Derrière son grand sourire, sa gentillesse et sa disponibilité, Mélanie Henique, 28 ans, cache une âme de championne doublée d’une force de caractère aussi rare qu’inoxydable. Depuis ses débuts en équipe de France (2009), la jeune femme est passée par à peu près toutes les émotions : les bonnes comme les plus douloureuses. Après une troisième place sur 50 m papillon aux championnats d’Europe de Budapest en 2010 et une autre aux Mondiaux de Shanghai (2011), on pensait que plus rien ne viendrait interrompre la progression de l’Amiénoise (qui s’entraînait alors avec Michel Chrétien, ndlr). Reste que le haut niveau n’a rien d’une science exacte. Si vous cherchez des courbes exponentielles, passez votre chemin. La natation internationale est faite d’embûches, de pièges et d’un travail permanent de résilience. De 2012 à 2016, Mélanie Henique mange son pain noir. A l’exception de médailles collectives glanées en petit bassin, la papillonneuse ne trouve rien à se mettre sous la dent. En 2016, dans la foulée de Jeux de Rio traversés dans l’anonymat, la Picarde se reconvertit sur 50 m nage libre avec l’ambition de jouer une médaille à Tokyo. Sa nage est à reconstruire. Pourtant, elle n’abandonne pas ! Ses efforts sont récompensés lorsqu’elle devient championne d’Europe à Glasgow en 2019, mais en petit bassin et sur 50 m papillon, une épreuve ne figurant pas au programme olympique. Et puis, l’hiver dernier, comme par miracle, les planètes s’alignent. En claquant 24’’34 en série du 50 m nage libre des championnats de France de Saint-Raphaël, la Marseillaise s’adjuge le record de France et se positionne par la même occasion comme une prétendante au podium olympique. Guidée par le plaisir et l’envie d’aller plus loin, l’élève de Julien Jacquier entend profiter de cette renaissance pour décrocher enfin une breloque sur la plus majestueuse des scènes sportives.
Comment as-tu vécu cette saison, sachant que tu étais qualifiée pour les Jeux olympiques de Tokyo depuis les championnats de France de Saint-Raphaël (décembre 2020) ?
C’est vrai que ça a été une saison particulière. J’ai décroché ma qualification sur 50 m nage libre en décembre, puis nous avons repris le travail en janvier et depuis nous avons abattu beaucoup de boulot. Je pense avoir progressé techniquement. Je suis beaucoup plus haute sur l’eau et nettement plus relâchée. J’ai le sentiment de me retrouver dans le même état d’esprit qu’avant les championnats du monde de Shanghai (2011) : novice d’une épreuve, mais animée par l’envie de surprendre.
A la différence qu’il s’agira de tes seconds Jeux olympiques, non ?
Oui, c’est vrai ! A Shanghai, en 2011, je découvrais la scène internationale. Là, je sais à peu près à quoi m’attendre. Je nagerai à Tokyo pour être actrice et c’est cool (sourire)…
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Peux-tu nous raconter le chemin qu’il t’a fallu emprunter pour maîtriser ce 50 m nage libre ?
C’est drôle parce que lorsque je suis arrivée au Cercle des Nageurs de Marseille (fin 2014), je nageais 26’’33 au 50 m crawl. J’avançais alors plus vite en papillon qu’en nage libre ! C’est vous dire à quel point j’étais loin du compte (sourire)… Mais c’est une belle histoire parce qu’il a fallu tout reprendre depuis le début et apprendre les bases du 50 crawl. On a changé beaucoup de choses techniquement et en dehors de l’entraînement. C’est d’ailleurs ce qui m’a permis d’être à mon meilleur niveau en décembre dernier (championnats de France de Saint-Raphaël, ndlr). J’y ai cru et je pense que c’est la base de tout. Quand on se donne les moyens d’atteindre son rêve, forcément, à un moment donné, ça paie.
De quoi rêves-tu à Tokyo ?
D’une finale olympique et même d’un peu plus (sourire)… Nous, les athlètes de haut niveau, on en veut toujours plus, mais ce serait déjà bien d’être en finale. Après, il y en aura sept à battre (rires)…
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
On en déduit logiquement que tu as le podium olympique en ligne de mire.
Je rêve d’une médaille olympique, mas vous savez, dans mon histoire, ce n’est pas le plus important. Je suis dans la joie…
C’est-à-dire ?
Je suis fière de ma reconstruction. Peu importe les résultats des JO, j’ai surtout à cœur de m’amuser et de prendre du plaisir.
Le niveau de performance affiché par les sprinteuses australiennes ces dernières semaines ne t’inquiète donc pas ?
C’est sûr qu’elles sont impressionnantes ! D’autant qu’elles évoluent à un niveau que je n’ai encore jamais atteint, mais pour être honnête, ça ne m’inquiète pas. Je dirais même que ça me porte…
Comment ça ?
Si je parviens à leur tenir tête, cela signifiera que je figure parmi les meilleures nageuses mondiales. Je pourrais alors prétendre à un titre olympique.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Par le passé, tu as répété à plusieurs reprises que ta reconstruction avait débuté lors des championnats de France de Rennes (16-21 avril 2019). Peux-tu nous en dire un peu plus ?
