Après deux mois de confinement, Michel Chrétien s’apprête à retrouver les bassins de l’INSEP la semaine prochaine. S’il a gardé le contact avec ses nageurs pendant cette période particulière, il a désormais hâte d’échanger avec eux au quotidien pour leur permettre de retrouver leurs sensations et leur niveau de pratique. Il le sait, cette reprise va nécessiter un échange quasi-permanent et une grande adaptabilité pour articuler les séances en fonction du ressenti des nageurs.
Comment s’est passé ton confinement ?
J’ai la chance d’habiter une maison à Amiens qui est assez grande, avec un jardin et pas très loin de la sortie de la ville, ce qui me permet d’accéder rapidement à des petits chemins de campagne. Au niveau de l’environnement, on ne peut pas dire que ça ait été difficile.
As-tu réussi à échanger avec tes nageurs ?
J’ai gardé le contact avec les nageurs par visio. La technologie a été particulièrement utile pendant ce confinement et c’est d’ailleurs la première fois que je l’exploite de cette manière. Ça a permis de maintenir ce lien avec eux et c’était important.
Était-ce difficile de proposer au quotidien une série d’exercices aux nageurs ?
J’ai la chance de disposer d’une équipe structurée et de qualité avec moi et pendant ce confinement, c’est surtout le préparateur physique qui a fait le lien au quotidien avec les athlètes, dans la mesure où c’est lui qui dispensait des exercices à réaliser chaque jour. Je pense que ça a créé un lien assez fort avec la réalité du niveau d’exigence attendue pour que les nageurs maintiennent une bonne condition physique.
Était-ce primordial de maintenir ce travail physique selon toi ?
Il y avait une combinaison de travail physique et de mise en oeuvre d’exercices proches de la natation pour ne pas perdre les qualités qu’un nageur développe au quotidien. Ça a permis également de garder cette addiction à l’effort physique parce que leur corps est en mouvement cinq à six heures par jour et il était important de combler ce manque d’activité par un niveau minimum d’exercice physique. Il y avait parfois deux séances par jour pour les maintenir dans cet état de sollicitation au quotidien. Si certaines séances étaient libres, celles en visio étaient à un horaire précis et le groupe devait s’y contraindre. Cela a contribué à organiser leur quotidien pendant ces deux mois de confinement.
Photo: KMSP/Stéphane Kempinaire
Les inquiétudes des nageurs portaient davantage sur les sensations dans l’eau. Penses-tu qu’ils vont mettre du temps à les retrouver ?
On sait que la plupart d’entre eux s’arrêtent trois semaines ou un mois pendant l’été et retrouvent assez rapidement leurs sensations. Cette fois ça a duré un peu plus longtemps mais je pense que ça va être une surprise de se replonger dans l’eau. Ils vont redécouvrir certaines sensations qu’ils avaient oubliées ou vont peut-être même les percevoir de façon différentes. Ils vont donc chercher à retrouver leurs sensations perdues, mais vont peut-être même en trouver de nouvelles.
Va-t-il falloir proposer des séances d’entraînements assez différentes de d’habitude dans ce contexte ?
Il faudra une grande coopération entre le nageur et l’entraîneur à travers un échange sur leur vécu dans les premières séances d’entraînement. Il faudra adapter et essayer de comprendre la manière dont ils ressentent cette reprise. Ce qui serait négatif, c’est de tout de suite remettre en place des schémas pré-établis il y a quelques mois. Il va falloir être à l’écoute de leurs sensations pour trouver des programmes d’entraînements qui leur permettront de se reconstruire dans l’eau. Je crois qu’il va falloir vraiment être en situation d’observation et être capable d’adapter les séances les unes après les autres en fonction du ressenti de l’athlète.
Il va également falloir maintenir la motivation des athlètes dans un contexte où il n’y aura pas de compétitions avant un certain temps.
