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Nageur émérite, photographe et voyageur, Éric Huynh a profité d’un de ses nombreux périples à travers le monde pour nous présenter la natation mongole.

La Mongolie, c’est ce pays grand comme trois fois la France, mais dont la population n’excède pas trois millions d’habitants, dont près de la moitié habitent la capitale Oulan Bator. Dans ces conditions, pas étonnant que la natation soit, elle aussi, très concentrée dans les clubs d’Oulan Bator. Et c’est justement à la rencontre de l’un d’eux que nous vous convions. Mais avant d’aller plus loin, attardons-nous un instant sur le pays de Gengis Khan. D’un point de vue historique et sociétal, la Mongolie, coincée entre la Chine et la Russie, évolue dans le giron de cette dernière : adoption de l’alphabet cyrillique, révolution socialiste en 1921 (trois ans après la révolution russe de 1918), puis abandon officiel de la doctrine socialiste en 1990 (un an après la chute du mur de Berlin). L’architecture de la capitale reste d’ailleurs très largement inspirée des standards soviétiques, avec d’immenses avenues et des bâtiments impressionnants, parallélépipédiques et uniformément gris. Si la capitale abrite seize bassins de 25 mètres (un chiffre confortable rapporté à la population), tous sont malheureusement privés et font de la natation un sport socialement élitiste, chaque nageur devant payer son entrée au début de chaque entraînement.

Surtout, sur ces seize bassins, un seul dispose de 6 lignes. Tous les autres n’en comptent que deux ou trois, et la largeur des lignes y est généralement de 2 mètres (contre 2,5m en général en France). C’est dans un de ces bassins à trois lignes que j’ai eu la chance de rencontrer l’équipe d’Orchlon, une des plus importantes du pays. Elle porte le nom de l’université qui l’accueille dans son bassin et elle compte environ 50 nageurs. A cette occasion, je suis accueili par le secrétaire général de la fédération mongole de natation, Enkhmandakh Khurlee, qui combine étrangement ses fonctions fédérales avec le poste de représentant local de l’équipementier Myrtha pour lequel il a vendu trois bassins en inox dans le pays (à Oulan Bator, Dorkhan et Erdenet). Ancien brasseur international, il a fait partie de l’équipe mongole entre 2001 et 2008. Enkhmandakh gère toute l’organisation et la logistique autour de l’équipe nationale. Il représente souvent sa fédération auprès des instances de la FINA. Il estime qu’actuellement, la Mongolie compte environ 300 nageurs qui pratiquent la natation sportive en compétition, entraînés par une trentaine de coaches. Ces nombres, pour augmenter, nécessitent selon lui de disposer de davantage d’infrastructures, et surtout qu’elles soient publiques. Il se rend régulièrement en Europe, à la recherche de matériels de natation bon marché pour équiper ses nageurs.

Battulga Tulgao et Enkhmandakh Khurlee en pleine discussion (Éric Huynh).

Pendant que nous conversons au bord du bassin, l’entraînement se déroule dans les trois lignes d’eau. Avec leur largeur de 2m, impossible pour les nageurs de se doubler. Battulga Tulgao, le jeune coach, ancien brasseur international, dirige son groupe sans parler : l’enceinte de la piscine, mal conçue, est extrêmement bruyante. Pour les nageurs mongols, la prochaine grosse échéance sera le championnat du monde en petit bassin, en Chine, au mois de décembre. Au-delà, le regard d’Enkhmandakh pointe déjà avec envie vers 2020, l’année où la Mongolie accueillera les championnats d’Asie des jeunes. Pour l’occasion, le premier bassin olympique du pays sera construit. Tout l’enjeu est de savoir si, par la suite, il sera confié à une gestion publique ou privée. Pour l’occasion, la FINA financera d’ailleurs à hauteur de 25 000$ les premières plaques électroniques qui resteront de toute façon propriété de la fédération.

(Éric Huynh)

La fin de l’entraînement approche. J’ai à peine le temps de faire quelques photos de l’étonnant bassin de 25 mètres et 3 lignes d’eau que deux jeunes nageuses viennent à ma rencontre. Enkhkhuslen, 16 ans, est la meilleure nageuse mongole. Bien que son anglais soit correct, elle préfère se faire accompagner d’une amie parfaitement bilingue. Au niveau mongol, Enkhkhuslen n’a pas de réelle concurrente. Lors des championnats nationaux du mois de mars, elle a gagné toutes les courses auxquelles elle a pris part. Soit toutes les épreuves de nage libre, de papillon et de dos : elle dit en souriant qu’elle nage la brasse comme un yack. Comme toutes les jeunes nageuses, elle rêve de Jeux Olympiques. En 2020, elle espère juste participer (la Mongolie envoie régulièrement un nageur et une nageuse aux jeux sur critères de Coubertin), mais en 2024, elle voudrait ramener l’or de Paris. Une ambition qui se heurte à un obstacle de taille : par manque de créneaux, elle ne peut s’entraîner qu’une fois par jour, environ 5km. Dans ces conditions, difficile d’entrevoir un succès planétaire. Elle part néanmoins avec le coach de l’équipe et trois autres nageurs en stage pour trois mois au Japon, avant et après les championnats d’Asie du sud (en août à Jakarta), une occasion – malheureusement trop ponctuelle – de se frotter aux contraintes des deux entraînements quotidiens que réclame le haut niveau. Issue d’une famille très aisée, elle se voit faire des études de médecine. Elle est lucide et elle sait bien qu’elle aura bien du mal à mener de front ces études longues et difficiles avec la pratique à haut niveau d’un sport aussi exigeant que la natation. La Mongolie n’a, en effet, rien qui ressemble de près ou de loin à des cursus scolaires adaptés à la pratique du sport de niveau et encore moins de filière sport-études.

