122 km dans les eaux du lac Titicaca culminant à 3 800 mètres d’altitude. Soit 12 km par jour pendant 10 jours en autonomie complète et en tractant un radeau de 500 kg. C’est le défi un peu fou que Malia Metella, Théo Curin et le baroudeur Matthieu Witvoet relèveront à partir du 10 novembre prochain. Un défi sportif doublé d’une aventure humaine et environnementale que la Guyanaise nous a présenté il y a quelques mois avec sa joie et bonne humeur coutumière.
Dans six jours, ce sera le début de la grande aventure.
Pour celles et ceux qui seraient mauvais en géographie, le lac Titicaca est coincé entre le Pérou et la Bolivie. Il est situé à 3 800 mètres d’altitude. C’est un des plus hauts lacs du monde, avec tout ce que cela comporte de difficulté pour respirer normalement, surtout quand on se lance, comme nous, dans un défi sportif. Nous allons tenter la traversée du lac dans sa longueur, soit environ 122 km. Une traversée à la nage de sa largeur a déjà été réalisée, mais c’est la première fois que ce défi sera relevé.
Histoire d’ajouter un peu de contrainte, vous avez décidé de tenter cette traversée en autonomie.
Oui, on s’est dit que quitte à la tenter, autant voir les choses en grand (sourire)… Nous serons suivis par un bateau de sécurité, mais nous serons seuls avec un radeau de 5 mètres qu’il faudra tracter dans la journée et sur lequel nous dormirons et nous mangerons. L’enjeu sera aussi de filtrer l’eau du lac pour la boire et réchauffer notre nourriture.
Comment est né ce projet ?
Théo Curin en est à l’origine. Suite à une modification réglementaire des épreuves paralympiques, il a choisi de renoncer à s’aligner à Tokyo. Plutôt que de s’entraîner « pour rien » deux fois par jour, il a choisi de se challenger. Rapidement a émergé l’idée de traverser le lac Titicaca dans sa longueur en autonomie. Rien que ça (sourire)… Mais comme Théo est un garçon qui aime partager, il s’est dit qu’il allait s’entourer de compagnons de galère (sourire)… Il en a parlé à Matthieu, qui a accepté, avant de me proposer de les accompagner.
(Photo : Franck Fife)
Comment s’y est-il pris ? Cela n’est pas une proposition facile à soumettre.
En fait, c’est Anne (Bayard), son agent, m’a appelée pour tâter le terrain (sourire)… Elle a commencé par me demander si je continuais à nager. J’ai répondu que non. Elle a ensuite insisté en me demandant si je serais malgré tout encline à m’y remettre pour couvrir une longue distance. Là, je me suis dit qu’elle allait me proposer un truc pas ordinaire. Elle a fini par lâcher le morceau : la traversée du lac Titicaca en totale autonomie dans une eau à 10°C.
Comment as-tu réagi ?
J’ai trouvé le projet intéressant et hyper excitant, mais j’ai demandé un délai pour donner ma réponse. Elle m’a accordé quelques jours. Sans attendre, j’ai appelé Stéphane Lecat (directeur de l'eau libre à la FFN) pour lui soumettre l’idée, lui demander s’il m’en croyait capable et s’il pensait pouvoir m’aider à me préparer. Il m’a tout de suite dit que c’était costaud, mais que je disposais des qualités pour y arriver. A condition, bien évidemment, de tout mettre en œuvre pour être prête. Dans la foulée, j’ai rappelé Anne et je lui ai dit : « Ok, je le fais ». Pour être franche, elle a été un peu surprise, mais elle a bien senti au son de ma voix que j’étais déjà fond dedans.
Au-delà de la dimension sportive, ce défi s’accompagne également d’un vrai engagement environnemental.
Absolument ! Il faut savoir que les populations qui habitent sur les berges du lac ou sur les petites îles vivent dans un dénuement et une insalubrité inimaginable. Nous voulons sensibiliser le grand public à la problématique de l’eau. A notre retour, en novembre 2021, un appel au don sera lancé pour soutenir les projets des associations locales qui souhaitent s’investir pour sa préservation. Parallèlement, tout sera mis en œuvre pour faire une expédition « zéro déchet » : choix de matériaux éco-responsables pour la fabrication du radeau, des panneaux solaires pour recharger nos GoPro et le purificateur d'eau, nourriture lyophilisée… Bref, notre empreinte doit être la plus réduite possible.
Comment allez-vous gérer la température de l’eau ?
