Avant huit heures, au moment où le lac d’Annecy plisse ses premières ondulations au fil de matinales coups de brasses et de rames, eux piquent une tête. Loin des piscines mises au rancard, ces nageurs de bonne heure, du cru et de tout âge le trouvent (le bonheur) entre eaux calmes, fond clair et température fraîche, parades de cygnes, cimes inspirantes entre nuages volants, méditations et rêveries portées par un air pur. Qui dit mieux ?
« A cette heure-là, le lac est à nous. Comme nous, il se réveille pendant que les touristes dorment encore », s’amuse David (42 ans), directeur d’études à l’IUT d’Annecy. « Dans un grand calme, le soleil se lève, la fraîcheur de l’eau nous ravigote juste ce qu’il faut. Et la beauté des lieux, toujours différente, procure une vraie plénitude ». Dès qu’il peut, ce professeur de maths additionne les longueurs vers Sevrier, soient trois bornes, soit « une bonne heure passant souvent trop vite ».
(Photo : Sophie Greuil)
Comme tous ces nageurs lève-tôt, à la recherche de ces p’tits bonheurs de la bonne heure, cet Annécien a définitivement tourné le dos à la piscine : « Nous n’y respirons pas, nous sommes entassés comme des sardines, nous nous battons dans la ligne d’eau sans compter l’odeur du chlore peu agréable. Là, c’est la nage en toute liberté !». Même son de cloche (haute-savoyarde, bien sûr) du côté de Florise (33 ans) à la recherche « du calme plat autour du lac et dans le lac, de fraîcheur qui réchauffe les muscles, de liberté loin du stress de la piscine, de luminosité ». Sur un kilomètre bouclé une ou deux fois par semaine, cette formatrice en langues rencontre « un apaisement donnant l’impression que tous les soucis disparaissent. Dans le lac, je me laisse vraiment porter, je ressens vraiment les pouvoirs revigorants et apaisants de l’eau pour atteindre un formidable bien-être ».
(Photo : Sophie Greuil)
Tôlier-chaudronnier-soudeur à la retraite, Luc (61 ans) est un vrai poisson comme son zodiaque l’a baptisé. Comme David et Florise, cet Annécien sèche les cours et les lignes d’eau en piscine : « Ah, vive l’air libre ! En plus, l’eau du lac est très propre, pas d’irritation de la peau en ressortant ». En brasse (« comme une grenouille à cause des palmes ») ou en dos (« ça ouvre bien la cage thoracique »), ce lève-tôt papillonne de bouée en bouée : « Un jour sur deux, je viens vers 8 heures pour faire 900 mètres avec palmes parce que j’aime quand ça envoie, j’aime dépasser les bouées en ayant l’impression de fuser (éclats de rires). Si je veux me reposer, je me mets sur le dos et je flotte grâce à un petit carré de polystyrène que j’ai, avant de partir, glissé dans mon maillot. Quant à la vue, elle est tous les jours à couper le souffle : jamais la même jusqu’à nager en regardant les montgolfières voguer au ralenti de cime en cime ».
(Photo : Sophie Greuil)
A 81 ans, Anna a appris à s’écouter. Du coup, cette institutrice à la retraite fait la sourde oreille à ses douleurs de vieilles fractures, son ostéoporose, son arthrose et ses deux enfants, peu emballés par ses longueurs solitaires, à son vertige dans l’eau et à son horrible souvenir d’avoir vu son frère de 7 ans se noyer sous ses yeux d’enfant gardant des oies. De juin à septembre, notre « toute cabossée » fait face comme elle le faisait face à la paroi en alpinisme ou en escalade, plus jeune : « En fait, j’ai toujours eu peur de l’eau, mais je me suis toujours forcée. Maintenant, j’ai surtout le vertige de l’eau quand je vois le fond clair, une des raisons pour lesquelles je n’aime pas la piscine. Une fois que je l’ai passé, que je ne le vois plus, je nage sans aucun problème ».
(Photo : Sophie Greuil)
Armée de son culot, de sa bouée orange pour être repérée par les bateaux de toute jauge, de ses lunettes et de ses plaquettes (« mieux pour mon arthrose »), Anna vient nager vers 8h30, comme à sa bonne vieille habitude, seule, dans une zone non-surveillée vers une bouée jaune de navigation : « Si je suis courageuse, j’en passe quatre, je nage 40 minutes. Ce moment est une pure détente, un plaisir, un petit effort qui me met en forme pour la journée. Vus tous mes bobos, chaque jour est un cadeau ».
A Annecy, Sophie Greuil