Aux championnats de France de Chartres, Julien Jacquier, entraîneur au Cercle des Nageurs de Marseille a vécu des émotions contrastées. Entre le bon 100 m nage libre de Florent Manaudou avant la déception de sa deuxième place sur 50 m et le temps canon réalisé par Mehdy Metella sur 100 m papillon (50’’87 à deux centièmes de son record de France), le technicien tricolore a pu tirer différents enseignements avant d’entrer dans la dernière ligne droite de la préparation olympique. En espérant que l’affûtage permettent à ces sprinteurs d’arriver relâché au Japon.
Aux championnats de France de Chartres, on a vu Florent réaliser un bon 100 m nage libre. Quels enseignements en tirez-vous ?
C’était un beau 100 m, d’autant que nous ne l’avions pas travaillé spécifiquement en termes de volume. En revanche, la fraîcheur et la manière de le nager ont prouvé qu’il était en forme et qu’il pourra apporter un peu d’énergie et de précieux centièmes à ce relais aux JO. En nageant 48’’5 il est dans les eaux de ses meilleures performances depuis son retour. C’est encourageant, même si ce n’est pas la course principale.
Est-ce que ça veut dire que les temps s’améliorent et qu’il commence à voir le bout du tunnel ?
Tous les indicateurs nous laissent penser qu’il est sur la bonne voie. Il se sent bien et en termes de fraîcheur, c’est très positif. Dans un 50 m, il y a énormément de paramètres à prendre en compte et une mécanique assez complexe, mais je suis très confiant par rapport à ça.
Comment avez-vous géré la frustration de Florent quand ça n’allait pas trop notamment aux Euro de Budapest ?
Nous avons énormément échanger sur les questions de cycles. Il était important que je le laisse s’exprimer afin qu’il évacue ses doutes et sa frustration de ne pas nager aussi vite qu’il le voudrait. Cela a été une période assez longue mais ensuite nous sommes rentrés dans une période de relâchement et d’affûtage qui permettent de se sentir mieux physiquement mais aussi mentalement.
Avez-vous changé certaines choses ?
On n’a pas mis en place de choses particulières, c’était principalement de la discussion et le temps est passé. Il a fallu digérer la déception de chaque compétition, même si pour moi ce n’était pas du tout un problème son niveau de performance. Et puis vous savez on parle avec des adultes donc on peut aussi donner notre avis quand eux donnent le leur. Notre travail est de rassurer mais en réalité il fallait juste que cette période passe. Tout a beaucoup tourné dans sa tête, il a refait cinquante fois ses courses mais ce que je retiens c’est son envie.
On sent qu’il a toujours tendance à comparer ses chronos avec ceux de sa première carrière. Cela peut-il être pénalisant ?
Exactement, c’est sa nature. C’est vrai qu’il fait des calculs en permanence, il compte tout le temps ses coups de bras, il sait exactement quel temps il faisait à telle période de l’année il y a dix ans. On ne peut pas lui enlever ça mais par contre il faut apprendre à vivre avec cette frustration, chose qu’il n’avait pas à faire avant.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Est-ce que tout est déjà calibré sur un 50 m ou il y a une part de « libre court » ?
Beaucoup de paramètres sont travaillés et c’est la répétition de tout cela qui amène une automatisation. De cette manière, le jour J on ne pense plus à rien et on met simplement en place ce qui a été travaillé. L’objectif est vraiment qu’il arrive le plus libéré possible aux JO. C’est très important pour un sprinteur de ressentir de la fraîcheur et du bonheur avant une compétition de cette importance.
C’est ce qui a vraiment manqué ces derniers mois ?
Depuis qu’il est arrivé à Marseille il n’est pas très heureux car il n’évolue pas au niveau qu’il attend et le processus est assez long.
Quel est le plus gros changement pour lui depuis qu’il est arrivé à Marseille à temps plein ?
Il a fallu travailler sur la crispation et sur le fait de devoir chercher sa respiration parfois. Nous avons travailler sur les bases de la vitesse facile. Vous savez, un 50 m ne se nage jamais à fond, il doit y avoir une montée en puissance. Il n’y avait pas de défauts techniques mais nous sommes revenus sur des alignements et des paramètres spécifiques. On a aussi enchaîné les bornes pour qu’il redevienne davantage « entraînable » et travaillé les coulées car il avait un peu perdu le timing de l’ondulation.
Où se situe-t-il en terme de poids ?
Depuis le mois d’octobre il a perdu presque dix kilos, il était à 109kg à un moment. Là il est entre 99 et 100kg. C’était important car ce qui s’accompagne d’une grosse prise de poids c’est une grosse prise de force. Mais dans l’eau on peut pas utiliser tout ça.
Les finales auront lieu le matin à Tokyo. Travaillez-vous sur ce genre de paramètres ?
J’aimerais vous dire que l’on peut maîtriser ça. Mais un athlète qui a 30 ans et qui a ses habitudes, peut performer à n’importe quelle heure du moment où il est en forme. Si on avait cette maîtrise ça voudrait dire qu’on pourrait changer le cours des choses pendant les compétitions. Alors bien sûr qu’il y a le jet lag à bien réussir, l’hydratation, on a beaucoup d’aides scientifiques maintenant sur ça. Mais en réalité s’il est en forme et qu’il a envie tout se passera bien.
(KMSP/Stéphane Kempinaire
Allez-vous mettre en place une routine particulière ?
Oui, au village on marche plus. Il risque d’être beaucoup plus déshydraté parce qu’il fait très chaud et très humide. Bien sûr qu’on va mettre tout ça en place mais c’est simplement dans l’optique de ne pas arriver fatigué sur place. C’est important de le faire mais ce n’est pas déterminant pour la réussite.
Vous évoquiez tout à l’heure la respiration. L’avez vous travaillé spécifiquement ?
Oui il y avait deux choses à travailler. Sur un 50 m, si tu pars à fond, au bout d’une quinzaine de secondes d’efforts, il est impossible de continuer. À côté de ça il avait également développé un petit blocage et une appréhension sur le fait de nager un 50 m sans respirer. Au Cercle des Nageurs de Marseille, on a la chance d’avoir un recordman du monde d’apnée. Florent a réalisé une dizaine de séances pour apprendre à gérer cela. Les résultats se sont rapidement fait sentir.
Ça n’apporte rien de respirer sur un 50m ?
A chaque fois qu’on respire on perd du temps. C’était quelque chose d’acquis pour lui mais c’est ce qui est intéressant dans cette seconde carrière, c’est de voir que rien n’est totalement acquis justement.
Un mot sur Mehdy Metella. Comment le vois-tu en ce moment ?
Déjà je suis forcément heureux qu’il soit qualifié aux Jeux olympiques. Ça c’est la bienveillance que j’ai pour lui. Il a eu une année très compliqué avec sa blessure, son opération et sa rééducation. Cela se ressent forcément sur ses performances. Ce n’est pas ce que j’aurais souhaité mais c’est ce qui arrive quand on travaille moins et qu’on manque des entrainements. Mais il va prendre part à ses deuxièmes Jeux olympiques et c’est le plus important.
A Budapest il était plutôt bien et à Canet il nous a dit qu’il pensait tout arrêter, qu’en pensez-vous ?
Cela n’est que la perception des nageurs. Il n’a jamais réellement songé à arrêter. Il a une immense qualité, c’est qu’il n’abandonne pas. Il est conquérant et c’est vraiment beau à voir. Il a cette folie de penser que tout est toujours possible.
Recueilli par Adrien Cadot (avec Issam Lachehab et Jonathan Cohen)