« Ce n’est pas la destination qui compte, c’est le voyage », a écrit un jour l’écrivain-aventurier Jack London. Certes, mais il ne fait malgré tout aucun doute que Fantine Lesaffre, 26 ans, est à la fois heureuse et soulagée de s’être envolée le 10 juillet dernier avec l’équipe de France de natation pour disputer les Jeux olympiques de Tokyo, ses seconds après ceux de Rio en 2016. La nageuse de Franck Esposito au CN Antibes verra donc le Japon. Il y a encore quelques mois, ce n’était pourtant pas gagné ! Cet hiver, la spécialiste des épreuves de 4 nages pataugeait d’un meeting à l’autre sans parvenir à retrouver le sourire et un niveau de performance dilué au fil des confinements successifs. Fantine ne s’en cache pas : la pandémie mondiale a durablement perturbé sa progression. Une crise sanitaire à laquelle se sont ajoutées des difficultés personnelles qu’elle a dû prendre le temps de régler avant de se focaliser à nouveau sur l’entraînement et de rêver à une qualification olympique. Finalement, tout se sera joué dans le bassin chartrain de l’Odyssée lors des championnats de France (15-20 juin). En l’espace d’une petite semaine de compétition, la native de Roubaix aura retrouvé l’envie, le sourire et une place au sein d’un collectif national qu’elle s’apprêtait pourtant à voir partir sans elle à l’autre bout du monde.
Pour commencer, peux-tu nous dire ce que tu retiens de tes premiers Jeux à Rio en 2016 ?
J’avais des étoiles dans les yeux. Au village olympique, le simple de fait de croiser de grands champions me donnait le sourire. Cette première expérience reste aujourd’hui encore très forte en émotions. Tout était grandiose, nouveau, à couper le souffle ! Sur le plan sportif, j’avais fait ce que je pouvais, mais j’étais surtout à Rio pour apprendre et me familiariser avec l’environnement olympique.
Ne crains-tu pas d’être déçue par les contraintes sanitaires de l’édition japonaise de 2021 ?
Il y aura forcément une pointe de déception parce que tout sera différent de Rio et d’une ambiance plus naturelle. Le simple fait de ne pas pouvoir rester sur place fait une grande différence, mais cela fait aussi plus d’un an que nous nous y préparons. Le staff nous a briefé. Nous savons que nous n’aurons aucune liberté. C’est un peu frustrant, mais ce ne seront pas des Jeux au rabais. Cela reste la plus grande compétition sportive du monde.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Dans quel état d’esprit les abordes-tu ?
J’aimerais surtout retrouver une notion de plaisir dans mes courses (4 nages) car je suis convaincu que c’est lorsqu’on s’amuse dans ce que l’on fait que l’on performe. Je n’ai pas envie de me prendre la tête ou de me fixer des objectifs qui vont me nouer. Bien sûr, je vise la finale et après, qui sait, tout est possible, mais je veux d’abord prendre du plaisir, me sentir bien dans ma tête et dans l’eau. Le reste suivra !
Tu insistes sur la notion de plaisir parce que l’année qui vient de s’écouler et les différents confinements ont été difficiles à vivre.
Oui, après le premier confinement (avril-mai 2021), j’ai repris l’entraînement sans objectif. Les compétitions avaient été repoussées et il fallait pourtant s’y remettre à fond pour rattraper le temps perdu et retrouver un niveau digne de ce nom. Je me suis beaucoup perdue dans ma tête, sans parler d’autres difficultés personnelles. Ça n’a pas été facile à vivre. Il se passait tellement de choses que je n’arrivais plus à me focaliser sur l’entraînement. Pourtant, j’aime m’entraîner, me surpasser, me battre dans l’eau, enchaîner les séries et faire descendre les chronos. C’est un truc qui me plaît énormément dans la natation, mais quand tu n’y es plus, c’est vraiment dur de garder le cap.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
As-tu songé à arrêter ?
Oui et j’ai même coupé trois semaines en février dernier (après le FFN Golden Tour-Camille Muffat de Nice, ndlr), mais bon, je pense que ça arrive à tous les sportifs de haut niveau…
Comment ça ?
