Co-Champion du monde du 100 m dos en 2011 à égalité avec Camille Lacourt, Jérémy Stravius est bien placé pour évoquer les grandes rivalités de l’histoire de la natation. Le dossiste de 34 ans ne sait pas encore quand il prendra sa retraite, mais a encore toute sa mémoire pour regarder dans le « rétro » et se souvenir des plus grandes confrontations dans les bassins.
Thorpe VS VDH (van den Hoogenband)
Thorpe a été en confrontation avec tellement de nageurs, avec Phelps, sur 200M NL, l’Américain ne faisant pas de 400 et l’Australien pas de 100M. Entre ces deux-là, je n’ai pas forcément de course qui me revienne, d’une course où il y ait eu de gros face à face. En fait, la rivalité se situe plus entre Thorpe et VDH (van den Hoogenband), et notamment autour de ce 200M NL à Sydney aux JO 2000. C’était juste « fou » cette confrontation, ces 2 mondes. Je l’avais regardée à la TV, et je me disais vraiment que c’était un moment absolument énorme. Comme deux idoles pour moi, c’était dingue de retrouver cette confrontation sur une compétition phare. Et on en rêve tous de retrouver aujourd’hui deux nageurs comme eux avec autant d’indécision. Thorpe, cela reste Thorpe, immense par la taille, et impressionnant de relâchement et de facilité. En même temps, il nageait très grand. Il chausse au moins du 50. Et au niveau de ses mouvements, il allait chercher très loin devant, très loin derrière. Van den Hoogenband, c’est le premier à passer sous les 48 sur 100M NL, cette puissance, cette force mais sans être brutal. Une nage relâchée, vive. Un peu comme Popov, il nageait très vite mas sans être « bourrin » comme on a pu le voir à partir de 2010 avec des sprinteurs très, très musclés. Je me suis inspiré de ces deux très grands nageurs, et Thorpe a d’ailleurs été l’un des premiers que j’ai observé techniquement.
Photo: Vandystadt
Ledecky VS Titmus
Cela s’est surtout joué sur 200 – 400M, et notamment sur 400M NL, la course qui les a le plus opposées, et où cela a été le plus serré. Ledecky (plus âgée) a commencé à performer un peu plus tôt, avant que Titmus n’arrive pour ensuite mettre son petit grain de sel sur 400M… La dernière course et la dernière confrontation dont je me souvienne ? La victoire de Titmus aux derniers Championnats du Monde de Budapest. Elle passe devant Ledecky et c’est une image forte car l’on pensait l’Américaine s’imposer sur 400, une distance qu’elle domine depuis tant d’années. Sur le plan technique, Ledecky est plus en force. On sent que cela tracte beaucoup, alors que Titmus est plus longiligne et en glisse. Y a-t-il un passage de témoin ? Je ne dirai pas ça… A 25 ans, Ledecky est toujours là, et puis, on a aussi vu apparaître une jeune Chinoise, Li Bingjie, qui gagne sur 400M NL avec le record du monde aux derniers Championnats de Chine (3’51’30 – 5 secondes plus rapide que le précédent record de Titmus). On sait qu’un ou 2 ans avant les JO (de Paris 2024), il y aura toujours des révélations chinoises, et cette nageuse est capable de se mêler à la course entre les 2 patronnes. Après, Titmus, je connais son coach australien qui m’a déjà entrainé par le passé, avec son groupe, quand j’étais parti en Australie en 2011 avec mon club.< Et je sais que le travail réalisé à l’entrainement est costaud, que ce soit en termes de charges de travail et l’envie qu’il y met. Il est très bon, encourage tout le temps. L’Australienne de 22 ans a une marge de progression, spécifiquement en termes de vitesse pure. Elle peut prendre un départ plus rapide sur son 1er 100M, et si elle prend les commandes dès le début, alors là, elle sera encore plus difficile à battre.
KMSP/Stéphane Kempinaire
Bernard VS Sullivan
C’est LA course, le titre d’Alain sur 100M NL aux JO de Pékin (2008). Moi, je suis arrivé en équipe de France en 2009 et j’avais vu la course chez moi. Je m’étais levé en pleine nuit, très stressé en me disant que ce serait l’un ou l’autre. Alain, je ne le fréquentais pas à cette époque, et j’étais excité, me demandant comment ils allaient réussir à gérer l’enjeu. Ce qui m’a le plus impressionné chez Alain Bernard, c’est sa capacité à rebondir après la 2ème place du relais 4X100M NL (derrière les Etats-Unis quelques jours plus tôt), savoir l’encaisser vu qu’il avait été dernier relayeur. Psychologiquement, j’imagine qu’il devait être un peu touché. Bernard et Sullivan, ce n’est pas du tout le même gabarit et donc pas le même rendu dans l’eau. Sullivan est plus véloce avec une motricité plus rapide. Alain est très en force, et était celui qui allait le plus vite dans la nage. Et personnellement, je me suis inspiré d’Alain Bernard dans sa respiration 4 temps notamment. Après, on a chacun notre propre manière de nager. Quand il a gagné l’or olympique, j’ai ressenti beaucoup de bonheur, et j'étais fier de voir un Français champion olympique. Quelques mois plus tard, j’ai fait ma 1ère Coupe du Monde, il nous a accueilli et on est devenu assez proche. En tant que relayeur, et vu tous les stages passés ensemble, cela créé des liens.
