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Entre médias avides d'exploits et réseaux sociaux, vitrines de l'image que l'on veut refléter de soi-même, la quête de la performance dans son sens le plus large n'est-elle qu’une simple question d'ambition ? A l'époque de la « méforme interdite », la célèbre maxime du Baron Pierre de Coubertin sonne un peu comme une « consolation » face aux efforts déçus. Le débat nous entraîne aux frontières parfois ténues de la volonté et de l'ambition.

Certains la considèrent comme la quintessence de l'esprit olympique mais à une époque où la pression médiatique est souvent la plus forte et où les enjeux ne sont plus uniquement sportifs, le message qu'elle transporte motive-t-il toujours de la même manière les athlètes scrutés par les caméras du monde entier et soumis aux multiples sollicitations de la notoriété ? Qu'est-ce qui sépare l’idéal du débutant rêvant de participer aux plus grandes épreuves internationales de l'athlète accompli, rompu aux nécessités de la compétition et attentif à l’image qu'il renvoie à ceux qui le soutiennent et l’admirent ? Chacun sans doute tente à sa manière de s'émanciper de ces considérations désormais intimement liées à la pratique sportive de haut niveau, mais est-il seulement possible d'y échapper ? Participer sans rêve de victoire ou, à défaut, de la meilleure performance, est-il aujourd'hui possible ? La méforme des favoris n'est finalement pas exclue. Sans parler de la satisfaction personnelle qu'éprouve sans doute tout athlète à cultiver le défi tant mental que physique que constitue cette quête de victoire. Car au-delà de ces questions une chose reste toutefois certaine : « No pain, no gain » ! Pour résumer : rien n'est possible sans sacrifices ; se hisser parmi les meilleurs ne peut être que le fruit d'un travail obstiné et du dépassement de soi-même. Bref, l'espoir de briller fait partie de la nature humaine, mais au final les podiums ne s'offrent toujours qu'aux trois premiers...

A force de travail, d’exigence et d’investissement, Alain Bernard est devenu champion olympique du 100 m nage libre aux Jeux de Pékin, en 2008 (Abaca/Nicolas Gouhier).

La piscine de Mâcon est située rue Pierre de Coubertin. Pas sûr pour autant que cela incite les jeunes nageurs se rendant à l'entraînement à méditer sur la phrase attribuée à celui qui ressuscita les Jeux Olympiques. Mais chez Candice, 13 ans, et Dorien, 14 ans, le sens de l'effort est déjà bien présent. Selon eux, « il faut que tu aies mal après la nage, il faut savoir analyser ce qui ne va pas et ce qu'il faut faire pour s'améliorer la prochaine fois ». Certes, ils n'ont pas le recul des plus aguerris, mais ils affichent déjà un authentique désir de victoire. « Quand je vais en compétition, c'est pour gagner. Avec l'espoir d'améliorer les records du club, du département ou de la région », abonde Dorian. Tous deux ajoutant : « On s'entraide, on s'encourage, mais quand on est en course, il se crée quand même une petite rivalité ». Fort d'un palmarès à faire rêver les plus jeunes, Alain Bernard nous livre, quant à lui, une analyse marquée du sceau de l'expérience : « Cette phrase, moins qu’une citation est, selon moi, une façon de se dédouaner d’une quelconque quête ou recherche de la performance de très haut niveau. Sans préjugés aucun, et je milite pour cela car il n’y a pas de petites victoires. Chaque progrès doit être reconnu, récompensé, que ce soit par une médaille, une qualification ou un simple regard et quelques mots de son entraîneur, son entourage. Peu de personnes « sédentaires » imaginent combien le chemin est long et parsemé d’embûches pour devenir le meilleur sportif de sa discipline. L’enjeu et l’attention qui y sont attachés doivent être de plus en plus précieux pour la quête du Graal, d’où ma réticence à utiliser ces quelques mots. Par ailleurs, je ne peux pas les rejeter pour autant. Comment se prendre au jeu, rêver, idéaliser des champions et se prendre de passion pour un sport dont on ne connaît finalement pas grand-chose à nos débuts ? Le plaisir de se retrouver entre amis, vivre l’aventure des entraînements, des compétitions et des stages, toujours plus longs et plus intensifs ».

Très attaché à son action auprès des jeunes, le quadruple médaillé olympique poursuit : « Je milite pour la pratique du sport et de ses bienfaits en terme d’insertion sociale, d’émancipation et de santé. Il est évident qu’il est plus important de participer que de ne pas faire partie de l’aventure. Je serais curieux de savoir ce que peuvent penser les plus grands champions sur ce sujet, mais quand vous vous entraînez des heures et des heures pour un objectif de quelques secondes, l’important n’est pas juste de participer, mais bel et bien de signer la meilleure performance possible en temps voulu ! Réduire tout cela en s’appuyant sur l’idée qu’une simple participation conviendrait à satisfaire le principal intéressé est bien entendu une manière de retirer toute forme de pression. Les regards peuvent alors se tourner vers les autres et cette pression tant handicapante peut être réduite à néant. Pas du tout ! Le plus important est d’être en phase avec soi-même et si l’enjeu d’une simple participation ou d’une victoire personnelle a le même attrait, alors la déception de s’être contenté d’une simple figuration peut, après coup, être décevante. La compétition est parfois cruelle, mais tout aussi excitante que surprenante. Vous pouvez me croire, j’en ai fait les frais ! Avec du recul, je m’aperçois que je suis en paix car je n’ai aucun regret sur tout ce que j’ai pu entreprendre et c’est à travers mes échanges avec les jeunes que j’insiste sur le fait de s’engager pleinement pour justement n’avoir aucun regret ».