La question qui se pose dans ces conditions, c’est celle du réchauffement. Lorsque je me suis entraînée dans l’Oise, je me suis rapidement rendu compte du temps qu’il me fallait du temps pour me réchauffer. Parfois une nuit entière. Matthieu a plus d’expérience que Théo et moi. Il a déjà fait le tour du monde à vélo et une traversée du Détroit de Gibraltar à la nage. Il a déjà testé sa résistance. Mais pour Théo et moi, ce sera une grande première avec tout ce que cela implique de découverte sur soi-même et la façon dont réagit notre organisme.
(Photo : Franck Fife)
Dans le cadre de ce défi Titicaca, une boîte de production va également vous suivre pour immortaliser votre périple et transmettre votre message.
Au-delà de notre engagement environnemental, il s’agit aussi de raconter une histoire. L’aventure est aussi humaine. C’est aussi pour cette raison que nous serons équipés de GoPro afin de recueillir des images qui évoqueront notre quotidien sur le radeau tout au long de ces 122 km, soit environ 12 km par jour pendant dix jours.
Des distances au long cours qui n’ont rien d’habituelles pour l’ancienne sprinteuse que tu es. Comment s’est organisé ton entraînement ?
Au début, j’ai retrouvé mes habitudes de nageuse. Je m’étais même remis à compter mes coups de bras (sourire)… Mais très vite, je me suis dit que non, ce n’était pas comme ça qu’il fallait s’y prendre. La priorité, c’est l’endurance. Quand nous nous élancerons, il faudra que je sois capable de nager longtemps en tractant un radeau de 200 kg. Mais de manière générale, mon entraînement s’est bien passé. Je me suis même surprise (sourire)…
Comment ça ?
Déjà, nager en milieu naturel n’a rien de comparable avec des longueurs de bassin. Les sensations sont différentes et le corps ne réagit pas de la même manière. En piscine, j’ai tendance à foncer, à vouloir aller vite. En milieu naturel, les choses coulent plus simplement, on se laisse aller, on relève la tête de temps en temps, on prend des repères dans le paysage. Dans la tête, ça n’a rien à avoir. Et puis, je ne serai pas toute seule. Théo et Matthieu seront là pour me soutenir si je me sens moins bien. Quand j’étais nageuse en équipe de France, le collectif était déjà très important pour moi. J’ai toujours eu besoin des autres pour me stimuler, donner le meilleur de moi-même. Je sais qu’une fois dans les eaux du lac Titicaca, je pourrai compter sur eux comme ils pourront compter sur moi.
(Photo : DPPI)
A t’entendre, on a le sentiment que tu as pris du plaisir à te remettre à la natation.
Cela faisait onze ans que je n’avais pas nagé sérieusement. Quand je m’y suis remise pour préparer le défi, j’ai d’abord eu du mal à retrouver mes appuis et à me sentir à l’aise dans l’eau. Je n’avais pas de force dans les bras, rien, et puis c’est revenu petit à petit. On dit que le corps a une mémoire. C’est exactement ça ! Les sensations sont revenues, je me suis mises à glisser, à retrouver cet instinct aquatique qui m’a porté tout au long de ma carrière. Bon, il y a quand même truc que j’ai encore du mal à dépasser (sourire)…
Quoi donc ?
Je n’aime pas ne pas voir le fond (rires)… Quand on est nageur, on passe ses entraînements à scruter les carreaux de la piscine, mais en milieu naturel, c’est très différent. Dans l’Oise, par exemple, l’eau était sombre. J’ai m’y du temps à m’y habituer. Sans parler des branches et des feuilles qui flottent à la surface (rires)… Il y a un petit côté effrayant (sourire)… Mais à force de nager, tu finis par t’habituer. Et heureusement d’ailleurs, sinon j’aurai été mal engagée dans ce défi (rires)…
Qu’en est-il de la dimension mentale ? Ressens-tu de l’appréhension ?
Non, pas vraiment ! Je prends les choses comme elles se présentent en évitant de me poser trop de questions. Je mesure aussi la chance qui m’est donnée de participer à pareille aventure humaine. J’ai bien conscience que ce n’est pas donné à tout le monde. Je suis quand même en train de vivre de grands et beaux moments. C’est fort ce qui est en train de se passer. Je ne peux pas me plaindre. Et puis, comme je l’ai déjà dit, je suis bien entourée. Il y a Théo, Matthieu et toute l’équipe qui nous accompagne depuis le début et qui met tout en œuvre pour assurer notre sécurité et veiller à ce que tout se passe dans les meilleures conditions.
Recueilli par Adrien Cadot
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