Finaliste de la Coupe du Monde 1999, demi-finaliste de l’édition 2003, Olivier Magne, 46 ans, a suivi de près le dernier Mondial de rugby au Japon (20 septembre-2 novembre 2019) comme consultant au micro de TF1. L’occasion pour l’ancien troisième ligne-aile de Dax, Brive ou Clermont de poser son « regard d’électron libre » sur le XV de France qu’il définit comme « la vitrine qui pousse les gens à aimer le rugby ». Vitrine que l’ex-entraîneur de la Grèce (2009-2010) ou de l’équipe de France des moins de 20 ans (2013-2016) juge bien terne dans un récent livre J’ai mal à mon rugby (Éditions Solar). Deux cent pages nourries de « propositions pour l’avenir du rugby hexagonal » exposées en longueur à Natation Magazine par celui qui fut, un temps, l’un des maîtres-nageurs de la piscine municipale de Dax dans les Landes.
En grandissant à 50 mètres d’un stade de rugby à Aurillac, on vous imaginait vacciné avec un ballon de rugby, mais c’est d’abord le ski qui vous anime, avec la natation pas très loin…
C’est vrai, je voulais être skieur avant de faire du rugby et j’avais d’ailleurs commencé à passer mon brevet d’État de moniteur de ski tout en passant en parallèle mon brevet d’État de maître-nageur pour allier les deux activités. Finalement, je n’ai pas terminé celui de moniteur de ski, mais j’ai bien eu celui de maître-nageur en 1994 au CREPS de Bordeaux. Et puis, petite anecdote, lorsque je voulais devenir skieur, j’étais en sport-études au lycée du Mont-Blanc, en même temps que Catherine Plewinski. Pour nous, c’était une immense nageuse.
Est-ce que vous avez eu l’occasion d’enseigner la natation ?
Oui, comme maître-nageur à la piscine de Dax pendant deux ans à l’époque où le rugby n’était pas encore professionnel. Depuis, je continue de suivre la natation parce lorsqu’on en a fait un peu on sait les efforts d’abnégation que demandent ce sport pour arriver au plus haut niveau et surtout s’y maintenir. Nous, en rugby, évoluons dans une discipline où les efforts sont beaucoup moins ingrats, avec un côté ludique beaucoup plus prononcé et on ne se rend pas toujours compte de notre chance. Beaucoup de sportifs qui n’ont fait que des sports collectifs mériteraient d’ailleurs de faire rien qu’une petite semaine aux côtés d’un nageur ou d’une nageuse de haut niveau…
Vous voulez dire que ce serait une façon de leur remettre les idées en place ?
Complètement ! J’ai pratiqué beaucoup de sports individuels comme l’athlétisme, le ski et donc la natation et je suis persuadé que croiser les expériences entre le rugby et la natation permettrait à certains de se rendre compte qu’en natation, il n’y a pas de place pour le laxisme. Je le sais d’autant plus que je continue à nager : je vis à Hossegor dans les Landes et je suis dans l’eau dès que je le peux pour surfer. Du coup, je m’entretiens aussi en nageant dans le canal d’Hossegor, en ressentant parfois le poids des années !
Le syndrome du « physico-physique » dont vous parlez abondamment dans votre dernier livre, c’est le mal du rugby français au 21e siècle ?
Oui, surtout que ce rugby exclusivement constitué d’affrontement et de défi physique est à mon sens un jeu qui ne gagne pas parce qu’il est limitant et n’est pas source de progrès et de plaisir. Mais, le rugby français est bel et bien parti, il y a une dizaine d’années, sur l’option du tout physique, sur des joueurs costauds, rois du rentre-dedans. Heureusement, avec la réussite de l’équipe de France des moins de 20 ans, double championne du monde en 2018 et 2019, on s’aperçoit qu’en privilégiant des méthodes de sélection qui correspondent davantage à un rugby de mouvement, la France reste capable de produire des joueurs qui peuvent être culturellement orientés vers ce jeu-là. Et historiquement, l’identité française du jeu de rugby est quand même bien tournée vers un jeu fait de vitesse et d’initiative.
