Fin avril, la Lexovienne de 23 ans qui nage sous les couleurs de l’Entente Nautique Caennaise a tenté de couvrir les 1 609 mètres de l’Ice Mile dans les eaux à -1 degré de l’Arctique. Récit glaçant d’une épreuve éprouvante.
Électrocardiogramme, bilan des masses corporelles, test à l’effort… La journée qui attendait Marion Joffle à son retour en France fait froid dans le dos. Pas de quoi impressionner la pétillante nageuse en eau froide habituée à ces check-up complets qu’exigent sa discipline. « J’ai puisé pas mal dans mes réserves le jour de l’épreuve donc cela permet de voir s’il y a des carences quelque part. » Un suivi médical vital dans une discipline aussi engagée. Début mai, la nageuse en eau froide s’est frottée au Graal de son sport : le Mile nautique arctique. Mille six cent neuf mètres en maillot de bain au cœur d’un paradis blanc auquel Marion rêve depuis des années. Et ce ne sont pas quelques semaines alitées cet hiver à cause d’une bactérie qui ont altéré sa motivation.
Après une escale à Oslo, l’atterrissage dans ce décor ouaté fait pétiller les yeux de Marion. Seule une dizaine de nageurs spécialisés prend part à ce séjour. La Normande est la seule Française. Avant de tenter le Mile, Marion doit effectuer un test. Histoire de prendre ses marques et de se mesurer enfin à ces eaux nordiques. « Cet essai a été un peu compliqué », se souvient-elle. « Au départ, on devait nager à côté d’un glacier donc on a pris la mer vers 9h30, mais après 2-3 heures de bateau, ils se sont rendus compte qu’on ne pouvait pas nager car l’eau était proche des -2 degrés et surtout que c’était le terrain de chasse des morses. Le danger était trop important. » Les nageurs de l’extrême finissent par s’immerger à leur retour au port vers 18 heures. Marion couvre à peine 200 mètres. Un court moment hors du temps qui lui permet de prendre confiance pour la suite. Elle raconte : « malgré des conditions peu idéales, j’ai réussi à me mettre dans ma bulle et ça s’est super bien passé. Je me suis sentie bien et cela m’a permis de voir comment placer ma nage, de savoir ce que j’allais certainement ressentir en début de course deux jours plus tard ».
(Photo : D. R.)
C’est la première fois que Marion nage dans une eau négative. Elle avait nagé dans une eau à un degré lors des championnats du monde à Mourmansk (Russie) en 2019. Mais là, cela n’a rien à voir. En plongeant dans l’eau norvégienne, la sportive caennaise ressent immédiatement la différence : « Trois degrés d’écart, c’est énorme ! C’est un froid qui mort encore plus. Le plus dur à supporter ce n’est pas forcement l’eau mais l’air extérieur qui est vraiment glacial. L’eau qu’on a sur les bras et les mains au sortir de l’eau gèle plus rapidement notre peau et c’est ce qui est difficile à supporter. » Marion a aussi l’impression que ses doigts gonflent et s’alourdissent. Toujours pas suffisant pour lui faire regretter sa venue en Arctique.
Le Jour J, Marion trépigne toujours autant d’impatience. Pas de peur ni de regrets. Juste de l’excitation. Maillot de bain, lunettes et bonnet enfilés, elle attend son tour dans une chambre chauffée, entourée des autres aventuriers. Une attente un peu trop longue qui provoque un choc peu recommandé quand elle sort enfin. « Je devais partir à 13 heures, mais les deux nageurs de la série précédente ont mis plus longtemps que prévu donc le départ a été décalé », précise-t-elle. La pression monte finalement quand elle voit les deux premiers nageurs sortir de l’eau. « Ils avaient le regard dans le vide. Ils ne parlaient plus et devaient être soutenus. On voyait leur souffrance et pourtant se sont deux hommes bien portants. » Marion s’inquiète un peu. Elle vient tout juste de revenir à son poids de forme après une infection bactérienne. Dans cette discipline, chaque kilogramme de graisse ou de muscle compte. Qu’importe, elle sait que sa force, c’est sa vitesse. « Cela me permet de rester moins longtemps dans l’eau donc c’est sur ça que je me suis focalisée. »
(Photos : D. R.)
