Depuis le 29 octobre, la Fédération Française de Natation a été, une nouvelle fois, contrainte à un arrêt brutal. Le confinement décrété par le Gouvernement vise à soulager les hôpitaux et le personnel soignant pour mieux endiguer la propagation du Covid-19. Il va de soi que la priorité est avant tout sanitaire. Reste que, comme le rappelle le communiqué de presse diffusé par la FFN le mercredi 18 novembre, le réseau fédéral est frappé de plein fouet par ce (re)confinement. Au-delà de la baisse significative des cotisations, les clubs enregistrent des pertes économiques sur les ressources liées au partenariat, les revenus de billetterie ainsi que les subventions. Dans ce contexte préoccupant, seuls les athlètes de haut niveau ont été préservés. Contrairement au premier confinement printanier, ils ont, cette fois, été autorisés à poursuivre leurs entraînements dans la perspective des prochaines échéances nationales et internationales. L’incertitude demeure, lourde et pesante, stressante aussi, mais pour Laurent Ciubini, Directeur général de la FFN, il importe de rester optimiste sans perdre l’espoir que d’ici quelques semaines les piscines et les clubs pourront de nouveau accueillir leurs pratiquants.
Après trois semaines de confinement, dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Je ne vous cacherai pas que la pression est importante. Lors du premier confinement, la situation financière de la fédération était correcte alors que pour ce second confinement, les clubs ne comptabilisent que la moitié de leurs cotisations. Nous sommes donc confrontés à une tension économique qui pèse sur les esprits et contribue à créer ce climat pessimiste. Toutefois, il importe de rester optimiste. Nous allons très probablement rater notre premier trimestre, mais si tout repart, si les gens se remettent à nager d’ici quelques semaines, la situation s’améliorera. A titre personnel, et sans faire preuve de naïveté, je veux croire en ce rebond. Pour l’heure, il faut être lucide, nous sommes au milieu du gué et le courant est fort.
En dépit de ce contexte sanitaire et financier, parvenez-vous à garder un œil sur les enjeux sportifs de cette saison olympique ?
Ceux qui affirment qu’il n’est pas primordial que notre élite s’entraîne se trompent de combat. Pour justifier l’action d’une fédération sportive, il importe que son haut niveau s’engage dans une démarche de performance. C’est l’essence même de notre investissement, notre raison d’être. Dans cette perspective, il était, à mon sens, fondamental de mener plusieurs batailles.
Lesquelles ?
La première consistait à tout mettre en œuvre pour que le centre national de nos cinq disciplines à l’INSEP mais aussi que toutes les structures du projet de performance fédéral puissent demeurer ouverts pendant ce second confinement. La seconde devait permettre à nos athlètes de haut niveau de pouvoir continuer à s’entraîner normalement afin de préparer les échéances nationales et internationales qui se profilent à l’horizon. Le troisième combat, c’est la réouverture des piscines pour nos licenciés et tous les passionnés de natation. Différentes options ont été avancées. Pour l’heure, elles ne se concrétisent que dans quelques exemples sur le territoire.
Comment l’expliquez-vous ?
Les bonnes intentions de l’Etat sont parfois diluées par des collectivités territoriales ou les Préfets qui se montrent exagérément prudents ou ferment des établissements pour préserver leurs finances.
Laurent Ciubini (à droite) en compagnie de Pierre Rabadan (au centre), Adjoint à la maire de Paris en charge du sport, des Jeux olympiques et paralympiques, lors de l'édition parisienne de l'EDF Aqua Challenge organisée sur le bassin de la Villette les 5 et 6 septembre dernier (FFN/Philippe Pongenty).
C’est surprenant car on sent bien que le Mouvement sportif français est fortement ébranlé par cette longue crise sanitaire.
La crispation est indéniable. Je ne prétendrais pas l’inverse. J’ai beaucoup de respect pour le monde de la culture, mais je note malgré tout que l’Etat va soutenir le secteur culturel à la hauteur de deux milliards d’euros contre 400 millions pour le sport (suite aux annonces faites par le président de la République le mardi 17 novembre 2020, ndlr). Il me semble que nous sommes dans une dichotomie extrême. Ces décisions créent beaucoup d’incompréhension. Elles entretiennent l’incertitude qui perdure depuis des mois. En découle assez logiquement de la crispation et un sentiment de frustration car les clubs, les départements, les ligues et les fédérations accusent de lourdes pertes financières. Aujourd’hui, grâce notamment à l’enquête menée par le CNOSF en octobre dernier, nous sommes en mesure de chiffrer ces pertes.
A combien s’élèvent-elles ?
Rien que pour notre fédération, cela représente un peu plus de deux millions d’euros depuis le mois de mars 2020.
C’est vertigineux.
