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Pour tout vous dire, on ne s’y attendait pas ! Bien sûr, Florent Manaudou n’est plus le sprinteur archi dominateur des années 2012-2016, celui capable d’enchaîner un titre olympique (Londres 2012), un titre européen (Berlin 2014), puis un titre mondial (Kazan 2015) sur 50 m nage libre, la distance de tous ses exploits, mais quand même, le voir finir deuxième de « SON » 50 m en finale des championnats de France de Chartres (15-20 juin) a bousculé nos habitudes, nos réflexes et sa suprématie. Maxime Grousset, l’auteur de ce crime de lèse-majesté, n’a pas volé sa victoire. Bien au contraire ! En pleine bourre, le nageur de l’INSEP a fait parler sa pointe de vitesse et sa jeunesse avec une envie et une maestria qui ne doit rien au hasard. Une réalité qui n’échappe aucunement au cadet de la fratrie Manaudou. A bientôt 31 ans, Florent n’a plus les jambes et les bras de sa première carrière, bien que sa musculature demeure diablement impressionnante. En termes d’expérience, en revanche, le capitaine de l’équipe de France est un exemple, un modèle, une figure de proue, mais plus important encore, un grand-frère. Il faut dire que le colosse marseillais a tout connu : des victoires à ne plus savoir qu’en faire, une première retraite, une escapade handballistique du côté d’Aix-en-Provence avant un retour tonitruant en 2019 quelque peu freiné par une pandémie mondiale qui aura contraint les instances internationales à repousser les Jeux de Tokyo d’une année. Cette fois, pourtant, on y est : à l’origine même de ce retour qui a redonné à la natation tricolore un regain de médiatisation et un leader à suivre dans le tumulte d’une édition olympique qui s’annonce aussi imprévisible que contraignante.

Quand tu es revenu à la natation en 2019, pensais-tu que tu aurais autant de mal à renouer avec ton meilleur niveau ?

Honnêtement, je pense que je ne suis pas loin du niveau qui était le mien avant l’interruption de ma carrière, c’est juste que je n’ai pas encore fait de préparation complète depuis que j’ai repris. On verra comment je me sentirais aux Jeux. N’oublions pas également que je n’ai plus le même âge (il aura 31 ans le 12 novembre prochain). Vient un moment où le poids des années commence à se faire ressentir, notamment en termes de vélocité et d’explosivité.

Cette seconde carrière ressemble-t-elle à ce que tu avais imaginé en 2019 lorsque tu as annoncé à la surprise générale que tu revenais dans les bassins ?

Je suis revenu pour participer aux Jeux olympiques de Tokyo, donc pour l’instant je suis satisfait !

Quand est-il de tes ambitions chronométriques ? Espérais-tu nager plus vite ?

Bien sûr ! Comme tous les athlètes de haut niveau j’aspire à faire toujours mieux, mais il n’y a pas eu de compétitions pendant plusieurs mois à cause de la pandémie mondiale. L’entraînement, c’est une chose, mais rien n’est comparable à la confrontation ! Beaucoup de nageurs sont aujourd’hui dans ma situation : nous attendons avec impatience que les Jeux débutent pour voir ce que nous sommes capables d’accomplir.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Julien Jacquier (son entraîneur au CN Marseille, ndlr) nous a confié lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin) que tu connaissais tous tes chronos par cœur. Essaies-tu de faire un « reset » et de tout oublier pour partir sur de nouvelles bases ?

Malheureusement, je ne suis pas comme ça ! Ce serait pourtant bien que je le fasse, mais c’est aussi ce qui a fait que j’ai nagé vite dans ma carrière. Je n’ai donc pas envie d’oublier ce que je réalisais plus jeune. Je me compare à ce que j’ai fait avant parce que c’est un sport chronométrique. Depuis quelques semaines, j’essaie malgré tout de m’y prendre autrement, de moins penser aux temps et de prendre davantage de plaisir.

Penses-tu l’avoir retrouvé ?

