Ancien arbitre international de water-polo, Benjamin Mercier a renoncé au sifflet en septembre 2019 pour prendre la tête de la commission fédérale de water-polo. Une manière de rendre à la discipline tout ce qu’elle a pu lui apporter.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette mission ?
Ça faisait un moment que Julien Issoulié et Florian Bruzzo m’en parlaient, mais je n’étais pas encore prêt à interrompre ma carrière d’arbitre international. Et puis cet été, après 1 500 rencontres arbitrées, le président Gilles Sezionale m’a proposé de prendre la tête de la commission fédérale de water-polo et j’ai accepté.
Pourquoi maintenant ?
C’était le bon moment de passer à autre chose et aussi l’occasion de rendre à la discipline un peu de ce qu’elle m’a apporté. J’ai conscience que la mission sera difficile. Il y a beaucoup de chantiers en cours, beaucoup de défis à relever et nombre d’objectifs à atteindre, notamment sur le plan réglementaire afin d’arriver aux Jeux de Paris dans les meilleures conditions.
A ce sujet, qu’en est-il plus spécifiquement des chantiers qui concernent le haut niveau ?
Il va falloir s’attaquer à la question du nombre d’étrangers dans nos championnats nationaux, voir aussi de quelle manière structurer nos championnats chez les jeunes, aborder également la problématique du centre de haut niveau masculin, celle du maillage territorial et comment faire en sorte que la multitude de clubs de nationale 3 puissent accéder à la nationale 2. Il faut bien comprendre qu’il faudra mener de front tous ces chantiers.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Sur la question du nombre d’étrangers dans le championnat de France, avez-vous déjà des pistes de réflexion ?
Ce serait une ineptie totale de dire que l’on va limiter le nombre d’étrangers si, dans le même temps, on ne restructure pas profondément nos championnats de jeunes. Sans cela, comment créer un vivier et permettre à nos meilleurs éléments de s’aguerrir et de sortir de l’ombre des joueurs étrangers ?
C’est un sujet récurrent.
L’arrêt Bosman (décision de la Cour de justice des Communautés européennes rendue le 15 décembre 1995 relative au sport professionnel, ndlr) n’a pas simplifié les choses. Un « Gentlemen’s agreement » a tenu quelques années, mais aujourd’hui, il est primordial de reconstruire les bases réglementaires qui vont permettre de revenir à ça tout en respectant la législation européenne.
Sur le plan sportif maintenant, l’équipe de France masculine de water-polo a terminé son Euro sur une treizième place qui l’empêchera de prendre part au TQO de Rotterdam en mars prochain, et donc aux JO de Tokyo, ainsi qu’au championnat du monde de 2021. Dans ces conditions, comment préparer le collectif national à l’échéance olympique de 2024 ?
C’est compliqué parce que ce n’était pas le plan de bataille escompté. Aujourd’hui, la question, c’est en effet de savoir comment donner un volume de match suffisant aux garçons. Le danger serait de sortir du circuit international. Il va falloir réinventer des choses…
C’est-à-dire ?
Cela passe par une réflexion sur le programme de préparation des Bleus, peut-être aussi relancer un événement comme les Internationaux de France. D’autres pays comme la Hollande, la Slovaquie ou la Géorgie, qui sont sensiblement au même niveau que les Bleus, vont être aussi en manque de compétition. En collaboration avec Nenad (Vukanic, sélectionneur du collectif masculin) nous allons réfléchir à tout ça en gardant également en tête la question cruciale de la refonte de nos championnats de jeunes qui doivent nous permettre de renouveler notre collectif.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Certains jeunes éléments comme Thomas Vernoux, Romain Marion-Vernoux ou Charles Canonne ont profité de l’Euro hongrois pour se montrer. Est-ce le signe que la formation « à la française » porte ses fruits ?
Aujourd’hui, nous disposons de quelques éléments prometteurs, mais il ne faut pas qu’ils soient l’arbre qui cache la forêt. Derrière ces trois garçons, et quelques autres, il n’y a pas vraiment de vivier. Je ne choquerais personne en disant que le volume n’est pas suffisamment important pour aborder l’avenir sereinement.
Comment bâtir un vivier ?
Il faut d’abord mettre en place un travail de détection car trop de jeunes passent encore entre les mailles du filet. Il y a également un problème de volume de rencontres. Nos jeunes ne jouent pas assez. Or, c’est en se confrontant qu’ils vont progresser. La troisième difficulté, c’est l’intégration de nos espoirs dans le championnat élite. Ces trois dossiers sont liés. C’est le travail de la fédération de donner aux clubs, aux entraîneurs ainsi qu’à tous les acteurs de la discipline les outils pour avancer sur ces problématiques.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Ces questions étaient déjà soulevées en 2016. Beaucoup espéraient que la qualification de l’équipe de France masculine aux Jeux de Rio allait changer les choses. On constate aujourd’hui que ce n’est pas complètement le cas. Pourquoi la discipline n’a-t-elle pas réussi à se réformer en profondeur ?
Il y a eu des progrès, mais ces questions demeurent sensibles. Parfois, et je tiens à le souligner, il ne manque pas grand-chose pour que les choses se débloquent. Il y a indiscutablement de la valeur dans nos championnats nationaux, les entraîneurs sont compétents, les clubs se structurent de plus en plus, il y a aussi des avancées technologiques ainsi que de nouvelles animations territoriales (Hopla Cup, Water-polo Summer Tour). Certains trouveront que ça ne va pas assez vite, mais les progrès sont là, visibles, et nous continuons de travailler pour réformer ce qui doit nous permettre d’être compétitif aux Jeux de Paris. Au risque de me répéter, ça ne tient pas à grand-chose. Par exemple, si les garçons avaient battu les Géorgiens en ouverture de l’Euro, nous n’aurions pas cette discussion. Cette défaite a eu de lourdes conséquences alors que quand on voit ce que les Français ont produit face à l’Italie et à la Grèce, on se dit qu’il y avait moyen de faire beaucoup mieux.
Les Bleues, en revanche, ont atteint leur objectif. Elles participeront au TQO de Trieste, du 8 au 15 mars.
La machine est en route et le projet fonctionne. Il y a tout de même des ajustements à apporter. Si le volume des matchs des filles est satisfaisant, c’est plus l’intensité des rencontres et le niveau des confrontations qu’il va falloir faire progresser. Mais là encore, il ne manque pas grand-chose. A titre d’exemple, plus de 80% des joueuses du top 6 européen évoluent en Ligue des Champions. C’est bien la preuve qu’il n’y a pas de secret pour réussir, cela passe obligatoirement par des oppositions de haut niveau. Pour l’instant, cela nous fait défaut, mais pas question de sombrer dans le pessimisme.
Recueilli à Budapest par Adrien Cadot