En fait, j’en étais arrivée à un point où tout était trop compliqué. Heureusement, mon entourage m’a soutenue. Je pense notamment à mes frères et sœurs, Franck (Esposito, son entraîneur au CN Antibes), Fanny (Deberghes), Chacha (Charlotte Bonnet), Mél (Mélanie Henique) ou Sophie (Kamoun, son agent). C’est grâce à eux que j’en suis là aujourd’hui, sur le point de disputer mes seconds Jeux olympiques.
Qu’est-ce que des nageuses comme Charlotte Bonnet ou Mélanie Henique t’ont apporté ?
Charlotte a elle-aussi connu une année compliquée. Nous nous sommes beaucoup soutenues. Mél a été en réussite dès les championnats de France de Saint-Raphaël (décembre 2020), mais elle a connu des passages plus compliquées dans sa carrière. Elle m’a fait profiter de son expérience et de ses conseils. Elle a un regard sur le sport de haut niveau et la natation en particulier qui m’a permis de relativiser et de prendre du recul. Surtout, elles m’ont écoutée. Le plus important était que je m’écoute.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Doit-on en déduire que tu as traversé une petite déprime ? Le sujet est d’ailleurs de plus en plus souvent abordé par des athlètes français ou étrangers, comme s’il n’était plus tabou désormais.
C’est vrai que de plus en plus d’athlètes français ou étrangers parlent de ça depuis quelques années. Ils n’ont plus peur de dire qu’ils ont traversé des épisodes dépressifs. Mais je crois aussi que ça arrive à tout le monde.
A-t-il été difficile de remettre la « machine » en route après cette interruption de trois semaines ?
Un peu parce que je suis une nageuse de long. J’ai besoin de beaucoup d’entraînement pour être bien dans l’eau, mais j’en avais besoin car mon corps et mon esprit ne tenaient plus. J’étais sur le point de céder. Il était impératif de faire un break. D’ailleurs, quand je suis revenue à l’entraînement, je me sentais plus légère. Pas encore sereine, mais apaisée. Cette coupure m’a fait du bien. Si je m’étais obstinée, ça aurait craqué plus tard et je n’en serais sans doute pas là aujourd’hui.
As-tu eu peur de ne pas réussir à te qualifier lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin) ?
Oui, bien sûr ! Je ne vais pas vous mentir : en arrivant à Chartres, je ne pensais pas être de l’aventure olympique. J’avais d’ailleurs prévu de passer mon été à Antibes. C’est pour ça que la qualification a été un incroyable soulagement. Je me suis qualifiée au mental parce que physiquement, ce n’était pas encore ça. Et puis, Cyrielle (Duhamel) m’a obligé à me dépasser. Elle a réalisé de grandes courses. Il fallait que je m’accroche. Sans elle, sans cette concurrence, ça n’aurait sans doute pas été possible.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
As-tu pris du plaisir lors des sélections olympiques à Chartres ?
Oui, notamment sur le 200 m 4 nages, le 200 papillon et le 200 dos. En revanche, ça a été plus difficile sur le 400 m nage libre et le 400 m 4 nages car je n’étais pas encore prête à refaire de longues courses. Je n’étais pas à 100% dedans alors que ce sont des épreuves qui demandent une implication totale.
Quelles seront tes ambitions à Tokyo ?
Physiquement, je ne suis pas encore à 100%, mais cela fait longtemps que je nage : mon corps se souvient de la douleur de l’effort et de ce qu’implique une épreuve de très haut niveau. Ce qui fera la différence, c’est le mental ! Si j’arrive à me détendre, à me relâcher complétement et à prendre du plaisir dans ce que je fais, ce sera déjà une belle victoire après l’année que je viens de traverser.
Recueilli par Adrien Cadot (avec Jonathan Cohen)
FANTINE LESAFFRE
Née le 10 novembre 1994 à Roubaix
Taille : 1m80
Poids : 56 kg
Club : CN Antibes
Entraîneur : Franck Esposito
Qualifiée sur 200 m 4 nages
La phrase : « Je n’avais qu’un seul objectif en tête en arrivant aux championnats de France de Chartres : me qualifier pour les Jeux. Peu importe la course et peu importe le chrono. Ça a été une année très compliquée au cours de laquelle j’ai eu beaucoup de choses à régler. Me qualifier pour les JO de Tokyo, c’est un gros soulagement ! C’est bien d’y participer, mais j’ai un objectif en tête depuis quelques années. Un rêve. On verra. Je suis tellement heureuse. »