Dans sept ans, Paris accueillera –à nouveau- les Jeux Olympiques. L’occasion pour les athlètes engagés (français comme étrangers) de passer à la postérité, de laisser une empreinte indélébile au Panthéon des plus grands exploits. A l’image des poloïstes tricolores, qui remportèrent le 17 juillet 1924 un titre olympique dont les jeunes générations se revendiquent encore aujourd’hui, ou de la légende américaine Johnny Weissmuller, triple champion olympique dans l’enceinte des Tourelles (Porte des Lilas, 19e arrondissement).
Le « clan des sept »
(Photo D. R.)
Médaillé de bronze en 1900 grâce aux Libellules de Paris et aux Pupilles de Neptune de Lille (ce sont des clubs et non des sélections nationales qui concouraient lors des Jeux de 1896 et de 1900, ndlr), le water-polo tricolore n’affiche pas d’ambition particulière à la veille des Jeux de 1924. Tant il est vrai que la Grande-Bretagne, triple tenante du titre, ou bien encore la Belgique et la Suède, médaillés lors des trois dernières éditions, dominent sans partage les joutes olympiques depuis deux décennies. Et pourtant… Sous la conduite de Paul Beulque, fondateur et entraîneur des Enfants de Neptune de Tourcoing, le club qui décroche tous les titres nationaux depuis 1909, un petit groupe d’irréductibles Gaulois s’entraînent, encore et encore, pour bousculer la hiérarchie. Deux ans durant, Paul Dujardin (le gardien), Noël Delberghe et Albert Deborgies (les arrières), Henri Padou (le demi), Robert Desmettre et Félix Vandevenne (les avants), se donnent rendez-vous matin, midi et soir pour parfaire leur technique et peaufiner leur tactique.
Deux mois avant les Jeux, Beulque, officiellement chargé de diriger l’équipe de France, appelle son ancien coéquipier des Jeux de 1912, le Parisien Georges Rigal, à rejoindre ses sept « Cht’is ». La machine est de mieux en mieux huilée, mais à quatre jours de l’ouverture de la compétition, Vandevenne se fait percer le tympan à l’entraînement. C’est un autre sociétaire des Libellules de Paris, Albert Mayaud, membre de l’équipe de France aux JO de 1920, qui est appelé pour suppléer le malheureux Tourquennois, tandis que Jean Lasquin et André Fasani du SCUF, René Bertrand des Libellules et Jean Pérol du CN Seine figurent parmi les engagés mais… n’entreront jamais en jeu. Il faut reconnaître que dès la première rencontre, le 13 juillet 1924, face aux Etats-Unis, le « clan des sept » fait des merveilles. Dominés et menés 1 à 0 à la mi-temps, les Tricolores se ruent à l’assaut des buts américains permettant à Desmettre de ramener les deux équipes à égalité et d’arracher une prolongation. Un véritable calvaire quand on sait que le ballon, en cuir, s’imprègne d’eau tout au long du match pour devenir de plus en plus lourd ! Moins bien préparés physiquement que les Français, les Yankees finissent par faiblir. Servi par Henri Padou, surnommé « le grand canard » en raison de sa taille (1,88m) et de sa pointure, Mayaud en profite pour donner l’avantage à la France, avant que Desmettre ne scelle définitivement le sort de cette première rencontre.
Opposés aux Hollandais en quart de finale, les hommes de Beulque continuent sur cette belle lancée. A égalité avec leurs adversaires à la pause (3-3), ils inscrivent trois buts en deuxième période soulevant l’enthousiasme du chroniqueur officiel des Jeux qui n’hésite pas à écrire dans son rapport que « la France démontrait assez nettement sa supériorité et réalisait certainement quelques-unes des plus belles phases de jeu auquel le tournoi olympique devait donner lieu ». Médaillés de bronze quatre ans plus tôt à Anvers et adversaires des Français en demi-finale, les Suédois semblent en mesure de mettre un terme au rêve tricolore. Après une première période où « la défense française, et principalement son gardien de but Dujardin, se distinguait », il faut attendre à nouveau la deuxième période pour voir les Bleus se détacher grâce à deux dernières réalisations signées Mayaud et Desmettre et gagner leur billet pour la finale.
Alors que le public s’intéresse de plus en plus au parcours des poloïstes, la formule un peu alambiquée choisie pour ce tournoi olympique va priver l’équipe de France du soutien massif de ses supporters puisque l’ultime affrontement se déroule le jeudi 17 juillet, en pleine semaine. Un handicap que les Tricolores, opposés aux vice-champions olympiques belges, vont cependant avoir vite fait de gommer. Mais laissons une dernière fois la parole au chroniqueur de l’époque : « La première mi-temps, longtemps égale, donnait lieu à un jeu vite, sec et particulièrement serré qui resta longtemps sans résultat. Juste avant le repos pourtant, sur le coup franc à l’avantage de Padou, ce dernier servait Desmettre qui ouvrait la marque pour la France ». Après un nouveau but de Desmettre en deuxième période, c’est à Henri Padou, que revient le plaisir de conclure cette folle épopée qui porte les Tricolores sur le toit du monde poloïstique.
L’incroyable Johnny Weissmuller
(Photo D. R.)
