À bientôt 22 ans (elle les aura le 17 décembre prochain), Solène Lusseau a mis un terme à sa carrière sportive. L’ex-capitaine de l’équipe de France de natation artistique a pris le temps de revenir avec nous sur les dix moments les plus marquants de sa carrière. De ses premiers championnats de France en 2011, à cette dernière saison si particulière, l’Angevine aura vécu dix magnifiques années au plus haut niveau.
2011: Premiers championnats de France été au Boulou (Pyrénées Orientales)
J’avais 13 ans et c’était la première fois que je me confrontais au niveau national. J’étais dans l’équipe 2 d’Angers. C’était aussi la première fois que je réalisais des imposés, que je voyais nager les filles d’Aix, dont j’entendais beaucoup parler. C’était très impressionnant. D’autant que les conditions étaient très difficiles parce qu’il y a eu des problèmes dans la piscine et l’eau était gelée. J’étais toute jeune, toute petite, toute frêle, c’était une torture les entrainements. C’est la première fois que j’ai pu me rendre compte du niveau que je souhaitais atteindre. Je faisais de la synchro depuis 2006. J’étais en sport études et j’étais surclassée avec les minimes qui participaient aux France. Je me suis retrouvée avec les jeunes nageuses des autres clubs et j’ai pu me situer parmi cette génération. C’était vraiment chouette et c’était la première fois que je partais aussi loin pour la synchro. J’en garde un bon souvenir. Je suis rentrée très tôt en pôle et j’ai commencé en regardant Margaux Chrétien et les nageuses d’Angers qui étaient très forte. Je n’imaginais pas nager pour le loisir, mais je ne me voyais pas pour autant faire du haut niveau. Mais tout a été tellement fluide que je ne me suis jamais posée la question.
Solène Lusseau, à droite à côté du drapeau, lors de ses premiers championnats de France été en 2011 (Photos: Solène Lusseau).
Été 2012: Première qualification pour la COMEN.
J’étais avec deux autres amies à moi d’Angers qui étaient plus âgées. Je ne visais pas vraiment la COMEN et quand on me l’a proposée j’étais très enthousiaste. On est parti en stage à Aix en Provence pour une sélection. On était une quinzaine et je ne pensais pas briller, parce que j’étais plus jeune. Quand je suis arrivée là-bas, j’ai fait de mon mieux et contre toute attente, je me suis qualifiée pour cette première COMEN alors que j’avais peu d’expérience. Je n’étais pas une grande rêveuse, je voulais simplement faire ce que j’aimais. Je me laissais porter et chaque expérience était vraiment bénéfique pour moi. Avec cette première COMEN en Espagne, j’ai effectué de nombreux stages et rencontré des filles qui m’ont suivie en équipe de France. J’ai aussi reçu mon premier équipement France. C’était une véritable fierté et j’ai su que je souhaitais faire partie de ce collectif tout au long de ma carrière. Je trouve ça génial de représenter son pays et de se confronter à d’autres nations.
Solène Lusseau, au premier plan, lors de sa première équipe de France juniors à la COMEN en 2012 en Espagne (Photos: Solène Lusseau)
Entrée à l’INSEP en 2014:
Pour la deuxième année consécutive, il y avait un collectif junior à l’INSEP. J’aurais pu y entrer dès la première année, mais je n’étais pas prête et je n’avais pas envisagé de partir de chez mes parents. Je suis arrivée en 2015 en même temps que les jumelles Tremble entre autre. Et là, j’ai découvert le sport de haut niveau. J’étais à l’internat, dans une classe avec uniquement des sportifs de haut niveau de différentes disciplines. C’était vraiment porteur d’échanger avec des gens ambitieux, qui rêvaient de devenir les meilleurs dans leur domaine. Quand je vois aujourd’hui un Killian Tillie se faire drafter en NBA ou une Mathilde Gros qui est la star du cyclisme, alors que quand nous nous sommes rencontrées elle venait de commencer le vélo, c’est incroyable. Cette année-là, je découvre véritablement à l’INSEP, l’esprit olympique et la solidarité qui peut exister entre les sportifs de haut niveau. J’ai aussi découvert un rythme d’entraînement bien plus élevé que ce que j’avais connu auparavant, mais les conditions étaient telles que ça ne me posait aucun problème. Nous nous entrainions à côté de l’équipe de France sénior et j’ai commencé à avoir des ambitions à plus long terme à ce moment-là.
