Du haut de ses 26 ans, Matthieu Witvoet est déjà un éco-aventurier aguerri. Après un tour du monde à vélo réalisé avec son cousin Quentin Witvoet en 2017 pour rencontrer des hommes et des femmes qui collectent, recyclent et réutilisent des déchets plastiques (un an et 18 000 km), ce passionné de sport s’est lancé dans une traversée de Gibraltar à la nage en octobre 2018 (17 km en 5h17) avec son frère Lucas et sa copine Chloé pour alerter le grand public sur la pollution des océans par les plastiques. Loin d’être rassasié, Matthieu Witvoet relèvera à partir de la semaine prochaine avec Théo Curin et Malia Metella le Défi Titicaca avec l’ambition de traverser à la nage ce lac sud-américain coincé entre le Pérou et la Bolivie à 3 800 m d’altitude. Un challenge en autonomie qui imposera aux trois aventuriers de tracter un radeau de 500 kg pendant dix jours, à raison de douze kilomètres par jour dans une eau à 10° C.
Comment Théo Curin a-t-il réussi à vous entraîner dans cette aventure au bout du monde ?
J’ai rencontré Théo il y a près de deux ans pour lui proposer de participer au TEDx de Versailles (*). J’avais été un des conférenciers en 2019 et on m’avait proposé d’être Coach sur l’édition suivante. Parmi les personnes qui m’inspiraient, il y avait Théo parce qu’il nage sans bras et sans jambes. La thématique étant « Notre monde à portée de mains », je me suis dit qu’il y avait un petit clin d’œil à faire. Nous avons donc pris contact pour déjeuner à Paris avec son agent (Anne Bayard). Le feeling a été immédiat. Pendant le repas, ils ont échangé un regard complice et voilà que Théo commence à me parler d’un projet sportif et environnemental qui consisterait à traverser le lac Titicaca à la nage.
Comment avez-vous réagi ?
J’ai d’abord été surpris, mais très vite, je me suis dit qu’une opportunité de ce genre ne se présenterait pas de sitôt. Avant d’accepter, j’ai toutefois demandé à m’entraîner une fois avec Théo pour apprendre à mieux le connaître. Ayant déjà fait le tour du monde à vélo et traversé le Détroit de Gibraltar à la nage, je sais à quel point la dimension humaine est primordiale dans ce genre d’aventure.
Avez-vous été rassuré ?
Oui, complétement ! En même temps, je n’étais pas vraiment inquiet. J’avais simplement à cœur d’accepter ce défi pour de bonnes raisons. Après l’entraînement, nous avons été dîner et il s’est avéré que nous partagions une vision commune de l’aventure, de l’environnement et du sport.
A aucun moment vous n’avez été rattrapé par la peur ou ne serait-ce qu’un sentiment d’appréhension ?
Pour être tout à fait franc, je n’ai pas réalisé immédiatement dans quoi je m’engageais (sourire)… Au début, je me suis laissé submerger par l’excitation. Ce n’est que lorsqu’Anne (Bayard) m’a interrogé sur mon état de forme que je me suis demandé si j’en étais vraiment capable. Reste que de mon point de vue, si l’envie et le rêve sont au rendez-vous, le reste suivra. Et puis, pour l’avoir déjà vécu, je sais aussi que le plus dur, ce n’est pas l’aventure en elle-même, mais plutôt l’année de préparation.
(Photo : Franck Fife)
Où vous situez-vous sur le plan aquatique ?
Très loin derrière Théo et Malia (rires)… J’aime nager, mais mon expérience se résume à la traversée du Détroit de Gibraltar à la nage.
Ce n’est pas rien.
Non, c’est vrai, mais ça n’a rien de comparable à l’engagement que demande une médaille olympique (Malia Metella est vice-championne olympique du 50 m nage libre aux Jeux d’Athènes en 2004, ndlr) ou une médaille mondiale paralympique (Théo Curin est double médaillé d’argent sur 100 et 200 m nage libre aux championnats du monde handisport de Mexico en 2017, ndlr). Les motivations sont très différentes, sans parler de l’investissement. Je l’ai d’ailleurs clairement dit à Théo et Anne (Bayard) lorsqu’ils m’ont proposé de rejoindre le Défi Titicaca. Je tenais à ce qu’ils aient pleinement conscience de mes capacités.
L’implication et l’expérience de Stéphane Lecat, Directeur de l’eau libre à la Fédération Française de Natation et coach du défi, vous ont-elles permis de progresser ?