Dans beaucoup de disciplines sportives, chaque seconde compte. Ici, elles sont vitales. Le temps passé dans l’eau affecte le corps entier. Plus les nageurs sont immergés, plus leur vie est en danger. Au départ, elle plonge sagement. Cinq longues secondes s’écoulent avant que son départ soit donné. La nageuse qui part à ses côtés n’est pas prête. Concentrée, mais statique, Marion attend son heure. Les débuts de sa course se passent à merveille : « Je suis bien partie. J’ai essayé de nager le plus calmement possible sans être trop lente ». Un, deux, puis trois tours. Marion garde une cadence impressionnante malgré la température négative. Ses sensations sont bonnes. Elle ressent même la chaleur des rayons du soleil. « Je souriais pour montrer à mon assistant que je me sentais bien. Je supportais bien de ne plus sentir mes mains ou mes pieds. »
Passé le premier kilomètre, Marion ressent une fatigue soudaine. Sa nage se ralentie et elle commence à perdre en lucidité. Les notions de temps et d’espace aussi. Elle se souvient : « Je commençais à nager sous l’eau et plus trop à la surface. Je n’arrivais plus vraiment à savoir ce que j’étais en train de faire. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’avais conscience d’avaler de l’eau. » Après 1 550 mètres, Marion n’arrive plus à dissocier l’air de l’eau. Cela fait plus d’une demi-heure qu’elle se bat dans les eaux norvégiennes. Il ne lui reste que 50 mètres pour boucler son défi, mais de l’eau commence à entrer dans ses poumons. Son équipe rapprochée plonge pour la secourir. Tant pis pour le Mile. Ils transportent Marion en urgence dans la chambre chaude. Ils la sèchent et la massent pour réchauffer son corps. Plus de deux heures pendant lesquelles elle frôle l’inconscience. « Je ne savais plus trop où j’étais. Je me souviens juste d’avoir parlé anglais. J’ai pris l’organisateur pour ma maman. Je l’ai pris dans mes bras en disant : Mother, mother, mother, I love you ! » Marion rie en se rappelant de l’instant.
(Photo : D. R.)
Il lui faudra deux bonnes heures pour revenir à elle. Toute la journée, la jeune femme tousse pour évacuer l’eau restant dans ses poumons. Le lendemain, elle se retrouve clouée au lit avec de la fièvre. « Rien d’important finalement. D’un point de vue santé, j’étais sauvée ! » Pas de séquelles donc, sauf un engourdissement dans les avant-bras et dans les mains encore quelques jours après la course. Une sensation normale au vu de l’effort intense fournit par son corps. Après quelques heures, elle demande enfin le résultat. « Quand on m’a annoncé que j’avais échoué à si peu de la fin, j’ai forcément eu une pointe de déception, mais je n’ai aucun regret. Finir ce Mile, ce n’est rien à côté de toute la satisfaction ressentie, le plaisir que j’ai eu à être dans cette eau. C’était un moment exceptionnel et je suis allée au bout malgré mon poids plume. C’est une victoire sur moi-même, rien d’autre. »
A son retour dans l’Hexagone, Marion n’a pas pu s’empêcher d’aller nager un peu pour se rassurer. « J’ai fait 1 700 mètres pour me dire que j’ai fait plus de 1 609 mètres. C’était psychologique, mais ça m’a fait du bien ». La nageuse enchaîne avec une semaine de repos avant d’attaquer une nouvelle saison bien rythmée. Elle veut enchainer un 33 km en rivière et un 20 km. Avec comme objectif de se préparer à la traversé de la Manche, fin août.
Chloé Joudrier