Le groupe INSEP 2014-2015, avec Solène Lusseau au premier plan (Photo: Solène Lusseau)
Premier Open de France en 2015:
J’y étais allée l’année d’avant, mais je n’avais pas nagé. Je venais d’effectuer ma première année à l’INSEP et ma deuxième année en équipe de France. J’avais nagé le duo avec Esther Ducrocq et le combiné juniors. Représenter l’équipe de France à l’étranger est déjà quelque chose d’extraordinaire, mais ça n’a rien à voir avec l’Open. On est les stars, l’équipe attendue. Lors des duos, nous ne l’avons pas trop senti, parce qu’il y avait d’autres duos séniors français. Mais le combiné, nous étions les seules Françaises en lice et ça a fait un bruit de malade quand on a été appelé. On s’entendait même pas compter et c’est la première fois que ça nous arrivait. C’était vraiment génial, d’autant qu’au combiné, il y avait un peu moins de pression. Quand j’ai entendu tout le bruit, j’ai failli pleurer. C’était une montée énorme d’émotion. Ça a rendu notre passage encore plus beau. C’était magique et ça donnait envie de revenir chaque année pour disputer cette compétition. L’Open, c’est véritablement le fil rouge dans la carrière d’une synchro française.
Solène Lusseau en compagnie d'Esther Ducrocq lors de l'Open de France 2015 (Photo: FFN/P.Pongenty)
2015 - Jeux Européens de Bakou
Le tournoi de qualification pour les Jeux Européens se tenait à Istanbul en février 2015. Le contexte était très particulier, parce qu’on partait juste après les attentats qui ont touché la France. Et même s’il n’y avait pas toutes les équipes et que le plateau n’était pas aussi relevé que dans d’autres compétitions, pour la première fois, j’ai chanté la Marseillaise sur un podium. C’était quand même un moment mémorable pour nous toutes. On avait savouré cet instant très fort. Ensuite, nous sommes partis à Bakou à dix. Nous avions réalisé de nombreux stages. J’ai vécu là-bas, des mini JO. Nous avions les équipements de l’équipe olympique, on a pris l’avion avec des sportifs d’autres disciplines, on était logé dans un village olympique. Il y avait un grand self avec toutes les nations et toutes les disciplines. L’ambiance dans notre équipe était excellente. On avait des kinés, des médecins. Ce n’était pas du tout la même ampleur que ce que j’avais connu auparavant. On a eu beaucoup de chance de pouvoir y participer.
À Istanbul en février 2015, l'équipe de France juniors remporte le tournoi de qualification pour les Jeux Européens de Bakou (Photo: Solène Lusseau)
2016 - TQO à Rio et derniers championnats de France
Cette année-là, avec Esther et Inesse, on était les « juniors-séniors ». C’était une année très dense, parce qu’on était en Terminale, on préparait les échéances juniors et on plongeait dans le grand bain avec les séniors. Nous étions bien plus investies sur les épreuves séniors et on avait moins préparé le duo avec Esther. Mais nous sommes arrivées à Nantes, notre club, pour les championnats de France. Mes coéquipières de l’équipe de France étaient présentes, mes copines de l’INSEP aussi et bien évidemment notre club de Nantes. C’était vraiment porteur de disputer cette compétition dans ces conditions. J’arrive à être championne de France en imposés, et en duo avec Esther. C’était la dernière fois qu’on nageait ensemble, parce qu’Esther arrêtait ensuite pour faire médecine. On avait envie de briller devant notre club, nos amis, nos familles. On devance les jumelles de très très peu. Et en plus, je suis sélectionnée avec l’équipe de France séniors. Tout de ce week-end a été parfait. Et j’ai pu basculer ensuite sur la préparation du Tournoi de Qualification Olympique. Avec les séniors, j’ai nagé les deux chorégraphies, contre toute attente pour moi. Margaux et Laura étaient présentes à Rio pour se qualifier pour le duo. Pour l’équipe, avec l’ancien système de qualification, c’était quasi mission impossible, mais on était là pour se confronter aux meilleures et s’imprégner de cette bataille à mener lorsqu’on veut se qualifier pour les JO. Je vois vraiment ça comme une chance d’avoir pu participer à cette compétition. C’était incroyable. J’en parle souvent de cette compétition parce que c’était dingue. Il n’y avait pas nos principales concurrentes et on souhaitait montrer notre meilleur niveau, mais sans réelle pression. Et j’ai pu mesurer l’état de stress dans lequel étaient les Italiennes et les Canadiennes, qui se disputaient la qualification. Je rentrais dans la piscine, je sentais une atmosphère incroyable qui n’avait rien à voir avec les Mondiaux. Les filles jouaient leurs vies. C’était dingue. Après nos notes d’équipe libre, on rentre aux vestiaires et on croise les Canadiennes qui viennent d’apprendre leur défaite face aux Italiennes. J’étais bouleversée de voir leur déception. Elles étaient toutes en larmes. J’étais à deux doigts de m’effondrer alors que je ne connaissais pas personnellement les filles. J’ai vu cette déception immense, comme si tout venait de se terminer. Ça m’a montrée combien le rêve olympique peut être fort et l’investissement qu’il demande est coûteux.