Enkhkhuslen et sa jeune traductrice (Éric Huynh).

Puis c’est au tour d’un jeune garçon de me rejoindre. Jurmed B a 15 ans, il est brasseur. Son coach dit de lui qu’il est très doué, mais tout comme sa camarade de club, il ne s’entraîne qu’une fois par jour et en plus, lui ne fait pas de musculation (alors qu’elle s’astreint à quatre séances de musculation par semaine). Il aimerait se qualifier pour les championnats du monde, dans huit ans, mais lui aussi envisage des études de médecine qu’il faudra mener de front. Quand je lui demande s’il pense qu’il est devenu brasseur parce que Battulga Tulgao, son jeune coach, l’était, il répond par l’affirmative en souriant. Si, comme Enkhkhuslen, il rêve de Jeux Olympiques, contrairement à elle, il a de la concurrence en Mongolie : deux nageurs, plus âgés que lui, de 17 et 23 ans (le nageur de 23 ans étant celui qui a représenté la Mongolie à Rio) peuvent lui contester la seule place disponible. Il lui faudra marquer plus de points qu’eux à la table de cotation de la FINA. Mais il est convaincu que, du fait de sa jeunesse, le temps joue pour lui. En Mongolie, les nageurs arrêtent souvent de nager au moment d’attaquer les études supérieures.

(Éric Huynh)

Nous quittons l’attachant groupe d’Orchlon car Enkhmandakh souhaite, à présent, me montrer le seul bassin de six lignes de la capitale, celui où se sont tenus les championnats de Mongolie en mars dernier. Il m’emmène en voiture par les mauvaises routes et nous finissons par nous arrêter devant un immense parallélépipède gris d’inspiration socialiste. Construit par les Russes dans les années 70, il a été très peu entretenu. En mars dernier, donc, il a pourtant accueilli les championnats nationaux. Pour l’occasion, avec l’aide de la FINA, des plots Pékin ont été installés et de nouvelles lignes ont été achetées. D’ailleurs, quand on pénètre au bord du bassin, c’est ce qui frappe en premier : le contraste entre ces équipements flambants neufs et le reste du bâtiment qui n’est pas loin de tomber en ruine. Les places de gradin sont presque toutes défoncées, l’armature du béton armé affleure de partout, la rouille gangrène les rambardes métalliques censées protéger les spectateurs, des fils électriques pendent du plafond. Les plongeoirs ne sont plus utilisés car ils sont devenus dangereux. Difficile d’imaginer un championnat national se dérouler dans ce qui reste pourtant la plus sportive des piscines de la capitale. Après la visite du grand bassin, un des coaches du club résident vient à notre rencontre et nous invite à le suivre dans son bureau. Dans la bibliothèque, un seul livre traite de natation. C’est un vieil ouvrage russe : il a été remis à notre hôte lors de sa formation initiale, il y a plus de vingt ans. Un des problèmes que rencontrent les coaches locaux, c’est qu’après leur formation initiale auprès d’entraîneurs russes, ils sont livrés à eux-mêmes. Et comme, pour la plupart, ils ne parlent que mongol, il leur est difficile d’utiliser Internet pour se tenir informé des dernières techniques d’entraînement et de nage.

(Éric Huynh)

Mais au-delà des difficultés rencontrées par les coaches pour se tenir à jour, il y a une difficulté supplémentaire, pour les nageurs cette fois : ici, l’accès à la grande piscine se fait sur abonnement mensuel. L’équivalent de 45$ pour un accès au bassin et les conseils d’un maître-nageur, ou 22$ pour un accès « libre ». Des tarifs hors de portée d’une bourse mongole moyenne. D’ailleurs, ils sont moins de dix dans l’eau au moment où nous arrivons. Les nageurs que je vois dans l’eau nagent mal, certains ont des brassards. La grande piscine a longtemps été la seule piscine publique d’Oulan Bator, mais elle a été rachetée à l’Etat par une compagnie médicale dont les locaux jouxtent ceux de la piscine. Que fera-t-elle, à terme, du bassin ? Contractuellement, elle est tenue de le conserver au moins trois ans (le temps que le bassin olympique prévu pour accueillir les championnats d’Asie des jeunes sorte de terre), mais elle pourrait fort bien être détruite, un jour, pour laisser la place à un projet immobilier.

A Oulan Bator, Éric Huynh

Eric Huynh avec les nageurs d'Orchlong (Eric Huynh).

LA FEDERATION MONGOLE DE NATATION

La fédération mongole de natation compte une quinzaine de salariés, dont un président, quatre vice-présidents et un secrétaire général. Elle organise cinq compétitions par an sur le territoire. Deux disciplines seulement sont représentées en Mongolie : la natation course et la natation artistique. Pas de plongeon : le grand bassin d’Oulan Bator a bien des plongeoirs de 1, 3 et 5m, mais ils sont si vétustes que plus personnes n’ose s’y aventurer. Quant au water-polo, avec 300 licenciés au compteur, il est difficile de construire une équipe. Alors un championnat…

 

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