En marge des Championnats du monde de nage glacée qui se déroulent actuellement à Samoëns (12 – 15 janvier), la championne de France et multiple médaillée mondiale évoque sa prochaine compétition (l’Ice swimming Morocco les 21 et 22 janvier), ses ambitions, sa fabuleuse traversée de la Manche et les dessous d’une discipline un peu particulière. Interview en immersion totale avec une jeune femme de 23 ans qui n’a peur de rien.
Il faut être un peu « foufou » pour nager sans combinaison dans une eau à moins de 5 degrés en plein hiver, non ?
Je ne dirais pas qu'il faut être « foufou » mais plutôt givré (rires). En fait, cette discipline nous apprend énormément de choses sur nous-même, à dépasser ses limites. Et puis, l’eau glacée représente un challenge et pas une compétition pure et dure comme on peut le voir dans d’autres disciplines.
Qu’est-ce qui vous a poussé à vouloir nager dans de l’eau glacée ?
J’ai démarré en 2017. A l’époque, je m’entrainais pour la traversée de la Manche avec Philippe Fort (entraîneur et maître-nageur qui a lui aussi traversé la Manche), et j’ai commencé à m’entraîner dans des eaux à 10-11 degrés. Et avec Philippe, mon « papa de cœur », en janvier 2018, on part à Veitsbronn en Allemagne, où je réalise mon tout premier 1000M dans une eau à 3,8 degrés.
Que ressent-on ?
Cela a été une grande découverte car je n’avais jamais testé une eau en-dessous de 8 degrés, et quand je suis rentrée dans l’eau pour la 1ère fois, j’ai eu comme une sensation de coups de poignard dans tout le corps, des brûlures, et au bout d’un certain temps, une sensation de bien-être car on est anesthésié au bout de 3-4 minutes de nage. En revanche, à la fin, le froid vous tétanise de nouveau.
Comment fait-on pour supporter les effets du froid sur la durée ?
En s’entraînant régulièrement dans des chambres froides. Je vais notamment dans un centre de distribution de marchandises, dans une salle à 3 degrés, et je m’immerge, statique, dans un bac avec de l’eau. Je suis sur des périodes de 10-15 minutes dans de l’eau glacée avec pour objectif de monter à 30 minutes voire même plus à l’entraînement. Et en complément de la salle de marchandises, je suis en train de m’organiser pour nager dans un lac très froid en Normandie, à côté de chez moi, car la Manche descend rarement en-dessous de 8 degrés.
Marion Joffle (Photo: Florent Schneider)
Quand vous sortez de l’eau, quelles sont les étapes à respecter ?
La période de réchauffement est très longue. Il faut d’abord se mettre dans une salle de 20 degrés, appliquer des serviettes chaudes et humides sur le corps pour garder un contact avec l’eau… Et une fois que le corps recommence à trembler, il se réactive pour se réchauffer. Là, l’idéal est d’aller dans un sauna, mais pas à plus de 40 degrés, car sinon le choc thermique sera trop important. Avant, la période de réchauffement me prenait 30 minutes. Désormais on est plus proche des 15-20 minutes.
Enfant, rêviez-vous de pratiquer cette discipline ?
Pas du tout. J’étais plutôt casse-cou, et il fallait que je bouge tout le temps. Je n’avais pas de grand rêve, et souhaitais prendre la vie comme elle venait, profiter au maximum. J’ai testé la danse contemporaine, puis ai découvert le milieu de la natation comme un coup de foudre en 2007, commençant par de la natation classique de bassin, l’apprentissage de la natation et de la technique. Et c’est à partir de 2011, à 12 ans, que j’ai commencé à diversifier mon parcours aquatique.
Les 21 et 22 janvier prochain, vous allez participer à l’Ice Swimming Morocco. Mais où trouve-t-on une eau aussi froide au Maroc ?
Evidemment, l’hiver y est plus chaud que chez nous, mais on peut en trouver dans des lacs en altitude. Il faut monter assez haut. Là, ce sera dans un lac à 3H30 de Casablanca. Mais vous savez, aujourd’hui, c’est plus facile pour moi de nager à 5 qu’à 0 degré car je m’entraîne dans des eaux autour de 2-3 degrés.
Avant de plonger, y-a-t-il une alimentation spécifique à respecter ?
Il faut prendre du poids mais c’est très difficile pour moi. J’essaie de manger des aliments riches en matières grasses. Quand on va s’entraîner et s’exposer au froid, la graisse blanche va se transformer en brune. La matière blanche est en fait plus isolante et maintient au chaud.
Photo: Florent Schneider
Les lacs dans lesquels vous nagez sont spécialement aménagés sous forme de piscine (avec lignes d’eau en mode bassin de 25M). Votre préparation ressemble-t-elle à celle d’une nageuse de bassin ?
Je suis plus sur de la préparation longue distance car je ne suis pas une bonne sprinteuse. En plus de la salle de marchandises, j’ai tout un travail à faire sur demi-fond avec beaucoup de volume. Cette année, cela a été plus compliqué car je ne peux plus nager que quatre fois par semaine, avec moins de charges d’entrainement et donc une diminution de mes performances.
Avec le manque d’exposition de votre discipline, comment faîtes-vous financièrement ?
Principalement par mes propres moyens, sans me surendetter car je maitrise mon budget. Comme je suis en alternance, je ne touche que 53% du SMIC et cela n’est pas suffisant pour mener mon double projet (vie quotidienne et compétition). Ma chance, c’est d’avoir un compagnon qui m’aide, et cela me permet de mettre de côté pour à l’arrivée dégager du budget pour mes compétitions. Pour financer l’Ice Swimming Morocco où j’irai de toute façon (2150 euros de frais d’hébergement, d’engagement, de vol..), j’ai fait un appel aux dons d’entreprises partenaires. Pour la traversée de la Manche, là, j’avais été aidée à hauteur de 12000 euros de subventions.
Venons-en justement. En août dernier, vous avez réalisé votre rêve de traverser la Manche, record de France féminin en prime (9 heures et 22 minutes). Y-a-t-il eu des moments de doute ?
Il y avait 34 km en ligne droite et j’en ai nagé 39. Je suis partie des falaises de Folkestone (à côté de Douvres) pour arriver au Cap Gris-Nez à l’ouest de Calais. Des doutes, finalement j’en ai eu très, très peu. Moi mon objectif, c’était aujourd’hui ou jamais. Il y a juste eu un moment où j’ai eu des douleurs à la hanche, vers 4H de nage, et il fallait que j’arrive à dissiper cette douleur pour continuer sur un bon rythme. J’ai donc stoppé mes battements de jambe, et pendant les ravitaillements, je buvais du thé chaud pour éviter la perdition de chaleur.
C’est quoi le plus dur dans une telle traversée ?
Bonne question, car moi j’ai vraiment eu de bonnes conditions : ni beaucoup de vagues, ni de courant, ni de pluie qui n’aurait de toute façon pas été trop problématique. La température de l’eau était assez élevée et idéale, à 17 degrés au milieu de la mer, et à 19 sur les bords. A 15 degrés, cela aurait été plus dur. Et puis il y a eu un faible coefficient de marée. Non, vraiment, toutes les conditions étaient réunies.
Propos recueillis par Antoine GRYNBAUM