Après cinq années à la tête de l’équipe de France féminine de water-polo (2016-2021), Florian Bruzzo va retrouver la sélection masculine qu’il avait chapeauté de 2012 à 2016 avec, à la clé, une qualification historique aux Jeux de Rio décrochée après vingt-quatre ans de disette olympique. Un retour à trois ans des JO de Paris dont tous les acteurs de la discipline attendent des retombées et une impulsion d’avenir. Etat des lieux et projections à quelques jours d'un premier stage d'évaluation à l'INSEP (2-5 décembre).
Après cinq années d’immersion dans le water-polo féminin, comment reconnectez-vous avec le pendant masculin de la discipline ? Avez-vous le sentiment qu’il y a eu des évolutions ?
Oui, il y a eu des changements, mais rien de révolutionnaire. Depuis le mois de septembre, je passe beaucoup de temps à visionner des matches masculins pour me remettre dedans. J’ai également été superviser plusieurs rencontres de coupe d’Europe.
Comment s’est opéré le passage entre l’équipe de France féminine et le groupe masculin ?
En fait, le constat s’est imposé de lui-même. Disons que l’année dernière, je me suis petit à petit interrogé sur mon énergie et l’ambiance qui régnait au sein du collectif féminin. J’ai senti que les filles étaient encore investies, mais de mon côté, j’ai éprouvé le besoin de questionner mes motivations, notamment parce que j’étais sur plusieurs fronts à la fois : celui du haut niveau et celui du développement. Après cinq ans à la tête de l’équipe de France féminine, j’ai fini par ressentir une certaine lassitude. J’aime mon métier et le water-polo reste une passion indéfectible, mais l’élite internationale demande une implication totale. Or, quand ça répond moins, il importe de se remettre en question.
(Photo : KMSP/Stéphane Kempinaire)
A l’heure de ce bilan, avez-vous eu le sentiment que l’écart entre les Bleues et les meilleures nations mondiales demeurait trop important ou difficile à combler ? Est-ce que d’une certaine manière cela ne vous a pas « pesé » au moment de repartir sur le projet Paris 2024 ?
Si vous regardez l’évolution des scores et si vous analysez le jeu, vous constaterez que l’écart entre l’équipe de France féminine et les grandes nations s’est réduit. D’un point de vue statistique, c’est indiscutable ! Ce qui m’a « pesé », comme vous le suggérez, c’est l’instabilité du collectif, le fait que je ne puisse jamais m’appuyer sur un groupe stable.
Qu’entendez-vous par-là ?
Il y a eu des arrêts de carrière, des coupures pour des raisons personnelles et des retours. Tout ça n’est pas simple à gérer, notamment pour construire un projet de jeu et bâtir une ambition collective.
Plus généralement et avec le recul dont vous disposez désormais, considérez-vous qu’il est plus difficile de manager des filles ou des garçons ?
En fait, la question ne se pose pas en ces termes…
Pourquoi ?
Tout simplement parce que les environnements féminins et masculins sont différents et que vous ne pouvez pas les dissocier du management de l’équipe de France. Les garçons ont déjà fait un grand pas vers le professionnalisme alors que le water-polo féminin n’en est pas encore là. Forcément, comme je vous l’expliquez il y a un instant, cela s’en ressent sur la stabilité de l’équipe.
(Photo : KMSP/Jean-Marie Hervio)
Dans quel état d’esprit avez-vous retrouvé l’équipe de France masculine ?
Je ne l’ai pas « retrouvé » car l’équipe a totalement changé. Il y a encore des visages connus, mais en l’espace de six ans, le groupe a évolué. Certains joueurs ont arrêté, d’autres ont changé de club, il y en a même qui ont remporté un titre européen. Il ne s’agit donc pas d’un « retour », mais bien d’une nouvelle expérience, qui plus est dans un environnement différent. Il y a six ans, le water-polo masculin était en voie de professionnalisation. Aujourd’hui, il est bien mieux structuré. Par conséquent, je prends les rênes de l’équipe avec l’envie de découvrir des joueurs, un groupe, une énergie et une ambition forte et assumée dont ils n’ont pas hésité à me faire part lors des entretiens individuels que j’ai menés depuis ma prise de fonction.
Cela fait plusieurs fois que vous parlez « d’environnement ». Avez-vous le sentiment qu’il a à ce point changé depuis les Jeux de Rio en 2016 ?
Complètement ! Aujourd’hui, le water-polo masculin est beaucoup plus professionnel. La discipline a grossi. Les clubs abordent également les choses autrement. Ils ont senti l’engouement du public autour des Jeux de Rio en 2016 et ils mesurent sans doute mieux les avantages à tirer de la participation des équipes de France masculine et féminine à l’édition de 2024 qui se tiendra à Paris.
Avez-vous l’impression d’être plus écouté du fait de votre bilan à la tête de l’équipe de France masculine et notamment de sa qualification aux Jeux de Rio en 2016 ?