Stéphane est une légende de l’eau libre mondiale. Ce que j’aime, c’est lorsqu’il nous raconte ses histoires de compétition. Sans le savoir, il nous entretient dans des mythes qui nous donnent envie de nous surpasser. Et puis, Stéphane est extrêmement exigeant tout en restant à l’écoute de ses nageurs. Lors du stage à Font-Romeu que nous avons réalisé en janvier dernier, il a bien senti qu’à un moment, j’en avais un peu ras-le-bol. Déjà, je ne suis pas capable d’encaisser autant que Malia et Théo en termes de charges d’entraînement et puis, si j’aime nager, j’apprécie surtout être dehors, au grand air, dans la nature. Au bout du troisième jour de stage, Stéphane l’a senti et il nous a proposé de prendre un après-midi pour faire du ski de fond et nous aérer un peu.
De quelle manière votre corps a-t-il réagi à la préparation de ce défi ?
Le truc, c’est que les confinements ont un peu tout bousculé. Je n’ai pas nagé autant que je l’aurais voulu. Sans parler du fait qu’on ne devient pas un nageur en six mois. C’est un sport tellement exigeant, tant sur le plan physique que technique. Je m’en rends compte, à présent. Les secrets de cette discipline se cachent dans les détails. Le plus gros changement que j’ai observé tient dans ma capacité à résister au froid. Avant le défi, cela ne m’intéressait pas du tout. Or, il s’avère que c’est passionnant.
Pourquoi ?
J’ai découvert qu’un nageur d’eau froide développe davantage de globules blancs qu’un nageur lambda. C’est parfois de l’ordre du simple au double. On peut donc voir la nage en eau froide comme une sorte de vaccin naturel car les globules blancs viennent booster nos défenses immunitaires. L’hiver dernier, je me suis rendu compte que j’avais passé beaucoup de temps en tee-shirt chez moi, sans chauffage. En fait, on ne tombe pas malade parce qu’on a froid, mais parce que le froid révèle des faiblesses ou des carences. A ce niveau-là, j’observe un vrai changement corporel.
A l'entraînement avec Stéphane Lecat (photo : D. R.)
Contrairement à Théo et Malia, vous êtes un authentique éco-aventurier. Allez-vous puiser dans vos précédentes expéditions pour relever le Défi Titicaca ?
Chaque expérience est singulière. Le tour du monde à vélo était une aventure au long cours de 18 000 km qui m’a mené à travers dix-sept pays. Sur le lac Titicaca, nous serons en autonomie pendant dix jours. Ce sera donc nettement moins intense. Pour autant, cela ne signifie pas que ce défi sera moins dur. En fait, c’est surtout dans la préparation de l’aventure que mon expérience va être intéressante à exploiter. J’ai commis des erreurs par le passé. Il y a des choses que je ne répéterai plus. A l’inverse, j’ai aussi eu de bonnes intuitions. Je vais aller puiser là-dedans pour faire avancer notre aventure. Une fois lancés, je pense pouvoir apporter ma contribution dans les petits rituels du quotidien. J’aime l’ambiance du bivouac, tous ces petits riens qui permettent d’évacuer la fatigue et la douleur physique.
Qu’en est-il de la dimension environnementale qui semble motiver chacune de vos aventures ?
Au-delà du sport et du challenge humain, l’engagement environnemental est incontournable à mes yeux. Je ne peux pas concevoir de partir à l’autre bout du monde pour relever pareil challenge sans inclure cette dimension. A ce titre, j’ai été ravi d’être impliqué à tous les niveaux du projet. Tous les partenaires qui nous ont sollicités ne cherchaient pas seulement à mettre en valeur leur marque. Ils voulaient également trouver le moyen de faire passer un message écoresponsable pour soutenir la protection de l’environnement. Des échanges que j’ai pu avoir avec chacun d’eux, ce ne sont pas que des mots. Ils sont tous conscients des enjeux et de nos motivations. C’est quelque chose qui me donne beaucoup de force parce que je vois bien que nous ne sommes pas seuls dans cette aventure.
D’où vous vient ce goût de l’aventure ?
