Quelques jours après la victoire du Cercle des Nageurs de Marseille en Euro Cup, Marc Amardeilh revient sur la formidable aventure de son équipe. Une épopée dont l’entraîneur de pas encore 40 ans tente de donner les explications. Sans langue de bois, mais avec une grande modestie.
En dehors de quelques toutes petites secondes juste avant la mi-temps où Jadran a mené 5-3, vous (le Cercle) avez toujours été en position de remporter ce titre européen ou a minima d’aller à la séance de tirs aux buts. Est-ce que tu avais prévu un tel scénario ?
Je n’avais pas imaginé de scénario particulier, mais on s’était dit, après le match à Marseille, qu’on irait à Niksic pour gagner. Parce qu’un but d’avance, ce n’était pas suffisant. Mais surtout parce qu’on avait été capables de les faire déjouer à l’aller. Ce qu’on est d’ailleurs arrivé à faire encore au retour en contrôlant leurs transmissions et en les empêchant de mener leurs contre-attaques. Du coup, on a toujours été en position de gagner, ou en tout cas de ne pas perdre. Sauf effectivement quand ils ont mené 5-3. A ce moment-là, je me suis dit que si on passait à -3, ça pourrait devenir compliqué, mais on n’a pas eu vraiment le temps de douter puisqu’Igor (Kovacevic) a marqué tout de suite après. Une seconde avant la pause, c’était parfait. La pression est immédiatement revenue sur eux. Surtout que le match aller leur avait montré qu’ils pouvaient ne pas gagner, même avec quatre buts d’avance.
Pour rester dans la métaphore cinématographique, raconte-nous un peu le « happy end » de cette soirée historique.
Le deuxième but d’Igor (qui permet au Cercle de mener 7-6) nous a libérés. Ou en tout cas, a fait disparaître la fatigue et nous a donné la clairvoyance nécessaire pour les dernières minutes. Puis, il y a le tir d’Ante (Vukicevic) à 15 secondes de la fin qui est détourné par le gardien et qui finit doucement en corner. Ce corner, c’était comme un but puisqu’on récupérait la possession !
Comment avez-vous préparé cette rencontre ? Qu’avez-vous fait pendant les 15 jours entre le match aller à Marseille et le retour à Niksic ?
Le début de la première semaine a été plutôt tranquille. Comme Bogdan (Durdic) et Ante (Vukicevic) étaient avec leur équipe nationale (le Monténégro pour le premier, la Croatie pout le second, ndlr), on en a profité pour individualiser les entraînements avec quelques séances d’intensité, dont le match de championnat face à Nice. Après le retour de Bogdan et d’Ante, on a surtout fait de la tactique. On a travaillé deux-trois petites choses, mais on n’a rien révolutionné. On a même plutôt insisté sur ce qui avait marché à l’aller. Le mercredi, on est parti à Dubrovnik où le Jug (en tête du groupe B de Champion’s League) a mis sa piscine à notre disposition trois fois 1h30. Ce n’était pas prévu au départ, mais on a fait une séance de 40 minutes de « zones+, zones- » avec eux le jeudi matin. Ça s’est plutôt bien passé et ça nous a clairement mis en confiance. On est arrivés à Niksic vendredi matin après 3h30 de bus. On a fait deux séances libres avant le match, chaque joueur se mettant dans sa routine.
(CNM/Antonin Grenier).
Quant tu regardes le début de saison et en particulier le 1er tour de l’Euro Cup fin septembre à Savone (Italie), est-ce que tu pouvais honnêtement envisager un pareil parcours ?
Le premier tour… Pour moi, c’était il y a deux ans (rires)… En fait, je veux dire que c’est très loin dans mon esprit. Et qu’en tout cas, j’étais loin d’imaginer qu’on réaliserait un tel parcours en coupe d’Europe. On avait repris l’entraînement le 20 août, un mois à peine avant le premier tour. On n’était pas au complet. Ante et Milos étaient avec leurs équipes nationales ; Thomas (Vernoux) avait la main cassée ; Alex (Camarasa) revenait juste de blessure. L’équipe se connaissait à peine. Mais ce tournoi a compté pour la confiance. Il nous a permis de jouer le deuxième tour à la maison où on a senti l’engouement qui a commencé à naître autour de l’équipe. Il y a eu ensuite le ¼ de finale face à Strasbourg. Ça a fait office de déclic. Notre victoire, au match retour à Marseille, nous a montré qu’on pouvait inverser des scénarios, qu’il y avait peut-être une histoire à écrire avec ce groupe.
Je t’avais déjà posé la question lors de ta dernière interview pour ffnatation.fr, mais avec du recul et maintenant que le titre est en poche, comment expliques-tu cette réussite ?
Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en ligne de compte et en premier lieu, un bon alignement des planètes (rires)… Plus sérieusement, il faut effectivement un peu de chance, mais la base, c’est le travail !
Après la victoire et le titre, tu as semblé un peu sur la retenue. On sait que ce n’est pas le genre de la maison de sauter partout, mais est-ce que tu t’es rendu vraiment compte ce que vous veniez de réaliser était historique pour le club et, au-delà, pour le water-polo français ?
Je ne sais pas encore si je réalise aujourd’hui (mardi, quand a été réalisé l’interview, ndlr). Il y a pourtant eu les supporters, qui nous attendaient à Marignane à notre retour, la réception organisée dimanche au Cercle, les messages de félicitations qui nous ont fait prendre conscience de ce qu’on a réalisé…
(CNM/Antonin Grenier)
Ce titre européen ne te fait pas plaisir ?
Si bien sûr, c’est une magnifique cerise sur le gâteau ! Mais je suis aussi très content de la victoire en elle-même, face à un adversaire comme Herceg-Novi. C’est une équipe forte, avec de très bons joueurs, un super entraîneur. Au-delà du titre, battre le Jadran montre qu’on a acquis un certain niveau, que le travail qu’on effectue va dans le bon sens.
Décidément, tu es encore sur la retenue…
Je ne veux pas qu’on croit qu’avec ce titre, on est les meilleurs et qu’on n’a plus besoin de travailler. Au contraire !
Est-ce que selon toi le Cercle vient d’ouvrir la voie pour d’autres clubs français qui pourraient briller bientôt sur l’échiquier européen ?
J’espère très sincèrement que ce titre va donner de la force à tout le water-polo français, aux clubs comme aux équipes nationales.
(CNM/Antonin Grenier)
Au plan personnel, tu te rends compte également que tu n’as pas encore 40 ans, que c’est ta première saison à la tête du Cercle et que tu es déjà champion d’Europe ?
Ça ne change rien, je suis toujours le même (rires)… Avec les mêmes doutes, les mêmes questions. Au fond de moi, je considère que c’est une chance d’être l’entraîneur de cette équipe. Je ne suis qu’un maillon de la chaîne. On aurait enlevé n’importe quel maillon de cette chaîne, moi comme un autre, ça n’aurait peut-être pas marché.
Comment vois-tu la suite pour le Cercle ? Pour toi ? Quels nouveaux challenges – même si tu n’aimes pas ce terme -, quels nouveaux objectifs t’es-tu fixé ?
Notre fil rouge a été jusqu’à présent la Coupe d’Europe, mais dès aujourd’hui, on est focalisé sur le championnat. On l’avait dit en début de saison : on veut récupérer le titre !
Et au niveau européen ?
Il y aura dans un premier temps la Super coupe d’Europe, à la rentrée. J’espère qu’on pourra l’organiser au Cercle. Ce sera un super match de gala. Un beau cadeau pour tout le monde : joueurs, staff, dirigeants et supporters !
(CNM/Antonin Grenier).
Et la Ligue des Champions ?
Nos dirigeants travaillent dur pour qu’on puisse avoir une wild card pour la Ligue des champions et je pense qu’on va pouvoir l’obtenir, mais être champion de France donnerait une légitimité supplémentaire à cette wild card donc…
Après une victoire comme celle-ci, c’est souvent l’occasion de remercier les gens qui ont contribué à faire que ce jour arrive. A qui as-tu envie dire merci ou de dédier cette victoire ?
J’ai envie de dire merci à tout le monde (rires)… Aux joueurs et au staff en premier lieu. A toux ceux qui ont œuvré dès le début de saison pour rendre tout ça possible. Je pense d’ailleurs - pour en revenir à la question sur les raisons de notre réussite - que c’est ce collectif qui a fait la différence cette saison !
On sait à ce sujet le respect que tu as pour ton père, celui qui t’a communiqué la passion de l’entraînement. Es-tu content pour lui aujourd’hui ?
Oui, bien sûr, je suis content pour lui qui m’a beaucoup aidé, surtout à mes débuts. A qui je pose toujours des questions. Sur la physio, sur la programmation… Je suis content pour ma mère, pour ma sœur, qui m’ont supporté pendant toutes ces années malgré mon caractère. Ils m’ont envoyé des photos samedi soir. Ils étaient en train de faire la fête en famille. J’étais heureux pour eux. Je suis aussi très content pour le Cercle. Le Cercle est très important pour les Amardeilh. Ce n’est pas qu’un club de sport, c’est un lieu de vie et j’aime cet endroit par dessus tout !
Recueilli par Jean-Pierre Chafes