Après avoir pris la quatrième place du tremplin à 10 mètres aux Jeux de Rio, Benjamin Auffret ambitionne de se qualifier aux JO de Tokyo, l’année prochaine, et d’accrocher, cette fois, le podium olympique (FFN/Philippe Pongenty).

Le plongeur Benjamin Auffret n'a, lui, pas encore quitté le cycle des compétitions. Son analyse n'en est pas moins riche d'un certain recul et nous entraîne au début de la carrière d'un sportif volontaire et ambitieux. « L'important dans ces Olympiades, c'est moins d'y gagner que d'y prendre part. Car l'important dans la vie ce n'est point le triomphe, mais le combat. L'essentiel, ce n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu ». Benjamin Auffret nous rappelle avant tout les termes précis de la citation souvent réduite au raccourci que chacun connaît et qui, insiste-t-il, « pourrait simplement sembler justifier l'échec ». Il poursuit : « Pour moi, dès que les Jeux Olympiques ont eu un sens, à l'époque où j'étais un gymnaste de seulement neuf ans dans les filières du haut niveau découvrant les JO avec le sacre d'Emilie Le Pennec, on me montrait que cela voulait dire qu'il n'y avait qu'un seul vainqueur, qu'il ne fallait pas oublier le plaisir de la compétition et que l'on ne gagne pas à tous les coups. Il fallait respecter les autres et leurs efforts, essayer d'être meilleur qu'eux à la loyale, s'entraîner et recommencer jusqu'à y parvenir. On m'a toujours inculqué le travail, le respect et l'acharnement, tant dans le sport que dans la vie ». Puis il s'orienta vers le plongeon : « J'aurais pu voir la fin de ma carrière de gymnaste comme un échec, alors que j'avais tout donné et tout fait pour réussir, mais au final cela s’est révélé être un véritable atout pour la suite. Une fois encore cette phrase avait sa place, mon travail passé n'était pas perdu, il était en moi. Mon combat continuait, il ne recommençait pas de zéro. Après ma participation aux Jeux Olympiques de Rio en 2016 et ma quatrième place, une fois encore ce credo a pris tout son sens. J'avais tout donné dans ma préparation et au moment de la compétition. J'ai donc réussi à trouver de la fierté dans ce résultat. Je suis fier de mon parcours et de mon concours devant ma famille, notre pays et le monde entier. Une fois encore, je suis retourné m'entraîner encore et encore pour pouvoir revivre un de ces moments, donner mon maximum et tenter de parvenir à obtenir un classement meilleur que la fois précédente, face à des adversaires qui feront de même, même ceux ayant déjà obtenu des médailles ». La victoire reste incontestablement l’objectif ultime, le graal absolu, mais parvenir jusqu'à elle demeure évidemment aléatoire car, outre l'état de forme de celui qui la brigue, elle est soumise à des paramètres qu'il est souvent difficile de maîtriser. Quant à l'expérience consistant à se frotter aux meilleurs, à les prendre pour modèles jusqu'à intégrer leurs rangs, elle est toujours de celles qui font grandir et progresser.

Laurent Thuilier

Le baron Pierre de Coubertin (Adobe Stock).

DONNER LE MEILLEUR DE SOI

Virginie Nicaise, enseignante-chercheure au Laboratoire sur les Vulnérabilités et l'Innovation dans le Sport à l'Université Lyon1 UFRSTAPS et préparatrice mentale nous livre son analyse : « Le plus important aux Jeux Olympiques n'est pas de gagner mais de participer car l'important dans la vie ce n'est point le triomphe, mais le combat. L'essentiel, ce n'est pas d'avoir vaincu, mais de s'être bien battu. Pierre de Coubertin se serait inspiré du sermon de l'évêque de Pennsylvanie, Ethelbert Talbot, prononcé le 19 juillet 1908, au cours des Jeux de la IVème Olympiade à Londres. Dans l’univers sportif, la recherche de performance est omniprésente, en oubliant souvent la manière de l’atteindre. Dans la performance, dans la victoire, la réussite, le sportif ne contrôle pas tous les éléments pour gagner, mais bel et bien ce qu’il a à faire en terme de stratégies, d’efforts fournis et de dépassement de soi. L’excellence c’est progresser par rapport à des objectifs que l’on s’est fixés. Les valeurs du sport, de l’olympisme, au-delà de la performance, l’excellence consiste à donner le meilleur de soi sur le terrain ou dans la vie. L’enjeu est d’adopter un style de vie fondé sur la joie dans l’effort, la valeur éducative du bon exemple. L’esprit d’équipe, la volonté de se respecter, le fair-play sont autant des valeurs qu’on ne peut sacrifier pour gagner ».

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