Eliminées du championnat d’Europe en quart de finale face à une solide formation hongroise (16-3), les Françaises ont malgré tout atteint l’objectif escompté en se classant dans le top 8 continental. Du 8 au 15 mars prochain, les joueuses de Florian Bruzzo disputeront le tournoi de qualification olympique à Trieste (Italie) avec l’ambition d’imiter la génération 2016 des garçons et de décrocher un sésame historique pour les Jeux de Tokyo. La tâche sera ardue, l’entraîneur tricolore ne s’en cache pas, mais les progrès enregistrés ces derniers mois, notamment depuis l’ouverture du Centre national d’entraînement à l’INSEP en septembre 2018, doivent permettre aux Bleues de continuer de rêver.
Lors de ce championnat d’Europe 2020, on a le sentiment que les joueuses tricolores ont engrangé de la confiance et validé un certain nombre de progrès.
Nous avons progressé ! Je base ce constat sur une observation objective des performances en musculation et en natation, mais aussi dans le jeu. Tous les observateurs notent que nos systèmes sont mieux structurés, que notre projet de jeu est ambitieux. Après, il y a une vraie frustration sur le plan mental.
Comment ça ?
Il nous reste une barrière psychologique à franchir pour dominer l’adversaire et évacuer nos échecs pendant un match. Une fille qui rate un tir va ensuite hésiter à retenter sa chance, privilégiant la passe alors qu’elle a des occasions. L’échec n’est pas important, ce qui compte, c’est de ne pas perdre confiance et de rester focaliser sur notre projet de jeu.
Est-ce préoccupant dans l’optique des prochaines échéances, à commencer par le TQO du mois de mars ?
C’est préoccupant pour le moral des filles dans le sens où elles s’entraînent entre cinq et six heures par jour sans voir l’écart arithmétique se réduire avec les meilleures formations.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Quel discours leur tenez-vous pour inverser la tendance ?
J’essaie d’objectiver un maximum en leur démontrant par des vidéos que nous sommes mieux dans l’eau, que le ballon circule plus vite, que les progrès sont nets. Lors de notre quart de finale face à la Hongrie, on résiste pendant deux périodes en leur faisant trois offrandes. Il y a du stress, bien sûr, mais cela n’a rien à voir avec le travail et le talent de ces filles.
Ne serait-ce pas une histoire d’expérience ?
Absolument ! Voilà pourquoi il faut continuer de travailler. Ça va venir. Le plus important, pour l’heure, c’est que cette frustration ne se transforme pas en abattement. Il ne faut pas que les filles se disent qu’elles n’arriveront jamais à tenir tête aux cadors européens. Il y a encore un écart, mais nous ne sommes plus très loin de l’Italie ou de la Grèce, par exemple. Certains vont peut-être me prendre pour un dingue, mais non, les vidéos plaident en notre faveur. Pour les battre il faudra, bien évidemment, rendre une copie parfaite et espérer qu’elles ne soient pas dans un bon jour, mais c’est possible.
On a l’impression que l’équipe de France est embourbée dans le ventre mou du championnat d’Europe.
C’est le problème majeur du collectif féminin. Il y a un écart avec les six premières nations et un écart avec les sept formations en-dessous de nous. Nous évoluons à un niveau intermédiaire sans véritable concurrence. On se bagarre pour accrocher la Grèce. Ça bouge, les choses évoluent, j’aimerais que ça aille plus vite, mais voilà, on ne peut pas tout bousculer en quelques mois.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Malgré tout, depuis l’ouverture du Centre national d’entraînement à l’INSEP en septembre 2018, l’équipe de France féminine a enregistré une vraie progression. C’est bien la preuve que les choses peuvent changer en quelques mois.
Un premier cap a été franchi entre 2012 et 2016 pour ramener les Bleues au championnat d’Europe. Ensuite, il a fallu augmenter les doses d’entraînement pour permettre aux filles de rivaliser avec les meilleures. Mais c’est loin d’être une mince affaire.
Pourquoi ?
