois pas quel lien on pourrait faire avec aujourd’hui.
Je vous pose cette question afin d’en tirer des leçons dans la manière d’aborder Paris 2024…
S’il reste des joueurs de Rio dans l’équipe de Paris 2024, cela leur donnera de l’expérience, et pour les autres d’être avec des sportifs ayant déjà connu les JO afin d’aborder les prochains plus sereinement. Vous savez, c’est difficile d’être performant dès vos premiers Jeux. Et oui, certains joueurs présents au Brésil sont susceptibles d’être encore là dans deux ans.
Et à titre personnel ? C’est une plus-value pour vous également ?
Je ne peux pas dire que je représente une plus-value, mais oui, je crois savoir où on mettra les pieds même si le contexte sera différent avec un évènement à domicile.
(Photo : DeepBlueMedia).
Après les Jeux de Rio, vous avez décidé d’arrêter avec l’équipe de France masculine pour prendre en main l’équipe féminine. Pour quelles raisons ?
Je ne sentais plus trop l’énergie de continuer avec les garçons. La fédération avait une ambition pour le water-polo féminin et m’a proposé le poste. J’ai pris le temps de la réflexion et j’ai accepté. J’avais fait ce que j’avais à faire avec les garçons. J’avais été au bout du chemin avec eux.
Quelle est la plus grande différence entre coacher des hommes et des femmes ?
Les garçons sont professionnels. Les filles ne le sont pas (au premier sens du terme). Elles ne gagnent pas d’argent. Ce n’est pas leur métier. Les attentes ne sont donc pas les mêmes. Il n’y a pas les mêmes contenus, pas les mêmes exigences. Après, dans leur comportement, elles sont très « pros » et sérieuses. Au final, cela restera une belle aventure avec des filles passionnées de leur sport et essayant de faire de leur mieux dans un contexte pas évident, à savoir la place du water-polo féminin dans l’hexagone.
Par rapport aux garçons, cela change quoi au quotidien d’entraîner des femmes ?
Cela apprend à mieux communiquer. Le poids des mots et le sens des mots à plus prendre en compte, des réactions à mieux gérer quand on a des émotions positives ou négatives… Une expérience positive me permettant d’être désormais un bien meilleur coach aujourd’hui qu’il y a cinq ans. Elles m’ont aidé à progresser en tant qu’entraîneur.
Florian Bruzzo avec ses joueurs lors de la rencontre France-Espagne disputée à Reims le 15 février dernier (Photo : WP Inside).
Vous n’avez pas réussi à les qualifier pour les JO de Tokyo. Qu’est-ce qui leur a manqué ?
C’est multifactoriel : les petites choses impliquent de grandes choses et ainsi de suite… Le nombre d’entraîneurs, les championnats de jeunes, l’environnement, mais la FFN a développé un pôle qui aide à structurer la discipline aidant au développement des coaches, des athlètes, et on en récoltera les fruits un jour ou l’autre. C’est sûr ! Les résultats des juniors sont bien meilleurs qu’il y a cinq ans. On construit à partir des jeunes et donc je pense que cela sourira demain pour les filles.
Vous avez devancé ma question : un aménagement a été fait en 2018 avec la structuration d’un centre national d’entraînement spécialisé pour le water-polo féminin. Vous sentez que cela peut aboutir d’ici les Jeux de Paris en 2024 ?
Je ne suis pas responsable des filles. Je ne suis donc pas la bonne personne pour y répondre. Posez la question au DTN (Julien Issoulié) et à mon collègue des filles (Emilien Bugeaud). J’ai une idée sur le sujet, mais n’ai plus la légitimité pour en parler. Je n’ai plus suivi de matchs internationaux (féminins) depuis Tokyo et cela serait déplacé d’émettre un quelconque avis sur l’équipe de France féminine.
(Photo : DeepBlueMedia).
En octobre dernier, vous avez de nouveau été nommé à la tête de l’équipe de France masculine…
Le sélectionneur précédent n’a pas souhaité poursuivre sur le prochain cycle. Le DTN s’est posé des questions. On en a discuté et j’ai posé ma candidature.
Quel est l’objectif : le podium à Paris dans deux ans ?
Quand on commence une compétition, c’est pour la gagner. Si je ne le pensais pas, je ne me lèverais pas le matin pour aller travailler.
Selon les spécialistes, il y a une génération de feu avec notamment Thomas Vernoux (Cercle de Marseille) en locomotive. Est-ce la plus belle génération du water-polo tricolore ?
Effectivement, on a un extraterrestre Thomas Vernoux, qui n’a pas encore 20 ans, et qui réalise déjà des performances très intéressantes au niveau international. Je ne parlerai cependant pas de la meilleure génération. Il y a des cadres autour de la trentaine qui tiennent l’équipe et c’est dans ce sens que l’on doit relier les JO 2016 à ceux de 2024. En fait, ce serait présomptueux de dire qu’il s’agit de la plus belle génération. Ensuite, cela ne signifie pas que la nouvelle génération n’est pas prometteuse, mais vous savez, les futurs Zidane et Mbappé, on en a annoncé cinquante et il n’y en a pas eu cinquante. On jugera sur les résultats.
Ugo Crousillat, capitaine de l'équipe de France masculine de water-polo (Photo : WP Inside).
A quel point les résultats de Marseille en Ligue des Champions boostent le water-polo français ?
Huit ou neuf joueurs marseillais évoluent en équipe de France. Leur dynamique permet de monter dans le train du très haut niveau. Cette compétition ne peut être que bénéfique pour les Bleus grâce aux habitudes de travail et à l’expérience des confrontations internationales.
Pour en revenir à la compétition qui vous attend au Monténégro : comment vos joueurs doivent-ils aborder la World League européenne (28-30 avril) ?
C’est toujours un moment spécial de se retrouver en sélection. On ne vit pas ensemble durant l’année et il y a de l’excitation à l’idée d’affronter les meilleures équipes du monde. D’abord, je les laisse finir avec leur club, en Ligue des Champions, en championnat, et ensuite on va tous se retrouver, faire un état des lieux, savoir de quoi ils ont besoin individuellement et bien préparer le match d’ouverture à Podgorica face au Monténégro d’entrée !
Qu’attendez-vous de ces différents rendez-vous en termes de synergie et de force de groupe ?
Qu’on avance en tant qu’équipe et que la prestation soit meilleure que celle du mois d’avant. On se construit séance après séance sur la coordination de l’attaque, de la défense, notre capacité à nous adapter à de bonnes équipes… Rien de bien original dans un sport « co », mais avec à l’esprit l’idée que l’on manque de temps pour le faire.
Propos recueillis par Antoine Grynbaum