Oui, je suis plus heureux aujourd’hui dans ma vie que par le passé. Il faudrait juste que je nage un petit peu plus vite et tout serait parfait (sourire)... C’est dommage parce que l’année dernière, avant que les Jeux ne soient reportés, je me sentais vraiment bien. On verra de quelle manière j’ai digéré cette année supplémentaire lorsque les épreuves olympiques de natation débuteront.

Qu’est-ce qui te rend plus heureux aujourd’hui que pendant ta première carrière ?

Ma vie en dehors des bassins et mon état d’esprit…

C’est-à-dire ?

Je suis nettement plus relâché. Je n’ai plus besoin de gagner à tout prix alors qu’avant je me mettais davantage de pression. J’étais presque invaincu entre 2012 et 2016, donc je suis arrivé aux Jeux de Rio avec beaucoup de poids sur les épaules. Aujourd’hui, c’est différent : je suis loin d’être le meilleur sur le papier. J’espère que ça produira le même scénario qu’en 2012 (sourire)

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Julien Jacquier nous a également parlé pendant les championnats de France de Chartres (15-20 juin) du travail que tu avais réalisé avec un apnéiste qui s’entraîne au Cercle des Nageurs de Marseille. Peux-tu nous en parler ?

J’ai commencé à bosser avec lui cet hiver. C’était une superbe rencontre humaine. J’ai d’abord commencé par échanger avec lui, presque par curiosité, puis nous avons parlé de la respiration sur un 50 m et je lui ai demandé s’il était envisageable que l’on collabore sur quelques séances spécifiques. Il y a certaines routines que j’ai déjà connues. Il faut désacraliser le fait de ne pas respirer pendant un 50 m parce que ça pompe de l’énergie. Nous sommes encore en contact régulier et c’est super parce que je mets des choses en place que je ne faisais pas avant.

La natation, ce n’est donc pas comme le vélo : il y a des détails qui s’oublient ?

Il y a trop de paramètres, on n’a jamais les mêmes préparations et puis j’ai pris de l’âge. Quand je suis arrivé aux Jeux en 2016, j’avais 25 ans et là j’en ai presque 31. Le moins que l’on puisse dire, c’est que de l’eau a coulé sous les ponts. C’est assez compliqué, mais en prenant le plaisir ailleurs je pense que la performance sera au rendez-vous.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Où en es-tu sur le plan physique ?

Je me sens bien ! J’ai retrouvé le côté aquatique et ma musculature d’avant. J’ai peut-être un peu plus de cuisses en raison de mes années handball, mais niveau poids, c’est à peu près la même chose. Je suis là où je veux être !

Que fais-tu différemment à 30 ans pour supporter les charges d’entraînements ?

Je dors un peu plus, je mange mieux, mais ça, c’est aussi grâce à ma copine (la Danoise Pernille Blume, ndlr). Je me suis acheté des bottes de compression, je fais plus de bains chauds et de bains froids. Je respecte davantage les plages horaires entre les séances. Ce sont des petits ajustements qui sont obligatoires quand on commence à vieillir.

L’absence de ta famille aux Jeux pourrait-elle avoir un impact sur tes performances ?

Non, je ne le pense pas ! Laure était présente à Londres (2012). Elle m’avait aidé inconsciemment à aborder mes premiers Jeux avec relâchement parce que c’est une personne que je connais très bien et qui sait me parler, mais honnêtement, quand on a un objectif comme celui des Jeux, avoir la famille par FaceTime ou par SMS, c’est suffisant (sourire)

Comment appréhendes-tu le contexte sanitaire qui entoure cette édition olympique ?

Je m’attends à ce que ça soit très drastique ! Il y a une chose que je trouve un peu dommage, c’est le fait que l’on soit obligé de partir deux jours maximum après son épreuve. C’est un peu moyen, surtout qu’on arrive en équipe. Je serai certainement seul à la fin de la semaine de natation, mais il faut faire avec et être un peu plus individualiste malheureusement.

