Un défi givré. Ce vendredi 29 avril, direction Longyearbyen sur l’île de Spitzberg pour la nageuse en eau froide Marion Joffle. La multiple championne du monde s’apprête à réaliser le mile en Arctique, une épreuve mythique de la discipline. Au programme : 1 609 mètres dans une eau à zéro degré ! Malgré un début d’année difficile après une infection bactérienne, la Caennaise de 22 ans trépigne d’impatience. Valises bouclées, préparation physique affinée, budget validé… Après deux ans d’attente dus à la pandémie, Marion est plus que déterminée. Elle touche enfin du doigt l’un de ses rêves. Échange avec celle qui porte si bien le surnom de « pingouin souriant » avant son départ pour une expédition glaçante.
Tu t’envoles dans quelques heures pour l’Arctique : comment te sens-tu ?
Je me sens plutôt bien, j’ai vraiment hâte d’y être ! J’ai aussi évidemment un peu d’appréhension car ce sera ma première fois dans une eau aussi froide. J’ai déjà fait 1 000 mètres en Russie, mais c’était une compétition donc ce n’était pas pareil.
Comment t’es-tu préparée pour ce défi ?
J’ai continué mes 7 à 8 entraînements par semaine en bassin intérieur à Caen. Parfois, je nageais en extérieur, mais l’eau y est chaude (rires)… Ensuite, je faisais deux baignades par semaine dans un bain d’eau froide. Au début, je restais entre 10 et 15 minutes, puis à la fin, j’essayais d’augmenter le temps pour être entre 15 et 30 minutes dans une eau à 2 degrés. Et puis les mondiaux d’Ice Swimming en février dernier ont été une bonne préparation pour cette expédition en Arctique. Sauf qu’en rentrant je suis tombée malade et cela m’a totalement coupé dans ma préparation…
(Photo : Florent Schneider)
Qu’est-ce qui t’est arrivé ?
J’ai attrapé une infection bactérienne à l’estomac à cause de l’eau en Pologne. Cela m’a provoqué une insuffisance rénale donc pendant deux semaines je n’ai rien pu faire. Je ne mangeais rien. La reprise a été difficile parce que j’avais perdu pas mal de poids. D’abord de la masse graisseuse dont j’ai besoin pour nager en eau froide et surtout du muscle.
Comment t’es-tu remis sur pied ?
J’ai repris doucement l’entraînement et je me suis peu à peu alimentée normalement. Là, je suis revenu à mon poids de forme. Depuis une semaine c’était un peu compliqué dans l’eau. Mes bras étaient très lourds. La reprise intensive m’a fait un peu mal mais il fallait y passer. Cela ne m’inquiète pas car même si j’espère finir vite pour rester le moins possible dans l’eau, je n’ai pas d’objectif de temps sur ce défi.
(Photo : Florent Schneider)
Et mentalement, as-tu réalisé un travail spécifique ?
Je suis suivie depuis peu par un hypnothérapeute. C’est un peu compliqué à mettre en place donc je ne suis pas sûre de m’en servir en Arctique. Cela demande du temps et du travail avant de bien apprendre à se mettre en hypnose.
La préparation logistique et matérielle a dû aussi te demander beaucoup de travail !
Je ne fais pas ce défi en solo, mais via une manifestation organisée par l’International Ice Swimming Association (IISA). Sur place, il y aura le président Sud-Africain Ram Barkai, celui qui a développé l’Ice swimming ainsi que le défi des « Seven Ice Mile » dont l’Arctique fait partie. Chaque année, ils organisent une semaine d’aventure où on se retrouve entre nageurs. L’objectif c’est d’y réaliser un mille mètres ou un « ice mile », comme ce que je vais faire.
(Photo : Florent Schneider)
Il y a quelques jours tu as lancé un appel sur ta page Facebook pour rassembler du matériel obligatoire dont tu ne disposais pas…
Oui car on a reçu une liste de matériel fortement conseillé par l’organisation. Il m’en manquait plein et je n’ai pas les finances pour me les acheter. Notamment des vêtements thermiques. Donc mardi (26 avril), j’ai décidé de faire un appel sur Facebook et finalement on m’a prêté tout ce qui me manquait en deux jours. Je me sens très reconnaissante. C’est vraiment chouette, je me dis qu’il y a des gens qui me suivent vraiment et qui sont prêts à m’aider.
Au total, une telle expédition revient à 6 000 euros. Comment as-tu trouvé les financements ?
J’ai mis 4 000 euros de ma poche pour l’instant et j’ai eu une aide de mon club, l’EN Caen, ainsi que du regroupement Medef à hauteur de 1 500 euros. Avec ce défi, j’espère pouvoir toucher d’autres entreprises pour qu’elles aient envie de m’accompagner sur mes autres projets comme celui de la traversée de la Manche.
(Photo : Florent Schneider)
Comment va se dérouler ta semaine sur place ?
Le lundi (2 mai) nous allons nous tester en condition sur un 200 m ou 5 minutes dans l’océan pour tester l’eau. Le lendemain, ce sera l’épreuve du 1 000 m où je serais observatrice et le mercredi celle du mile.
Quelles sont les règles pour une telle distance dans une discipline aussi engagée ?
Si on veut le faire de notre côté, c’est très réglementé. D’abord, il faut que l’eau soit en-dessous de 5 degrés avec la confirmation de trois thermomètres. Il faut aussi un ou deux observateurs affiliés à la fédération internationale. Sur le parcours, il faut placer des balises GPS pour prouver qu’on a bien fait la distance entre ces dernières qui doivent être espacées de 100 mètres. Puis il y a toute une documentation à fournir pour prouver qu’on a réussi comme des photos, des vidéos du départ, du milieu et de la fin. Là, c’est encadré par l’IISA donc je n’ai pas besoin de penser à tout ça. Chaque nageur sera suivi pendant toute la course par un bateau motorisé avec à bord un assistant qui veille sur nous et, au cas où, un médecin. Ce sera mon ami Marocain Hassan Baraka qui va m’assister.
(Photo : Florent Schneider)
Comment as-tu eu connaissance de ce défi ?
J’ai connu l’existence de ce projet-là fin 2019. C’était une grosse année pour moi en Ice Swimming avec les Mondiaux de Mourmansk en Russie. J’ai vraiment rêvé devant ce cadre que je trouvais idyllique, ouaté, avec de la neige partout, un lac complètement gelé et des gens qui skient dessus. C’est complètement atypique, on n’a pas ça en France ! Et puis en novembre de la même année, j’ai entendu parler de ce défi. J’ai dit à ma maman : « Il faut que je le fasse ». Initialement j’avais prévu de m’y attaquer fin 2020.
Qu’est-ce qui te fait rêver dans ce défi ?
M’imaginer nager entre les glaciers, ça n’arrive qu’une fois dans une vie. Après, j’aurais sûrement d’autres ambitions côté travail et familial alors c’est un rêve à vivre tant que j’ai le temps de le faire.
Recueilli par Chloé Joudrier