Solène Lusseau (deuxième en partant de la droite) en compagnie de l'équipe de France séniors lors du Tournoi de Qualification Olympique à Rio en 2016 (Photo: Solène Lusseau)
2017 - Premiers Mondiaux séniors à Budapest
Aux Mondiaux de Budapest, je nage en duo avec Marie Annequin. On a décroché notre qualification lors de l’Open de France cette année-là. La piscine de Budapest était magnifique et c’était mes premiers championnats du monde séniors, comme beaucoup parce que l’équipe était très jeune. Être duettiste au sein de l’équipe de France, c’est quelque chose de très symbolique et ça donne un autre statut. Marie ne disputait pas ses premiers championnats du monde, mais c’était sa première expérience en tant que duettiste. On a découvert ça ensemble et on s’est beaucoup aidé tout au long de l’année. On avait repris le duo de Rio de Laura et Margaux. C’était un beau défi. J’étais vraiment contente de partager cette expérience à ses côtés. Malheureusement, nous n’avons pas eu le résultat espéré. On n’est même pas passé en finale et on s’est senti fautive. On est passé dans les premières sur une épreuve qui comportait une quarantaine de duos. On a essuyé une très grosse déception alors que le parcours était beau et riche. Aujourd’hui encore quand on en parle avec Marie on se dit qu’on est les deux seuls filles à avoir fait un duo sans avoir atteint la finale. Mais on retient davantage le positif. On a du faire un gros travail d’harmonisation parce qu’on a pas le même gabarit. À partir de ce moment-là on a commencé à former un binôme solide et même si nous avons arrêté le duo, on a ensuite formé ce binôme de capitaines.
Solène Lusseau en 2017 (Photo: FFN/P.Pongenty)
2018 - Open de Grèce
En 2018, notre équipe libre était très jeune. J’étais la plus âgée, parce que Marie, Iphinoë et Inesse ne nageait que l’équipe technique. On avait cette énergie hyper juvénile et on avait des retours très positifs et des compliments que l’on n’avait pas connu auparavant. Notre dynamique était excellente et notre fougue nous portait. On est arrivé en Grèce contre les Grecques avec une grande envie. On s’est donné à fond et on a réussi à les battre devant leur public. Ce moment-là a été magique et il résonne encore beaucoup en moi. La dynamique de groupe était incroyable et ça s’est concrétisé dans l’eau avec un excellent résultat. Tout était parfait. C’est l’un des moments les plus forts de ma carrière, aussi parce que nous sommes passées après les Grecques. Quand on a reçu nos notes, on savait que nous étions devant. L’émotion a été tout de suite au rendez-vous. C’est un moment de compétition qui a été très beau et qui a été partagé par tout le monde, même par les filles qui ne nageait que l’équipe technique.
À l'Open de Grèce en 2018, l'équipe de France domine les Hellènes, principales concurrentes sur le chemin de Tokyo (Photo: Solène Lusseau)
2019 - Open d’Espagne et Mondiaux de Gwangju
Lors de l’Open d’Espagne, nous avons réussi à battre les Mexicaines que l’on n’avait pas croisé depuis quelque temps. C’était ma première compétition de retour de blessure. Je nageais toutes les épreuves sans savoir si j’avais la condition physique pour tenir. C’était aussi la première fois qu’on partait en compétition avec notre préparateur mental, Maël. On a vraiment travaillé sur la dynamique de groupe avec lui, pour savoir ce qu’on voulait faire dans cette compétition. De cette compétition là, on a crée une espèce de bulle entre nous qui était parfaite. Tout le monde allait dans le même sens et la communication était parfaite. Ça parait facile à mettre en place mais pourtant nous avons trouvé cette ambiance parfaite seulement lors de cette compétition. C’était une immense joie de battre les Mexicaines. À cet instant, nous étions véritablement sur la route de Tokyo, on avait vraiment envie de nager, et rien ne semblait pouvoir altérer ça. Ensuite, il y a eu les Mondiaux de Gwangju et malheureusement le résultat ne sera pas le même. C’est le championnat du monde décisif par rapport à la qualification olympique l’année d’après. Il y avait de gros enjeux et des infrastructures impressionnantes, à l’image de ce à quoi on pouvait s’attendre à Tokyo. On savait qu’on avait bien progressé parce qu’on avait eu de bons retours. On