En effet, ça l’est ! D’où l’inquiétude, la crispation et l’impatience. La question, aujourd’hui, que tous acteurs du Mouvement sportif française se posent, c’est comment allons-nous pouvoir survivre ?
A votre niveau, comment rassurez-vous les clubs du réseau fédéral qui se sentent seuls et démunis, presque oubliés ?
Le contact est permanent. Il n’a jamais été rompu. Il importe que nous soyons constamment à l’écoute de nos clubs. Il en va de notre responsabilité. Toutes les structures fédérales doivent être convaincues que les équipes de la Fédération Française de Natation, élus, salariés et conseillers techniques, mettent tout en œuvre pour faire en sorte que l’on renage le plus rapidement possible. Nous nous battons quotidiennement pour que les piscines puissent rouvrir, pour que les nageurs renouent avec leur passion, pour que nos clubs retrouvent la plénitude de leurs activités. Début décembre, comme cela a été annoncé le mardi 17 novembre par le président de la République, les jeunes pourraient être autorisés à nager. C’est une victoire. A nous maintenant de préparer ce retour pour être prêt à les accueillir dans les meilleures conditions sanitaires.
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Plus concrètement, quelles mesures l’institution fédérale a-t-elle prise pour soutenir ses clubs ?
Comme je l’ai dit précédemment, nous avons œuvré pour que les athlètes de haut niveau puissent continuer à s’entraîner. Par ailleurs, nous collaborons avec le CNOSF pour la création d’un « Pass’ Sport », avec l’Etat pour la constitution d’une nouvelle enveloppe à destination des clubs les plus en difficultés. Nous essayons d’ouvrir toutes les portes, de trouver des solutions tout en restant perpétuellement à la disposition des clubs pour expliquer le chômage partiel, les opportunités liées au mécénat pour éviter des remboursements de cotisations ou tous les autres dispositifs existants qui peuvent constituer à bien des égards une aide substantielle. Le secteur de la formation, quant à lui, perdure.
L’inquiétude n’en demeure pas moins très forte au sein du réseau fédéral.
Cette inquiétude est légitime. Malgré tout, je le répète, il importe de rester optimiste. Si les jeunes peuvent retrouver les piscines à compter du mois de décembre, ce serait déjà un grand pas en avant. Les mineurs représentent 66% de nos effectifs. Si, ensuite, nos licenciés peuvent renager à partir de janvier 2021, dans le cas où la seconde vague de l’épidémie serait maîtrisée, alors cet automne n’aura été qu’un mauvais moment à passer. En revanche, si cette crise se prolonge, si le confinement perdure et que nous nous engageons dans une année blanche, ce serait absolument terrible.
Dans quelles proportions ?
Beaucoup de nos clubs ne s’en relèveraient pas. L’Etat pourrait évidemment se montrer généreux, voire très généreux, mais au-delà de la réalité financière, il y a aussi la dimension sportive, humaine, pédagogique et solidaire. Notre mission, je le répète, c’est de faire nager les Français, nos concitoyens. Je n’ose pas imaginer les conséquences d’une année blanche sur le bénévolat ou le milieu associatif, déjà rudement mis à mal ces dernières années. Le séisme serait d’une violence inouïe. Les répliques désastreuses.
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De quelle manière endiguer cette menace qui plane sur le monde associatif ?
En préambule, je rappellerais simplement que notre modèle fédéral est basé sur le bénévolat. C’est le cœur de notre action, la colonne vertébrale de nos événements, qu’ils soient locaux, départementaux, régionaux ou nationaux. N’allons cependant pas trop vite en besogne. Le secteur souffre, ça je ne le nie pas, mais il demeure attractif. Je rencontre souvent des jeunes ou des moins jeunes qui éprouvent l’envie de s’investir à titre bénévole dans un club. Notre travail, à la fédération, consiste avant tout à réfléchir à une meilleure valorisation du bénévolat. Le système ancestral de médailles a sans doute vécu. Nous réfléchissons, de fait, à des partenariats pour que les bénévoles bénéficient de reconnaissance ou d’avantages concrets. La réflexion est lancée depuis quelques mois. Forcément, dans le contexte actuel, elle prend tout son sens. A nous maintenant de la mener à son terme dans les meilleurs délais.
Qu’en est-il, à présent, des scolaires ?
La ministre des Sports (Roxana Maracineanu, qui dépend depuis le remaniement ministériel de juin 2020 du ministre de l’Education Nationale) a émis le souhait que les clubs continuent d’assumer les activités périscolaires. Cependant, je comprends que certaines structures nous sollicitent en disant que cette mission, si elle impose des charges et des responsabilités, n’offre en retour que peu de produits. Cela n’en demeure pas moins une occasion unique de capter une nouvelle population. Cela s’inscrit également dans notre mission de service public qui m’apparaît prépondérante dans ces heures sombres. Cela n’a en tout cas rien d’un mode de garde, comme j’ai pu l’entendre dans les médias. Les parents sont peut-être soulagés, mais pour les enfants, c’est une opportunité de découvrir la richesse des activités de la Natation, de consolider les acquis, de gagner en autonomie, d’améliorer des savoir-faire fondamentaux ou, tout simplement, d’apprendre à nager.