Né le 2 juin 1904 à Szabadfalu, petit village de l’Empire austro-hongrois non loin de Timisoara dans l’actuelle Roumanie, Janos Péter Weissmuller n’a que sept mois quand sa famille émigre aux Etats-Unis. D’abord en Pennsylvanie, puis à Chicago, où Weissmuller père, en quête d’une réussite sociale qui se refuse à lui, sombre dans l’alcoolisme. Alors que le monde s’apprête à s’embraser, le sort s’acharne sur Janos Peter puisqu’on diagnostique chez le garçon de neuf ans une poliomyélite. Les médecins, convaincus de favoriser ainsi sa guérison, l’orientent vers la pratique de la natation. Au même moment en Europe, c’est l’Histoire (avec un grand H) qui va, cette fois, faire intrusion dans la vie du jeune Weissmuller. Les traités qui mettent fin à la Première Guerre mondiale remodèlent, en effet, les frontières laissant en particulier les personnes nées dans l’Empire Austro-Hongrois sans patrie. Ce qui est le cas de Janos Péter, mais pas de son frère cadet Peter. Une anecdote qui aura son importance…
A la piscine de Chicago, où il aligne les longueurs, l’adolescent attire rapidement l’attention de Bill Bachrach, l’entraîneur du réputé Illinois Athletic Club et de l’équipe américaine qui se distingue lors des Jeux d’Anvers. Plus impressionné par son physique (« grand, puissant, avec des épaules incroyablement larges ») que par son style, le technicien voit immédiatement l’immense potentiel de Weissmuller. Malgré « l’effroyable combat de Johnny avec l’eau », il propose à l’adolescent de quitter son boulot de groom dans un hôtel pour le rejoindre à l’IAC. Pendant de longs mois, à l’abri des regards indiscrets, Bachrach va façonner ce diamant brut dont il a désormais la charge. L’enjoignant à privilégier la forme à la vitesse (« swim for form and not for speed »), le coach lui apprend tous les secrets du crawl. Très vite capable d’adopter le battement du plus grand sprinter du moment, Duke Kahanamoku, ou le départ du triple champion olympique d’Anvers, Norman Ross, Weissmuller fait ses débuts en compétition officielle le 6 août 1921 dans le Minnesota. Engagé sur 50, 100, 120 et 150 yards nage libre, il remporte les quatre courses entamant ainsi une incroyable période de sept ans d’invincibilité. Quelques semaines plus tard, alors qu’il n’a pas encore 18 ans, il bat dans la piscine de Brighton Beach à New-York, le premier des 67 records du monde qui jalonneront sa carrière, sur 100 yards. Le 9 juillet 1922 à Vienne, il est le premier homme à nager le 100 m nage libre en moins d’une minute (58’’6).
Surnommé le « Prince des vagues », « L’hydravion humain » ou « la perle aquatique », Weissmuller révolutionne la technique du crawl. L’un des seuls à maîtriser le départ plongé, il perfectionne la culbute, effectuant son virage totalement sous l’eau sans tenir le mur, tandis que sa fréquence de bras, très élevée, impressionne. En revanche, s’il respire alternativement à droite et à gauche, il ne met jamais la tête sous l’eau. Une particularité qui ne l’empêche pas de porter le record du monde du 100 m nage libre à 57’’4 quelques mois avant les Jeux de Paris. Annoncé comme la star de l’événement, Janos Péter Weissmuller est pourtant à deux doigts de devoir y renoncer. Apatride, il doit en effet usurper l’identité de son frère et faire établir de faux papiers. Au vu et au su du Comité International Olympique qui ne veut pour rien au monde se passer de son prodige. En lice le 16 juillet 1924 dans la troisième série du 400 m nage libre, où s’aligne également le Français Salavator Pelegry, le futur oncle de Jean Boiteux, l’Américain bat le record olympique de la distance pour son entrée dans la compétition. Dominateur le lendemain en demi-finale (avec un nouveau record olympique à la clé), il est le favori du dernier acte. Mais c’est sans compter avec le Suédois Arne Borg et l’Australien Charlton qui contestent jusqu’au bout le titre promis à Weissmuller comme l’explique, non sans lyrisme, le chroniqueur officiel des JO : « Les derniers 50 mètres donnaient lieu à une lutte épique qui porta vraiment en elle la quintessence du sport. Johnny Weissmuller, dans un effort de tout son être, parvenait dans une dernière détente à s’assurer de 1 mètre 50 le meilleur sur Arne Borg, tandis que Charlton, remarquablement revenu et qui terminait certainement le plus fort des trois nageurs, finissait sur les talons mêmes du champion suédois ».
Fort de ce premier titre, l’Américain apparait plus que jamais comme l’homme à battre du 100 m nage libre dont les séries, qui réunissent trente concurrents issus de quinze nations (un record), débutent le 19 juillet. Franchissant sans encombre ce premier obstacle, Weissmuller domine ensuite les demi-finales dans un chrono de 1’00’’8 qui semble déjà bien difficile à atteindre pour ses adversaires. C’est devant près de 7 000 spectateurs réunis en ce dimanche 20 juillet, ultime journée des olympiades parisiennes, que se dispute la finale tant attendue. Malgré l’opposition du double champion olympique Duke Kahanamoku et de son jeune frère Sam, celui qui est déjà devenu l’idole des Parisiens (et surtout des Parisiennes) touche le mur en 59’’5, soit près de deux secondes de moins que le vieillissant Kahanamoku. Dans la foulée, l’incroyable Johnny Weissmuller remporte un troisième titre avec le relais 4x200 m nage libre américain et une quatrième médaille, de bronze cette fois, avec l’équipe nationale de water-polo, devenant ainsi le héros de ces Jeux de 1924.
Jean-Pierre Chafes