était prêtes. Malheureusement, il y a eu de petites péripéties comme la blessure au dos de Laura Augé, mais on savait qu’on donnerait tout quoiqu’il en soit. On a souvent eu des difficultés en compétition et on a toujours été bonnes dans cet état d’urgence. On ne s’est pas laissé démonté. On se donne à fond mais on termine derrière les Grecques à chaque fois. Et même si après chaque épreuve j’étais déçue, j’y croyais pour le programme d’après. Je me disais que ça ne pouvait que passer. Malheureusement ça n’a pas été le cas. Ça restera ma dernière compétition internationale. Au-delà de l’aspect sportif, c’était une compétition avec des infrastructures immenses, un village olympique. Et puis on avait un groupe, qui est encore en place, très soudé. J’en étais capitaine avec Marie et il y avait une véritable osmose. Je pense qu’on a tout bien fait, seul le résultat a manqué. Je pense que personne n’aurait imaginé vivre une année 2020 comme celle-ci. J’étais loin de penser que mon aventure sur la route de Tokyo allait s’arrêter quelques mois plus tard, je ne me posais même pas la question. Même si au niveau de l’équipe on n’a pas eu le résultat espéré, je garde en mémoire le résultat des jumelles et ça m’avait beaucoup touché. On est rentré à l’INSEP ensemble, je suis proche d’elles et j’ai envie qu’elles réussissent. Elles ont performé et ont fait ce qu’on n’a pas réussi à faire en équipe. Pour autant, on s’est toutes senties concernées par leur performance.
En 2019, lors de l'Open d'Espagne à Barcelone, les Bleues dominent leurs autres concurrentes sur le chemin de Tokyo, les Mexicaines (Photo: Solène Lusseau)
2020 - La dernière saison
La fin d’année 2019 a été très difficile physiquement parce que nous avons mis le paquet aux entraînements. Il y avait toujours une fille à remplacer pour cause de blessures. J’avais cette faculté là et j’étais dans cette dynamique d’équipe. En janvier 2020, on fait une sélection pour l’Open de France et pour la première fois on me dit que je serais parfaite en tant que remplaçante. Ça a été très difficile à encaisser. J’avais garder ce côté leader. Je continuais à les motiver et les aider mais sans pouvoir nager. Je me suis demandée ce que je pouvais en tirer de positif plutôt que de subir. J’ai souhaité être à fond derrière les filles lors de l’Open de France pour rester dans la dynamique du groupe. Malgré tout, ça a été compliqué pour moi de les voir nager et rester en survêtement au bord du bassin. Une semaine après l’Open, on est confiné et on apprend quelques semaines plus tard que les Jeux sont reportés. Le système de qualification est remis à zéro pour nous. Je me suis dit que j’avais l’occasion d’intégrer de nouveau l’équipe et je n’avais pas du tout envisagé d’arrêter la synchro à ce moment-là. Je voulais vraiment voir où cela allait me mener. Il y a eu la sélection et ce n’était pas assez fort pour pouvoir prétendre au huit olympique. Je me suis donc demandée si je souhaitais continuer en tant que remplaçante. Ce n’était pas ce que je voulais et je n’aime pas faire les choses à moitié. J’ai beaucoup discuté avec les entraîneurs et ça a été très facile de prendre la décision d’arrêter. C’était la seule bonne solution. J’aime la synchro mais je n’avais plus envie de m’investir autant et de faire autant de sacrifices pour ce statut. J’ai vraiment envie de continuer à leur donner de la force malgré tout. Je me sens quasiment autant investie mentalement et j’ai toujours autant envie qu’elles atteignent leurs objectifs. Je suis partie en milieu d’année et pendant toutes ces années-là on a été un groupe hyper solide. Je ne voulais pas claquer la porte. J’ai dit aux filles que ce que je faisais au quotidien n’avait plus de sens, mais si elles souhaitent se lever tous les matins, c’est leur volonté et elles doivent s’engager à fond. C’est dur, mais inconsciemment, c’est leur choix. Si je peux leur permettre de prendre conscience de ça, c’est avec plaisir, mais je dois aussi laisser l’équipe se faire sans moi. Je ne veux pas être l’ombre qui plane à coté de l’équipe.
Solène Lusseau était remplaçante lors de l'Open de France de natation artistique en 2020. Sa dernière compétition avec l'équipe de France (Photo: FFN/P.Pongenty)
Recueilli par Jonathan Cohen