De Charlotte Bonnet, 26 ans, on a déjà beaucoup dit et écrit. De la native d’Enghien-les-Bains on connaît la longévité exceptionnelle au sein de l’équipe de France (elle a fait ses débuts au sein du collectif national en 2012 à 17 ans), son palmarès (à commencer par sa médaille de bronze olympique avec le relais 4x200 m nage libre à Londres et son titre continental du 200 m nage libre décroché à Glasgow en 2018), ce rôle de leader qu’elle refuse d’endosser en dépit de son expérience internationale et, plus important encore, sa faculté à se relever de tout. La saison qui vient de s’écouler en est la parfaite illustration. Touchée par le report des Jeux de Tokyo, la nageuse de Fabrice Pellerin a passé l’essentiel de cette seconde année olympique à chasser les critères de sélection. En vain. Après un échec aux championnats de France de Saint-Raphaël (décembre 2020), un autre, chez elle, à Nice, début février, lors de la première étape du FFN Golden Tour-Camille Muffat, puis un dernier à Marseille, fin mars, à l’occasion de la seconde étape du meeting fédéral, Charlotte Bonnet s’est contentée de la quatrième place de « SON » 200 m nage libre aux Euro de Budapest avant de décrocher (enfin) son sésame olympique sur 100 et 200 m nage libre lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin). Une hérésie pour cette habituée des joutes internationales qui maîtrise d’ordinaire le jeu des sélections. Mais si l’expérience est une chose, la réalité en est une autre. La Niçoise d’adoption le sait. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle a désormais choisi de privilégier le plaisir sans renoncer pour autant à ses ambitions. On se souviendra qu’en 2018, en Ecosse, c’est dans cet état d’esprit qu’elle s’était hissée sur la première marche du podium européen (200 m nage libre). Forte de cette confiance retrouvée, il n’est pas dit que, cette fois, il faille en écrire davantage sur son aventure tokyoïte. Pour tout dire, on attend que ça !
Dans quel état d’esprit as-tu conclu les championnats de France de Chartres (15-20 juin) ?
Soulagée d’un poids qui m’a entravé tout au long de la saison ! Depuis que j’ai repris en août 2020, je n’ai pas arrêté de me répéter qu’il fallait que je me qualifie le plus vite possible pour que je puisse ensuite me focaliser sur ma préparation olympique. J’avais besoin de me rassurer par rapport à l’interruption de la saison dernière et au report des Jeux.
Tu avais donc la pression ?
Oui, j’avais la pression, mais aussi envie de faire les temps demandés et qu’on ne m’en parle plus. Clairement, cette saison m’a beaucoup coûté en termes d’énergie. J’ai manqué de sérénité. Aujourd’hui, le doute n’est plus le même. Maintenant que je suis qualifiée pour les Jeux, je retrouve progressivement ma routine et mes habitudes.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Cette année peut-elle constituer une charnière dans ta carrière ?
Je ne le pense pas ! Cela fait 2-3 ans que j’accumule les pépins physiques ou mentaux. Il fallait simplement en passer par-là. C’est aussi le propre d’une carrière de haut niveau. Il y a des aléas. On ne peut pas tout maîtriser. Lors des championnats de France de Chartres (15-20 juin), j’avais à cœur de profiter de tout, à fond, sans me poser trop de questions et sans essayer de tout calculer. Je pense que je n’ai jamais été aussi contente de décrocher une qualification. Avant, j’avais trop tendance à banaliser cette étape. Je ne profitais pas suffisamment. Maintenant, c’est ce que je fais !
Quelle place occupe le travail mental dans ta préparation ?
Cela fait cinq ans que je travaille avec une préparatrice mentale. A l’entraînement tout se passe bien, mais en compétition ce n’est pas toujours aussi simple. On oublie trop souvent que c’est dans la tête que se joue une grande finale internationale.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Que travailles-tu spécifiquement avec ta préparatrice mentale ?
Elle a mis l’accent sur le relâchement. Elle m’a redonné cette notion de plaisir que j’avais perdu au fil des saisons. Cette année, notamment, a été compliquée à gérer sur le plan émotionnel. J’ai raté plusieurs fois le temps de qualification. A chaque fois, il a fallu retrouver la force de revenir à l’entraînement tout en continuant d’y croire. A la longue, je me suis dit que c’était vraiment dur et que je ne voyais pas la récompense au bout. Donc, voilà, elle m’a surtout permis de retrouver du plaisir dans l’eau et la fierté de se qualifier et d’accomplir des choses qui ne sont pas banales.
Peut-on en déduire que les championnats de France de Chartres ont contribué à te redonner confiance ?
Vous savez, ce n’est pas parce que je fais de mauvais temps que la confiance se perd forcément et inversement : lorsque je performe, ça ne booste pas automatiquement mon assurance ! Il y a tellement de paramètres qui entrent en ligne de compte. Il y a des moments de doutes, mais je n’ai jamais perdu confiance en moi, c’est juste que les résultats n’étaient pas au rendez-vous. Compte tenu de l’exigence et de l’hygiène de vie que je mets en place au quotidien, ça a fini par m’impacter.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
On a toutefois le sentiment que la pression demeure ton « talon d’Achille » ou tout du moins un obstacle sur lequel tu viens régulièrement buter ?