Je suis né au Mexique, puis j’ai déménagé en Suède, en Belgique et en Angleterre. J’ai eu la chance de grandir à l’étranger et de découvrir le monde très jeune. Mes parents m’ont également très vite fait confiance et poussé à vivre des aventures. A 17 ans, par exemple, ils m’ont laissé partir en vélo de Paris jusqu’à Bruxelles. Je dormais sur le bord de la route et, franchement, ce n’était pas facile, mais j’ai appris des trucs qui m’ont aidé à appréhender la suite. Chaque aventure m’a conforté dans le fait qu’il fallait à tout prix poursuivre ses rêves. Le tour du monde à vélo a ensuite constitué un gros pivot parce que c’était six mois de préparation et près d’un an sur les routes. Je me suis beaucoup découvert pendant ce voyage.
Aujourd’hui, beaucoup de défis réalisés à travers le monde abordent l’aventure sous le prisme de la performance. On sent que dans votre projet, l’ambition n’est pas là. Il s’agit d’abord et avant tout de faire passer un message et d’éveiller les consciences sur la protection de l’environnement.
Il y a une dimension sportive, un défi à relever, mais nous ne nagerons pas contre une autre équipe ou pour battre un record. Il s’agit juste de traverser un lac en laissant le moins de traces dans notre sillage. J’aime aussi l’idée d’imposer nos règles sans ingérence extérieur.
Comment ça ?
Nous avons défini notre projet et l’ambition qui nous anime. Celles et ceux qui auraient à cœur de nous soutenir sont les bienvenus, mais personne ne dictera notre aventure.
A l'entraînement avec le radeau (photo : D. R.).
Vous ne nagerez pas contre une autre équipe ou pour battre un chrono, mais il s’agira malgré tout de tracter un radeau de 500 kg sur 122 km. La performance, s’il y en a une, si situe sans doute à ce niveau-là.
Oui, ça ne fait aucun doute, mais je vois aussi ce radeau comme un allié. Je vais dormir, manger et me reposer dessus. Il sera notre maison pendant dix jours. Donc, pour moi, ce radeau est une nécessité vitale.
Comment se prépare-t-on à nager pendant dix jours à 3 800 m d’altitude ?
C’est l’un des enjeux majeurs de ce défi. Nager à 3 800 m cela signifie produire un effort avec 30% d’oxygène en moins. L’impact sur le corps est considérable. Il importera donc de bien dormir, de bien se nourrir et de bien récupérer. On essaie de s’y préparer, mais je peux d’ores et déjà vous dire que ce sera chaud (rires)…
A l’inverse de la température de l’eau du lac qui devrait avoisiner les 10°C.
Le problème de l’eau froide, c’est que tu te sens très vite brumeux et vaseux. Tu as la sensation que tout va bien, mais parfois tu es complètement à côté de la plaque. D’où l’importance d’avoir un regard extérieur, quelqu’un qui te sorte de l’eau pour que tu retrouves un semblant de lucidité. Voilà pourquoi, nous devrons être particulièrement attentifs les uns aux autres.
Quel est le message que vous tenez à faire passer avec cette aventure ?
Il s’agit d’abord de poser les bases d’une éco-aventure, c’est-à-dire une aventure au service de l’environnement. Notre démarche écoresponsable vise à réduire au minimum notre impact carbone, à consommer de la nourriture lyophilisée sans emballage, à charger notre matériel électronique grâce à l’énergie solaire, à traiter l’eau du lac pour la consommer. L’ambition, c’est de traverser ce lac majestueux situé à 3 800 m d’altitude sans laisser de déchets derrière nous. Nous voulons montrer au plus grand nombre que c’est possible, qu’il s’agit simplement d’une histoire d’engagement et de bonne volonté.
Envisagez-vous d’échouer ?
Il importe de se préparer au pire pour pourvoir l’anticiper, mais comme je l’ai dit précédemment, nous avons fixé nos règles dès le début. Si nous sommes surpris par une tempête, nous n’aurons aucune difficulté à de nous arrêter pour reprendre le défi quelques jours plus tard. Comme l’a dit le Baron Pierre de Coubertin, ce qui compte, ce n’est pas le triomphe, mais le combat. Je préfèrerais que cette aventure soit un échec, mais que j’apprenne quelque chose, plutôt que ce soit trop facile et qu’on traverse le lac Titicaca en cinq jours.
Recueilli par Adrien Cadot
(*) Les conférences TED sont une série de conférences organisées au niveau international par la fondation à but non lucratif nord-américaine The Sapling foundation. Elle a pour but, selon son slogan, « de diffuser des idées qui en valent la peine ».
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