Les championnats de France de Rennes sont l’un des plus gros flops de ma carrière. Je savais que ça allait être compliqué car je m’étais blessée plusieurs fois tout au long de la saison. Il y a eu beaucoup de hauts et de bas et je suis arrivée sans vraiment trop y croire. Finalement, je ne me qualifie pas aux championnats du monde de Gwangju (Corée du Sud). J’étais forcément déçue, mais pas étonnée ! Lorsque la saison se termine, je décide de m’accorder deux mois de vacances pour couper avec la natation. En rentrant de mes congés, j’ai dressé une liste de ce que je voulais accomplir : mes objectifs et mes attentes ! En septembre, au moment de reprendre l’entraînement, on s’est vu avec Julien (Jacquier, son entraîneur au CN Marseille, ndlr) et je lui ai dit que je pensais pouvoir être championne d’Europe à Glasgow (décembre 2019, petit bassin). Nous avons mis au point plusieurs choses et ça a changé la donne. Julien est là pour me guider et me rassurer. Nous formons un super duo !
Qu’est-ce que tu avais écrit sur cette liste ?
Beaucoup de choses (sourire)… Mon changement d’alimentation, ma préparation mentale, les chronos que je visais... Cela m’a permis d’être en phase avec mes ambitions et mon projet. J’ai toujours pris ma carrière étape par étape en me remettant en question et en cherchant à savoir pourquoi ça n’allait pas. C’est sans aucun doute l’une de mes plus grandes qualités.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Précédemment, tu évoquais les championnats du monde de Shanghai en 2011. On a le sentiment que tu te sens toujours aussi jeune. Est-ce le cas ?
C’est vrai que j’ai 28 ans, mais je me sens toujours aussi jeune parce que j’apprends constamment. J’innove et je construis chaque jour en dépassant mes limites. Si je dois continuer après Paris, je continuerais. Il n’y a pas de limite d’âge. Je me sens même plus sereine et plus heureuse qu’il y a quelques années. Je me construis en tant que nageur, mais également en tant que femme. C’est ce qui m’importe aujourd’hui.
Dans ton parcours de quoi es-tu le plus fière ?
Je suis fière d’être revenue après tant d’années de galères, de m’être remise en question et de ne pas avoir reporté la faute sur mes coaches ou mon staff. Je suis reconnaissante de tous ces gens qui croient en moi et qui m’accompagnent à Tokyo. Je vois aussi les jeunes qui arrivent, ça donne envie de donner l’exemple. Tout ça me rend fière.
A ce sujet, tu seras la capitaine de l’équipe de France pendant les Jeux olympiques nippons. Comment abordes-tu ce rôle ?
J’adore le partage, échanger sur les bonnes performances comme les mauvaises. Ça fait partie d’un tout. Cela fait maintenant douze ans que je suis en équipe de France. Si je peux partager un peu de mon expérience, j’en serais ravie (sourire)…
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
A Marseille, tu t’entraînes depuis quelques mois avec la Danoise Pernille Blume et Florent Manaudou, deux grands spécialistes du 50 m nage libre. Que retires-tu de ce rapprochement ?
C’est très intéressant car j’évolue dans un cadre de très haut niveau. Avec Pernille, on se tire la bourre à l’entraînement et on partage aussi des activités ensemble comme Pilate, du yoga, du shopping enfin voilà, c’est cool (rires)… Avec Florent, j’observe son fonctionnement et on partage aussi au quotidien. C’est plus qu’un partenaire d’entraînement donc quand il y a des petits doutes on essaie de se soutenir et de s’entraider.
Un dernier mot sur les Jeux de Tokyo : appréhendes-tu les contraintes sanitaires liées au Covid ?
Il faudra avoir une capacité d’adaptation supérieure à la normale et prendre les événements comme ils viennent. On sait que ce ne seront pas des Jeux normaux car ils ont déjà été décalés et que c’est compliqué en termes d’organisation, donc il faudra suivre les règles et faire en sorte que ça coûte le moins d’énergie possible. C’est dommage que les proches ne puissent pas venir, mais il fallait s’y attendre. Il faudra malgré tout essayer de rendre tout ça aussi beau et agréable que possible !
Recueilli par Adrien Cadot (avec Jonathan Cohen et Issam Lachehab)
MELANIE HENIQUE
Née le 22 décembre 1992 à Amiens
Taille : 1m72
Poids : 62 kg
Club : CN Marseille
Entraîneur : Julien Jacquier
Qualifiée sur 50 m nage libre
La phrase : « Désormais, il n’y a plus qu’à kiffer, faire les choses bien et s’investir à 200% parce qu’au bout, ce sont les Jeux olympiques ! J’ai hâte de vivre tous ces moments. C’est bien ce que j’ai fait à Saint-Raphaël (24’’34, décembre 2020) et toute cette saison, je suis sur le bon chemin, mais je ne veux pas m’arrêter là ! Je sens que tout est réuni pour que ça fonctionne. Je sais que je peux nager encore plus vite. »