(KMSP/Stéphane Kempinaire)

Rétrospectivement que retiens-tu des Jeux de Rio ?

Quand j’analyse les Jeux de 2016, je me rends compte que l’ambiance d’une équipe peut apporter énormément. A Londres, en 2012, il y avait eu la victoire du relais 4x100 m nage libre, puis celle de Yannick (Agnel sur 200 m nage libre) et celle de Camille (Muffat sur 400 m nage libre). Il y avait une grosse émulation au sein de l’équipe de France. A Rio, c’était l’inverse ! Je me rappelle des déceptions des nageurs. Quand on arrive en fin de semaine, ça peut jouer sur le moral.

Le fait que les finales se disputent le matin à Tokyo changera-t-il ton approche de la compétition ?

Non parce que je n’ai jamais eu de mal à nager le matin. Et puis, ça reste un 50 m, donc je ne me fais pas de soucis. Ce que je trouve bien, en revanche, c’est qu’on n’aura pas besoin de faire deux épreuves en une journée (séries et demi-finales), même si ça n’a jamais été pénalisant pour moi. Avec l’âge, cela pourrait même constituer un petit avantage (sourire)...

Cette année supplémentaire, tu l’as prise comme une chance ?

Oui parce que j’ai pu changer pas mal de choses dans ma vie. Je suis revenu à Marseille et j’ai pu me construire un petit cocon dans lequel j’ai une bonne stabilité. J’ai aussi revu mes amis ce qui est très important pour ne pas être focalisé uniquement sur son objectif.

Maxime Grousset dans les bras de Florent Manaudou à l'arrivée du 50 m nage libre des championnats de France de Chartres (KMSP/Stéphane Kempinaire).

Te projettes-tu déjà sur l’après JO ?

Non, pas vraiment ! Je pense que j’aurais un peu de vacances, mais il y aura beaucoup d’échéances l’année prochaine donc il y aura forcément des compétitions que je ne disputerai pas. Si je souhaite continuer jusqu’à Paris, en 2024, je n’ai pas envie de faire trois ans comme j’ai fait jusqu’à Rio où, à la fin, j’étais épuisé mentalement et physiquement.

Les Jeux de Paris en 2024 sont-ils d’ores et déjà cochés sur ton planning ?

Aujourd’hui, j’ai envie d’y aller, mais si dans un an je me blesse ou que je nage une seconde moins vite, je me poserai forcément des questions. Trois ans, c’est long. On verra comment évolue mon état de forme.

Comment abordes-tu ton rôle de capitaine de l’équipe de France ?

Je pense qu’il faut apporter beaucoup de décontraction et de cohésion d’équipe parce qu’avec les règles sanitaires en vigueur pendant les Jeux, ça ne sera pas simple à gérer. Certains n’ont pas participé aux championnats d’Europe de Budapest ni à l’ISL (novembre 2020, Budapest), où des bulles sanitaires avaient été mises en place. J’essaierai donc de leur parler de mon expérience. C’est une édition spéciale, il ne faudra pas s’éparpiller.

Recueilli par Adrien Cadot (avec Jonathan Cohen et Issam Lachehab)

FLORENT MANAUDOU

Né le 12 novembre 1990 à Villeurbanne

Taille : 1m99

Poids : 99 kg

Club : Cercle des Nageurs de Marseille

Entraîneurs : Julien Jacquier

Qualifié sur 50 m nage libre

La phrase : « Je suis beaucoup plus heureux dans ma vie, notamment en dehors de la natation, et j’espère nager de plus en plus vite. On verra ce que ça donne aux Jeux de Tokyo. J’ai beaucoup travaillé cet hiver pour que le chrono descende. Je pense que ce sera le cas fin juillet. Je sais aussi que je suis loin d’être le meilleur sur le papier. Je vais arriver à Tokyo avec moins de pression que lors des Jeux de Rio (2016). J’espère que l’issue sera la même qu’en 2012, à Londres (titre olympique sur 50 NL, ndlr). »

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