Finaliste de la Coupe du Monde 1999, demi-finaliste de l’édition 2003, Olivier Magne, 46 ans, a suivi de près le dernier Mondial de rugby au Japon comme consultant au micro de TF1 (Getty Images).
Avec les Bleuets qui gagnent, Toulouse de nouveau champion de France en 2019, il y a donc de bons indices qui montrent qu’on est sur la base d’une « reconstruction » positive du rugby français ?
Toulouse a montré qu’avec des gabarits qui ne sont pas monstrueux, capables de mettre de la vitesse et de l’intelligence dans le jeu, on peut aussi pratiquer un rugby efficace. Le seul problème, c’est que pendant que le rugby français se fourvoyait dans un style de jeu ultra-physique, les autres nations n’ont pas chômé. Donc, on a du retard à rattraper…
L’horizon qu’il faut viser pour combler ce retard, c’est le Mondial 2023 en France ?
Oui, mais pour cela, il faut absolument que l’équipe de France se tourne vers une identité de jeu très claire portée vers l’attaque, avec des joueurs qui sont identifiés pour savoir pratiquer ce jeu-là, notamment les moins de 20 ans champions du monde. Ensuite, avec la foi et en ne s’arrêtant pas à la première défaite, le XV de France retrouvera les sommets du rugby mondial.
Toujours sur ce thème de la progression des jeunes joueurs, vous pointez justement la faiblesse du championnat de France, le Top 14…
Il faut faire en sorte que le Top 14 soit le prolongement de la formation hexagonale, que nos jeunes joueurs puissent régulièrement intégrer l’élite pour être ensuite performant à l’échelon international. Mais ils sont trop souvent barrés en club par les joueurs étrangers et se retrouvent ensuite perdus en matches internationaux.
Pour vous le Top 14 doit donc être réformé en profondeur ?
Je suis déjà favorable à une seule descente en Top 14 et à la suppression des phases finales pour récompenser l’équipe la plus régulière comme en foot. Le club qui termine premier du Top 14 est champion de France, c’est plus lisible pour le grand public et ça libère des dates pour les Bleus. On doit aussi favoriser un arbitrage beaucoup plus en phase avec ce qui se fait au niveau international, beaucoup plus connecté donc avec un rugby qui donne énormément de liberté à l’équipe sachant créer et favoriser le jeu d’attaque. Le Top 14, c’est quand même aujourd’hui un championnat parfois étriqué où très vite dans la saison beaucoup d’équipes se réfugient derrière des schémas attentifs qui ne permettent pas de se projeter vers le rugby international.
Avec un tel discours, vous êtes mûr pour vous présenter aux prochaines élections à la tête de la Fédération Française de Rugby qui devraient se tenir le 3 octobre 2020 ? Vous avez d’ailleurs été approché par un des candidats déclarés ?
En fait, je ne suis entré que dans des discussions tout à fait informelles avec le président du Comité Ile-de-France, Florent Grill, parce qu’il souhaitait échanger, mais rien de plus. Si on me demande mon avis, je le donne et j’essaie de donner ma vision de ce qu’il faut changer pour le bien du rugby français. Comme je l’ai fait en sortant mon livre et comme je l’étais d’ailleurs lorsque j’étais joueur. J’ai envie de rester un électron libre. De toute façon, ce qui m’intéresse avant tout, c’est le jeu parce que je suis un enfant du rugby, élevé dans ce milieu qui souhaite que tous nos rugbys -amateurs et professionnels - se reconnectent au service de la vitrine qu’est le XV de France. Le rugby masculin français vit quand même une perte de licenciés très importante ces dernières années et on sait pertinemment qu’un vivier de joueurs plus important permettra plus facilement, à travers une bonne politique de formation, de retrouver des potentiels capables de faire briller le XV de France.
Recueilli par Frédéric Sugnot