C’est vrai que, d’une certaine manière, ma plus grosse saison a été épargnée par la pression. En 2018, je suis arrivée aux Euro de Glasgow sans trop savoir où j’en étais. Je ne m’attendais à rien. Il y avait de la pression, comme dans tous les championnats, mais je ne m’étais pas dit : « Il faut que je fasse ça ou que je gagne telle course de telle manière ». Bizarrement, c’est depuis 2018 que je me suis mise à calculer de plus en plus. C’est quelque chose de mauvais, je le sais, mais c’est dur à contrôler. J’en ai parlé à d’autres sportifs et je vois que c’est un problème qu’ils rencontrent aussi. Donc, oui, je me suis construite dans la difficulté, face à la pression, mais c’est comme ça : j’ai un parcours atypique !
Qu’attends-tu des Jeux olympiques de Tokyo ?
Je veux conserver ce plaisir ! Je ne veux pas me mettre de pression même si je tiens à être performante. Les ambitions sont là et elles sont assumées, mais avec ce que j’ai vécu ces derniers mois, je verrai comment ça se passe là-bas. Je ne veux surtout rien regretter, tout donner et rentrer fière de mes prestations !
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Ressens-tu moins de stress du fait d’être moins attendue ?
Oui, c’est sûr que ça me fait du bien d’y aller avec plus de détachement (sourire)... Mais encore une fois, les ambitions sont bien là ! Je ne veux simplement plus renoncer au plaisir !
A Tokyo les conditions sanitaires seront très particulières. Comment t’y prépares-tu ?
Il est certain que les Jeux de Tokyo seront très différents de ceux de Londres ou de Rio. Je pense surtout aux athlètes pour qui ce sont les premiers JO parce que j’espère qu’ils vivront quelque chose de différent en 2024. Normalement, les Jeux, c’est l’occasion de pouvoir suivre d’autres disciplines la deuxième semaine, de profiter tous ensemble, de découvrir une nouvelle culture. Après, il faut garder à l’esprit qu’on y va avant tout pour nager et que, de ce côté-là, les conditions seront optimales.
Le contexte sanitaire pourrait-il tronquer les podiums ?
Oui, c’est possible ! Je pense qu’il y aura forcément des surprises. Après, lors des derniers championnats d’Europe de Budapest (mai 2021), je n’ai pas eu le sentiment d’être enfermée. J’ai pu m’entraîner normalement et je n’ai pas trouvé les contraintes sanitaires aussi restrictives que je le craignais. A Tokyo, ce sera plus strict donc ça peut jouer sur le mental de certains, mais si on a une bonne équipe et qu’on s’entend bien tout devrait se passer dans les meilleures conditions.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
Comment ta relation avec ton entraîneur (Fabrice Pellerin) a-t-elle évolué cette année ?
C’était compliqué ! Je ne rejette la faute sur personne, c’est moi la première responsable, mais j’ai le sentiment que nous avons un peu manqué de communication. Le manque de visibilité et les incertitudes qui nous ont accompagnés cette saison ont aussi eu un impact mental. Le report des Jeux, se dire que tu dois tirer sur la corde pendant un an supplémentaire, a forcément joué. Peut-être que j’aurais dû faire part de mes doutes à Fabrice. D’autant qu’il a tendance à rester en retrait alors que j’aurais eu besoin qu’il soit davantage présent, mais je ne remets absolument pas en question son travail car je sais tout ce qu’il m’a apporté.
As-tu des attentes particulières pour le relais 4x100 m nage libre ?
C’est un relais à la fois expérimenté, mais encore très jeune parce que ça ne fait pas si longtemps que ça que nous réalisons de belles choses. Moi, j’y crois, mais toutes les nations sont performantes cette année, à part peut-être les Américaines. Nous avons une bonne cohésion collective bien que chaque relayeuse soit différente. Nous avons réussi à être championne d’Europe parce qu’on s’est dit que notre heure était arrivée. On doit créer quelque chose d’aussi fort et mettre nos différences de côté.
(KMSP/Stéphane Kempinaire)
En quoi es-tu différente de la Charlotte de 2016 ?
Drôle de question (rires)… Franchement, je ne sais pas (sourire)… Je pense que j’ai mûri. J’ai plus d’expérience et d’envie, même si dans le fond, je ne suis pas si différente. A l’issue des Jeux olympiques de Rio, je me suis demandée si je voulais vraiment continuer ou s’il était temps de faire un break. Finalement, j’ai enchaîné et aujourd’hui la question ne se pose plus.
Recueilli par Adrien Cadot (avec Issam Lachehab)
CHARLOTTE BONNET
Née le 14 février 1995 à Enghien-les-Bains
Taille : 1m74
Poids : 65 kg
Club : Olympic Nice Natation
Entraîneur : Fabrice Pellerin
Qualifiée sur 100 et 200 m nage libre
La phrase : « J’ai ressenti beaucoup de soulagement en réalisant le temps de qualification aux championnats de France de Chartres (200 NL). Cela faisait plusieurs mois que je courais après ce ticket olympique. A chaque fois, il m’avait manqué quelques centièmes. Il y a eu beaucoup d’obstacles ces derniers mois. Entre les confinements, le report des Jeux et un pépin à l’épaule, tout a été compliqué. J’ai déjà connu des moments difficiles dans ma carrière, mais je n’ai plus 17 ans. Je sais que les années comptent, à présent. »