Le président Gilles Sezionale a pris la parole, fin mars, pour réclamer le report des Jeux olympiques de Tokyo, puis fin septembre, pour interpeller le premier Ministre sur la réouverture tardive des équipements aquatiques. Ces deux interventions ont-elles contribué à étoffer le poids de la FFN sur la scène sportive nationale ? A asseoir sa légitimité ?
J’ai le sentiment que notre institution sait, à la fois, œuvrer collectivement quand les décisions sont bonnes et faire entendre sa voix lorsqu’elle estime que les décisions ne vont pas dans le bon sens. Il me semble que les prises de position du président Gilles Sezionale ont été non seulement entendues, mais également respectées et prises en compte.
Laurent Ciubini (FFN/Philippe Pongenty).
D’autant qu’à l’inverse de la plupart des disciplines sportives, la Fédération Française de Natation n’est pas propriétaire de ses équipements. Une fois encore, on en revient à cette éternelle problématique.
C’est, en effet, une de nos spécificités, presque notre talon d’Achille, même si je vois dans cet état de fait une occasion unique de bâtir un nouveau modèle.
C’est-à-dire ?
Tant que l’on ne se positionnera pas sur la gestion des équipements, notre fédération et nos clubs seront toujours tributaires des mairies ou de gestionnaires extérieurs. Nous poursuivons notre réflexion afin de gagner notre liberté et, plus important encore, de faire la démonstration de notre capacité à gérer des équipements aquatiques.
Pour finir, ne craignez-vous pas un manque à gagner médiatique ? D’expérience, nous savons que les années olympiques offrent un éclairage plus important aux disciplines telles que la natation ou l’athlétisme, par exemple. Or, cette année, comme nous venons de l’évoquer, la priorité est naturellement donnée aux questions sanitaires, financières et sociales, au détriment de la dimension sportive.
Pas forcément. La bonne nouvelle, c’est que nos championnats de France 2020 se dérouleront bien du 10 au 13 décembre 2020 à Saint-Raphaël, première compétition nationale en natation course organisée en France depuis le premier confinement. Ces championnats se tiendront à huis clos et marqueront le lancement de la période de sélection olympique. Ce premier cycle qualificatif pour les Jeux de Tokyo et les championnats d’Europe 2021 durera jusqu’au 21 mars 2021, date de fin du FFN Golden Tour de Marseille. Pour être tout à fait complet, j’ajouterai que les championnats de France de Saint-Raphaël seront diffusés sur beIN Sports ainsi que, pour la première fois sur France 4, en clair. C’est un premier pas. Il reste encore beaucoup de travail, mais nous avançons.
Recueilli par Adrien Cadot
(Photo : Adobe Stock)
Les annonces du Président de la République pour soutenir le réseau fédéral et les clubs face à la crise :
- Après avoir obtenu la reprise des sportifs de haut niveau et la reconnaissance des structures du projet de performance fédérale, le retour prioritaire du sport pour les mineurs dans les clubs dès que la situation sanitaire le permettra, a priori dès le mois de décembre. Une population qui représente 66% de nos licenciés.
- Pour ce faire, le Mouvement sportif a affirmé qu’il était prêt à travailler avec le Ministère de la Santé, le Ministère des Sports et les autorités sanitaires pour mettre en place des protocoles sanitaires renforcés permettant cette reprise en limitant au maximum les brassages et en prenant en considération des contraintes supplémentaires pour ce qui concerne la pratique indoor.
- La création d’un « Pass sport » pour un montant de 100 millions d’euros. Il s’agira d’une aide aux familles, selon des conditions qui devront être précisées. Cette décision a pour but de favoriser le retour à la pratique sportive en soutenant l’inscription ou la réinscription dans les clubs.
- La reconduction du fonds de solidarité pour les clubs amateurs en difficulté (ne disposant pas de salariés), géré par l’Agence Nationale du Sport, pour un montant de 15 millions d’euros.
- La mise en place d’un fonds de compensation des pertes de licences à destination des fédérations. Sans précision du montant à ce jour (sachant que la perte se monte à 1,986 M€ à ce jour pour la FFN seule)
- Le lancement d’une grande campagne de communication destinée à promouvoir le retour à la pratique du sport au bénéfice de la santé de tous.
- La création de 5 000 postes supplémentaires de services civiques.
- La création d’un fonds de compensation des pertes de billetterie d’un montant de 110 millions d’euros pour le sport professionnel.