Je n’ai pas ressenti dans les échanges que j’ai pu avoir avec eux une quelconque baisse de motivation. Bien au contraire. Ils sont motivés à reprendre. Il va falloir canaliser cette motivation, d’autant qu’il n’y aura effectivement pas de compétitions avant un petit moment. Mais l’entraînement nous réserve aussi des plages de jeu, de concurrence, d’évaluation. Il y a aussi des records à battre à l’entraînement et des situations qu’il faut dépasser. Il y a toujours des victoires à obtenir. La compétition donne le sens à tout ce travail, mais l’entraînement réserve des phases de jeu qui peuvent conduire à entretenir la motivation.
Comment va s’organiser l’été, alors que pour la première fois il n’y aura aucune échéance nationale et internationale ?
Cet été, on coupera moins longtemps que les années précédentes. Je pense qu’on s’arrêtera une quinzaine de jours au mois d’août. On va se remettre en condition jusqu’à cette date avant de se régénérer un peu et d’attaquer sur une saison dite normale en septembre.
Photo:KMSP/Stéphane Kempinaire
L’objectif de la reprise va donc être de retrouver une bonne condition physique ?
On est dans une discipline qui réclame un bon niveau d’endurance et je pense que ça va être notre chantier prioritaire en cette reprise. Il va falloir que les nageurs retrouvent cette condition physique. On s’est aperçu que malgré leurs séances quotidiennes pendant le confinement, leur niveau d’endurance a chuté. On va reprendre à une séance dans l’eau par jour au début et l’après-midi on proposera des activités physiques annexes en extérieur.
Quand penses-tu pouvoir retrouver le bord des bassins de l’INSEP ?
Les choses évoluent tous les jours et il semblerait qu’on puisse reprendre la semaine prochaine après un examen médical au préalable pour évaluer la condition physique des nageurs. Mais on reste dans l’attente de tout l’environnement de l’INSEP, hébergement et restauration qui n’est pas encore solutionné.
Dans ton groupe, tu as également de jeunes nageurs. Le report des Jeux peut-il permettre à la relève d’émerger ?
Bien sûr. Une année supplémentaire leur permettra de mûrir davantage, même si on n’a pas pu travailler toute l’année dans des conditions normales. J’ai entendu certains nageurs que j’entraîne s’exprimer et déclarer qu’une année d’entraînement supplémentaire peut leur permettre d’envisager les Jeux olympiques et d’y jouer un rôle important. Cela veut dire qu’ils s’y projettent et c’est forcément positif en termes de motivation et d’ambition. Je pense qu’on va se régaler à préparer cette échéance.
Si les sportifs de haut niveau peuvent reprendre, les autres pratiquants sont encore à l’arrêt en raison de la fermeture des piscines. Quelles conséquences cela peut avoir pour eux, mais aussi pour les clubs et la fédération ?
Il est sûr que ça va mettre un coup de frein à l’activité des clubs. Concernant la formation des jeunes et l’accession à la compétition, cela risque de poser des problèmes parce que c’est une période inédite que tous ces clubs vont devoir traverser. C’est une période difficile mais j’ai déjà connu des problématiques telle qu’une fermeture de piscine pendant deux mois lorsque j’étais entraîneur de club, parce que le toit était à refaire ou que les pompes étaient en panne. On a dû bricoler pendant quelques mois mais on a su trouver des solutions parce que quoiqu’il advienne on aura toujours un public demandeur. Je ne me fais pas de soucis, ça redémarrera toujours. D’autant qu’on n’est pas les seuls dans ce cas-là. Les nageurs ne vont pas se tourner vers une autre discipline sportive alors que toutes les activités sont touchées par cette crise.
Peut-on justement espérer que le regain de la pratique d'une activité physique, observé pendant ce confinement, persiste dans le temps ?
Je crois qu’on assiste en ce moment à un regain d’activité libre et individuelle mais ce n’est pas forcément bon pour nos clubs. Je reste convaincu malgré tout qu’on aura une utilité parce qu’on sait que la pratique d’une activité physique non encadrée comporte des risques de blessure, de surentraînement. Les clubs auront un rôle à jouer en encadrant la pratique et en préservant la santé du pratiquant.
Recueilli par Jonathan Cohen