Photo: ABACA Press
Lacourt VS Stravius
Notre rivalité s’est faite sur 50 et 100M dos. Camille est de 1985 et moi né en 1988. Notre confrontation a vraiment commencé en 2009 même si on s’était déjà affrontés plus jeune. Je pense qu’il ne s’en souvient pas et ce sont des photos qui me l’ont rappelé il y a peu de temps. En fait, le premier gros affrontement a lieu à Montpellier en 2009 lors des Championnats de France grand bassin. Il gagne le 50, et moi le 100M… D’autres dossistes, Stasiulis et Roger, étaient très bons mais cette opposition entre Camille et moi, démarre vraiment-là. Après, c’est en 2010 où l’on se démarque et où on explose un peu tous les deux. On va performer plus qu’avant et on passe un cap. Aux Championnats d’Europe 2010, il s’impose devant moi sur 100 dos, me met plus d’une seconde, explosant au passage le record d’Europe et démarre pour lui la très forte médiatisation qui va avec. Je me dis que ça va être un bon nageur français, à affronter sur les années à venir. Et puis arrivent les Mondiaux 2011 de Shanghai. Suis-je à ce moment-là jaloux de sa médiatisation ? Pas du tout. Il était parfaitement normal qu’il soit médiatisé après son record d’Europe, et de manière générale, sa grosse médiatisation ne m’a pas embêté. J’ai toujours aimé rester un peu à l’écart, et de son côté, je pense que cela l’a même peut-être desservi. Le 100M dos, en 2011, je l’aborde de manière sereine, tranquillement, sans me « prendre la tête », en pensant surtout à nager sur mes points forts, sans pression aucune. Il y a du stress, mais un stress positif, et je n’ai d’ailleurs jamais été démuni par le stress de la compétition. Je gagne les séries et ma demi-finale. Et dans la chambre d’appel avant la finale, il y a des encouragements réciproques entre Camille et moi. « Allez mon gars, il faut que l’on fasse un et deux », me dit Camille Lacourt. On s’encourage, et ça a toujours été le cas pendant des années en équipe de France. Je fais ma course, et sens que cela va être très serré mais je donne tout pour gagner. Quand je touche et que je vois Champion du monde, suis-je surpris ? Oui et non, je savais que j’étais l’homme à battre après les séries et la demi… Camille, lui, n’avait pas forcément démontré une grande forme, donc j’avais toutes mes chances, et là je vois 52'’76… On était côte à côte (lignes d’eau 3 et 4). Moi j’avais les jambes coupées, et mal au crane. Et contrairement à moi, lui était étonné car il n’avait pas vu que l’on était co-Champion du monde ! Il était content, et cela reste un très, très beau moment ! J’étais ému, la 1ère fois que je deviens Champion du monde, et on devient avec Camille les premiers Français champions du monde chez les hommes. Ensuite, le protocole, on en a bien rigolé, et on s’en est bien amusés. Les plateaux TV, on les a faits à la rigolade. On était vraiment trop content l’un pour l’autre, et cela a d’ailleurs toujours été très respectueux entre nous. Pour quelles raisons certains ont-ils essayé de nous opposer ? On ne voulait pas être rivaux. On nous a mis en rivalité, et ça a été un peu « too much » à certains moments. On nous a collé cette étiquette, comme si limite on ne pouvait pas se parler, ce qui était faux. Avait-on vraiment besoin de ça pour progresser ? En fait, on était assez intelligent pour comprendre que l’on s’aidait mutuellement pour progresser. Camille était meilleur dans la nage, personne ne nageait plus vite que lui en dos. Il était grand, léger, véloce, avec un rythme de bras impressionnant pour sa taille (2M pour 1M90 chez moi). La différence de taille lui permettait d’aller plus vite en nage… Moi, je ne tournais pas les bras aussi rapidement, mais j’étais plus puissant. Et j’avais d’autres atouts sous l’eau et au niveau des jambes.
Photo: Franck Faugère/DPPI
Laure Manaudou VS Federica Pellegrini
Là, on parle d’une rivalité dans les bassins, mais aussi en dehors, et je pense la plus grosse rivalité que l’on ait connue, que ce soit médiatiquement, au niveau des coachs (Philippe Lucas les a entrainées toutes les deux), sur le plan sentimental également avec les histoires de petits-copains… Tout cela mis bout à bout faisait la une à chaque fois. Laure avait été Championne olympique en 2004, une star. Elle avait aussi largement dominé les Mondiaux 2005 et 2007 sur 200 et 400M NL. Souvent Laure Manaudou a pris l’ascendant mais il y a eu cette transition quand elle a commencé à stagner, ou quand elle a commencé à décliner au fur et à mesure… C’est à ce moment-là, et notamment en 2008 que Pellegrini prend le relais. Il s’agissait plus d’une rivalité à distance mais pas dans l’eau… En fait, Laure a perdu pied et n’était plus au niveau. Pellegrini a ensuite pris les commandes, et les a gardées. Laure, c’était l’entrainement mais en même temps en s’entraînant avec Philippe, il fallait nager et nager… Ce n’était pas une sprinteuse Laure Manaudou. Pellegrini, c’était un peu le même genre mais avec un incroyable finish. Sur la dernière longueur, c’était la meilleure, capable de rattraper 3-4 nageuses.
Photo: ABACA Press
Propos recueillis par Antoine GRYNBAUM