Conseiller Technique National à la Fédération Française de Natation, Robin Pla continue à suivre les athlètes durant le confinement, via des questionnaires et des mesures de leur fréquence cardiaque notamment. L’occasion de mesurer la motivation de chacun, mais aussi leur forme physique et morale et d’assurer un suivi pour ces athlètes qui ont l’habitude d’être encadrés tout au long de l’année.
Lorsque le confinement a été décrété quelle était la priorité pour les athlètes ?
Au départ, on ne savait pas combien de temps cela allait durer. Certains ont décidé de couper une semaine, ce qui était plutôt cohérent puisque les championnats de France de natation devaient se tenir initialement mi-avril et qu’ils allaient bientôt entrer en période d’affûtage. Ensuite, on s’est rapidement organisé pour essayer de recenser les besoins des athlètes et leur envoyer du matériel pour qu’ils puissent réaliser de bonnes séances de préparation physique. Il était important de faire en sorte de limiter les conséquences du désentraînement et leur permettre de garder un niveau aérobie satisfaisant puisque c’est ce qui se perd le plus rapidement. Avec certains outils dont je dispose, j’ai pu constater que la fréquence cardiaque au repos des athlètes avait augmenté de manière significative.
Au fil des discussions avec les athlètes de la FFN, leur plus grande crainte était justement de perdre leur capacité aérobie.
Oui et c’est plutôt logique. C’est quelque chose qui n’est pas forcément évident à travailler de chez soi, à moins d’être équipé spécifiquement pour ça. Les sportifs de haut niveau qui ont l’habitude de faire énormément de sport peuvent perdre rapidement leur capacité cardiaque lorsqu’ils ne s’entraînent plus. Je l’ai constaté avec les données qu’ils m’ont transmises. Ils ont une ceinture qui leur permet de mesurer leur fréquence cardiaque et celle au repos a effectivement augmenté. Du coup, à l’effort, ils se fatiguent plus vite et sont moins endurants. C’est d’autant plus significatif lorsqu’ils mesurent leur fréquence cardiaque debout, car le retour veineux est moins bon. Ils passent du temps assis ou allongé et ça ne facilite pas ce retour veineux. Les filles souffrent davantage de ça, car leur retour veineux est, physiologiquement, un peu moins bon que celui des garçons. Et puis leurs heures de sommeil sont forcément un peu décalées, ce qui joue sur la fréquence cardiaque.
Graphique: FFN/Robin Pla
C’est à dire ?
Les athlètes restent chez eux toute la journée et sont sans doute moins fatigués qu’après une journée d’entraînement. Il y a différentes tentations et certains décalent leurs heures de sommeil en se couchant plus tard et en se levant plus tard. Et même s’ils ont leur huit heures de sommeil, on constate que quelqu’un qui se lève à 11 heures aura une fréquence cardiaque au repos plus élevé et sera plus fatigable. On a donc essayé d’insister sur cet aspect pour qu’ils gardent cette hygiène au niveau du sommeil mais aussi de la nutrition.
D’autant que les athlètes ont l’habitude d’être bien entourés et très cadrés. Était-ce important que ce soit toujours le cas dans cette période ?
C’est exactement ça. Toute l’année, ils ont une planification précise, parfois des menus types s’ils ont une nutritionniste, un suivi avec des kinés, des préparateurs physiques, mentaux. Et désormais, ils sont tout seul livré chez eux. Certains avaient peur d’être livrés à eux mêmes et ont souhaité disposer d’un suivi par le staff de leurs clubs et par la fédération. C’était important de les entourer sur différents aspects, que ce soit physique ou nutritionnel notamment. Et c’est aussi pour ça que chaque semaine ils doivent répondre à un questionnaire qui évalue leur forme physique, moral et d’autres aspects comme la nutrition. D’autant qu’une prise de poids pendant cette période peut entraîner des blessures durant leurs séances de PPG ou à la reprise.
Graphique: FFN/Robin Pla
Les nageurs ont en plus un physique particulier qui peut leur poser des problèmes dans des activités physiques plus terriennes.
C’est vrai et c’est pour cette raison que je pense que le confinement est vraiment difficile pour les nageurs, peut-être plus que pour les autres sportifs. Au-delà du fait qu’ils ont des sensations d’appui et de glisse dans l’eau qu’ils vont devoir retrouver, ils ont un physique aquatique qui peut conduire à des blessures des chevilles par exemple lors de séances de préparation physique ou de footing autour de leur domicile. Un nageur comme Axel Reymond ressent plus de douleurs actuellement alors qu’il nage moins. Mais c’est parce qu’il fait du rameur pour compenser et qu’il n’a pas forcément l’habitude.
Dans les réponses aux questionnaires, as-tu senti un avant/après annonce du report des JO, notamment au niveau de la motivation ?
Pas vraiment. En tout cas, ça n’a pas été flagrant. Il y a davantage eu un avant/après l’annonce du prolongement du confinement pour un mois le lundi 13 avril. À ce moment-là, la motivation a un peu baissé. Et c’est assez logique parce qu’à moins d’une blessure, les sportifs ont rarement été éloigné des bassins pendant deux mois. Il y a eu des études sur les effets du désentraînement pendant un mois, mais là, l’arrêt est long et cela risque d’être plus difficile à gérer.
Justement, quelles peuvent-être les conséquences physiologiques sur les athlètes ?
On n’a pas assez de recul pour le savoir et la situation est tellement inédite que ce n’est pas facile de le matérialiser. Et puis ça ne sera pas la même chose pour un sprinter que pour un nageur d’eau libre par exemple. Pour les nageurs d’eau libre, cela risque d’être encore plus difficile de retrouver une bonne condition physique. Et puis il y a aussi une question d’âge. Pour les sportifs de haut niveau plus âgés et déjà formés, on peut dire que le corps a une mémoire et qu’ils retrouveront leur capacité. Les effets de ce confinement seront sans doute plus problématique chez les juniors qui sont en pleine formation et en plein développement. Ça ne va pas dire qu’ils ne poursuivront pas leur progression, mais celle-ci va être forcément ralentie.
Qu’est-ce qui va être primordial lors de la reprise pour les athlètes ?
Il va d’abord falloir qu’ils renouent avec leurs habitudes et leur quotidien. Ils vont devoir retrouver leurs repères dans l’eau mais aussi à l’extérieur avec l’ensemble du staff. Et ce sera à leurs entraîneurs de gérer la planification afin qu’ils retrouvent leur niveau le plus rapidement possible. La saison est terminée et il n’y aura sans doute pas de compétition avant l’automne, ils auront donc du temps. Quoiqu’il en soit, je pense que le travail de reprise sera un travail foncier de début de saison pour retrouver au fur et à mesure la caisse nécessaire pour encaisser les séances plus difficiles qu’ils auront à réaliser.
Graphique: FFN/Robin Pla
Recueilli par J. C.