Non, je ne dirais pas ça ! Mon métier impose de se remettre régulièrement en question et de ne jamais avancer de certitudes. La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain, d’autant plus dans le sport de haut niveau où tout change très vite. De plus, cinq années nous séparent désormais des JO de Rio. Aujourd’hui, je ne suis plus le même homme, encore moins le même entraîneur. En revanche, les gens doivent savoir que je suis toujours aussi engagé et déterminé. Par ailleurs, je connais l’environnement fédéral et la nouvelle gouvernance du sport en France. Cet univers m’est familier et cela me permet de gagner du temps et d’accélérer les choses à mon niveau.
(Photo : FFN/Philippe Pongenty)
En quoi êtes-vous un coach différent ?
J’ai cinq ans de plus et autant d’expérience supplémentaire. Vous savez, quand j’ai été nommé à la tête des Bleus en 2012, j’avais 29 ans. Je n’avais jamais été joueur international alors, forcément, j’étais un entraîneur dans le contrôle. J’éprouvais le besoin de tout maîtriser. A l’époque, je découvrais tout, absolument tout ! Aujourd’hui, comme je vous l’expliquais précédemment, j’ai l’expérience du haut niveau, de la relation avec les clubs, avec la fédération et l’Agence Nationale du Sport. Je suis plus calme, plus à l’écoute, moins dans la démonstration et davantage dans la réflexion pour trouver les meilleures solutions, celles qui vont permettre au groupe national de performer au plus haut niveau.
Trois ans nous séparent des Jeux de Paris. Considérez-vous que ce délai est suffisant pour performer à Paris ?
Le délai est serré, c’est vrai, mais comme nous l’avons évoqué précédemment l’environnement n’a plus à rien à voir avec ce qu’il était par le passé. Les clubs et la fédération soutiennent l’équipe de France. Les joueurs ont une démarche de haut niveau. Ils jouent toute l’année sur la scène européenne pour une majorité d’entre eux. J’ai donc le sentiment que tout le monde avance dans la même direction.
Qu’en est-il sur la scène internationale ? De quelle manière est perçue l’équipe de France masculine de water-polo à l’étranger et notamment chez les nations dominantes de la discipline ?
Question ô combien intéressante et capitale. Elle faisait d’ailleurs partie de mes questionnements au moment de rencontrer en entretien individuel les joueurs du collectif national. Moi, ce qui m’importait, c’était de savoir comment les joueurs tricolores pensaient qu’on les percevait à l’étranger. Globalement ce qui ressort, c’est que l’équipe de France est observée par toutes les formations mondiales. Reste que les meilleures nations n’envisagent pas la défaite lorsqu’elle nous affrontent. On ne joue plus les Bleus en sifflotant, ça, c’est une certitude, mais nous ne sommes pas encore en capacité de résister sur la durée complète d’un match. A un moment donné, que ce soit sur le plan physique ou mental, nos adversaires savent que nous allons craquer. Voilà ce qu’il faut corriger à l’avenir. Voilà le challenge qu’il m’incombe de relever dans les trois prochaines années.
(Photo : Giorgio Scala/Deepbluemedia/Insidefoto)
Avez-vous le sentiment de disposer des joueurs nécessaires ?
Oui, absolument, j’ai toute confiance en nos ressources ! Reste que nous devons accomplir un gros travail sur le plan physique. Tactiquement et techniquement, nos joueurs n’ont pas à rougir de la comparaison avec les meilleures formations de la planète, mais sur le plan physique, il nous reste du chemin à parcourir. Il s’agira également de développer un projet de jeu qui correspond à nos qualités. Vient un moment où il ne s’agit plus de copier ou d’imiter. Il importe, à présent, d’assumer notre identité.
Quelles seront les échéances des prochains mois ?
Début décembre (du 2 au 5), les joueurs de l’équipe de France vont se retrouver à l’Insep pour un stage d’évaluation à la fois physique, psychologique, articulaire et diététique. L’idée, c’est qu’en repartant, les Bleus sachent sur quel point particulier ils doivent concentrer leur travail quotidien. Après ça, nous débuterons la World League le 18 janvier avant de jouer notre qualification aux championnats d’Europe en Slovénie, fin février, contre la Belgique, la Slovénie et l’Allemagne. Nous jouerons ensuite le tour qualificatif de la World League Europe pour accéder au tournoi intercontinental World League, puis il y aura les Jeux Méditerranéens (fin juin 2022) et la préparation aux championnats d’Europe, si nous sommes qualifiés.
Recueilli par Adrien Cadot
Nomination de Vjekoslav Kobescak au poste d'entraîneur adjoint de l'équipe de France masculine de water-polo
A la suite de la nomination de Monsieur Florian Bruzzo à la tête de l'équipe de France masculine de water-polo, la Fédération Française de Natation a décidé de nommer Vjekoslav Kobescak comme entraîneur adjoint. Champion olympique en 2012 avec la Croatie et champion d'Europe des clubs avec EC Zagreb en tant qu'entraîneur adjoint, vainqueur de la Ligue des Champions et vainqueur de la super coupe LEN en 2016 avec le club JUG Dubrovnik en tant qu'entraîneur principal, cinq fois champion de Croatie et cinq fois vainqueur de la coupe de Croatie, médaillé d'argent avec la Croatie aux Jeux olympiques d'Atlanta en tant que joueur, Vjekoslav Kobescak possède une expérience du haut niveau qui doit permettre à l’équipe de France d’aborder la préparation des Jeux de Paris dans les meilleures conditions.