Tout simplement parce que depuis plusieurs années le sport féminin est en pleine progression. En foot, en rugby, au hand ou au basket, les jeunes joueuses arrivent à grands pas et il n’est pas rare que les anciennes aient du mal à résister à cette nouvelle vague. Aujourd’hui, les filles sont plus athlétiques, elles sont plus fortes dans leur tête, elles sont décomplexées dans leur pratique, elles veulent réussir. Nous étions en retard là-dessus, il a fallu redoubler d’effort et c’est ce que nous avons fait à l’INSEP. Mais tout le monde doit désormais comprendre que l’INSEP n’est pas le Centre national de l’équipe de France féminine, mais bien le centre national du water-polo féminin où n’importe quel dirigeant, entraîneur ou technicien peut venir discuter, échanger, proposer et s’inspirer. En hand, ils appellent ça la « Maison du hand ». C’est vraiment bien trouvé parce que c’est ce que cela doit être : la maison du water-polo !
Il y a deux ans, à l’Euro de Barcelone, la différence de niveau au sein du collectif féminin entre les anciennes et jeunes joueuses était criante. Cette année, il semblerait que l’écart se soit réduit.
Les jeunes joueuses sont plus mordantes pour deux raisons. L’INSEP d’abord, mais ça tient aussi au rôle des anciennes. Géraldine (Mahieu), Léa (Bachelier), Clémence (Clerc), Estelle (Millot) ou Audrey (Daule) assument la pression de l’adversaire en match, libérant ainsi des espaces pour les plus jeunes. A ces-dernières, ensuite, de prendre leurs responsabilités. Mon job, c’est d’anticiper les prochaines échéances. Il y a les Jeux de Tokyo, ceux de Paris et ceux de Los Angeles en 2028. Mon boulot consiste à identifier les filles qui se mettent dans une démarche de haut niveau et qui ont envie d’apprendre et de progresser pour relever ces challenges avec l’équipe de France. En valeur absolue, il y a deux ou trois joueuses plus fortes que nos jeunes dans le championnat de France, mais pour diverses raisons, elles n’ont pas fait le choix d’embrasser pleinement une pratique de très haut niveau. Les raisons ne me regardent pas et je ne juge pas. Moi, mon métier, je le répète, c’est de me projeter. Aujourd’hui, je pense que l’équipe de France de demain, celles des Jeux de Paris notamment, c’est celle qui est engagée à Budapest.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
En mars prochain, les Bleues disputeront le TQO à Trieste. Quelles sont les chances des Tricolores de s’envoler pour Tokyo ?
Elles sont faibles. Ça implique de battre en vingt-quatre heures deux grosses équipes…
Donc de rendre deux copies parfaites.
A partir du moment où les filles signeront un match de référence, la suite s’enchaînera naturellement.
Ce match référence a-t-il déjà eu lieu ?
Non, pas encore, mais il y a des séquences références, des périodes qui montrent que nous sommes sur le bon chemin et que notre jeu s’organise. Est-ce que nous serons au point en mars prochain, je ne le sais pas. Ce qu’il y a de certain, c’est que ça prend du temps. Après, pour l’avoir vécu avec les garçons en 2016, je sais aussi qu’un TQO est une compétition à part au cours de laquelle on assiste souvent à des choses incroyables. Il faut rester positif. Ce sera difficile, mais pas impossible.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Allez-vous puiser dans l’expérience victorieuse du TQO de 2016 avec les garçons ?
En termes d’organisation, un peu, mais sur le jeu et la préparation mentale, pas vraiment.
Pour quelle raison ?
Tout simplement parce que les histoires sont différentes. Ce qu’ont réalisé les garçons en 2016 est unique. Ce sont des pionniers. Cette génération a ouvert le champ des possibles pour toute une discipline.
Est-ce pour cela que c’est aussi difficile pour les Bleus aujourd’hui (l’équipe de France masculine a terminé treizième de l’Euro hongrois, ndlr) ?
C’est difficile pour moi d’en parler. J’ai vécu tellement de trucs forts avec ces mecs. La génération de 2016 m’a enfanté en tant qu’entraîneur. Je respecte tout ce qu’ils ont accompli. Aujourd’hui, je ne suis pas au courant de ce qui se passe dans le groupe, mais ce qu’il y a de certain, c’est que la qualité est là, qu’ils ont un excellent entraîneur (Nenad Vukanic) et qu’ils sont respectés par leurs adversaires.
Recueilli à Budapest par Adrien Cadot