Depuis le 29 octobre, l’Hexagone est plongé dans un second confinement. Les règles en vigueur pour les athlètes de haut niveau ont cependant changé. Contrairement au premier confinement printanier, ces-derniers peuvent, en effet, s’entraîner. Si l’entretien physique peut donc être assuré, comment se sentent-ils mentalement ? Cécilia Delage, psychologue clinicienne, suit l’équipe de France de plongeon depuis mars 2019. Elle a accepté de nous éclairer.
Quel rôle jouez-vous au sein de l’équipe de psychologues de la FFN ?
J’ai été recrutée pour accompagner l’équipe de plongeon qui comprend une dizaine d’athlètes en comptant les juniors. Je m’occupe de tout ce qui est préparation mentale. Je veille au bien-être des athlètes à travers la performance.
Comment procédez-vous avec l’équipe de France de plongeon ?
Je fais principalement un travail individuel, toujours en lien avec les coaches. Il est moins souvent collectif, sauf quand cela s’impose. Je participe à leurs entraînements à l’INSEP une fois par semaine et je les suis sur certaines compétitions. J’adapte nos échanges en fonction de ce que je ressens et de comment se sent l’athlète à l’instant T. Cela peut être sur une problématique émotionnelle ou un problème de concentration, par exemple.
Comment vont les nageurs depuis ce deuxième confinement ?
Je les sens bien, concentrés sur eux. Ils sont dans leur performance grâce à des objectifs redéfinis et clairs. Il y a fort heureusement beaucoup de communication avec le staff. Ils font ce qu’ils ont à faire sans trop se poser de question. Je n’ai pas ressenti de stress particulier.
Benjamin Auffret, membre de l'équipe de France de plongeon (FFN/Philippe Pongenty).
Pendant le premier confinement, vous aviez organisé des entretiens en visio-conférence. Comment procédez-vous pour cette seconde phase ?
C’est totalement différent ! Tout simplement parce que les athlètes peuvent s’entraîner. Ils ont repris un quotidien très structuré. C’est donc moins angoissant et contraignant. On peut dire que mon activité est redevenue normale. Contrairement au premier confinement où l’on faisait surtout de la préparation mentale à distance pour garder un lien avec la pratique, là je vais sur place et je mène mes entretiens.
A quoi veiller vous pendant ces échanges ?
Le plus important, c’est de s’assurer que la motivation est toujours présente. Il y a quand même une grosse part d’incertitude car il n’y a pas de compétitions de prévues. Or pour un athlète, l’absence de compétition, c’est l’absence d’objectif et c’est une situation qui peut créer une certaine inquiétude ! Certains sportifs peuvent se demander pourquoi ils s’astreignent à autant d’heures d’entraînement pour rien. C’est pour ça que notre rôle doit leur permettre de garder la motivation en les aidant à redéfinir des objectifs adaptés à la situation. Il faut redonner du sens à ce qu’ils font.
Sur quoi doivent-ils se concentrer pendant cette période ?
Il faut les rassurer en prenant en compte qu’il n’y a certes pas de compétitions, mais que cela peut leur permettre de travailler des choses sur lesquelles ils n’ont d’ordinaire pas le temps de se concentrer. Alors il faut revenir à un objectif de maîtrise, à un objectif technique de progression. En plongeon, cela passe notamment par le fait de travailler un détail du saut. Il faut aussi veiller à ce que l’athlète se recentre sur l’essentiel de sa pratique. Cela rejoint la notion d’objectif. Malgré le contexte, il faut que l’athlète se sente progresser et qu’il mette la compétition au second plan. Il faut aussi qu’il intègre qu’il y reviendra avec plus d’assurance et de confiance s’il se concentre là-dessus.
Matthieu Rosset, membre de l'équipe de France de plongeon (KMSP/Stéphane Kempinaire).
Les Jeux olympiques font-ils partie de leurs inquiétudes ?
Pour la grande majorité, ils vont avoir lieu. Ils se préparent tous pour ça. Et ils en parlent de manière plutôt positive. Il y en a peut-être un ou deux qui n’y croient pas, mais je ne ressens pas d’angoisse par rapport à ça. Avant les Jeux, ils doivent de toute façon passer par la qualification. S’il n’y a pas de JO, il faudra leur faire comprendre qu’ils n’ont pas fait tout ça pour rien, qu’ils auront travaillé et acquis de nouvelles compétences, des capacités, une perfection. Il faut admettre que cela va servir pour après. Il faut les amener à raisonner dans ce sens-là et cela atténue le questionnement.
Accepter et s’adapter. C’est ça la clef ?
Oui ! Psychologiquement, ce n’est pas simple d’accepter l’incertitude, le contexte et toutes les contraintes autour de cette crise sanitaire. Donc se recentrer sur ce que l’on maîtrise, prendre du recul avec la situation et se demander comment on va surmonter cette épreuve, c’est une bonne manière d’aborder les choses. Et puis il faut essayer d’être positif. Je suis là pour leur montrer le bon côté des choses, montrer une situation qui peut leur sembler négative sous un autre angle. Cela passe parfois par retourner une situation. Par exemple, si un sportif rate son plongeon 2 ou 3 fois, l’entraîneur va lui dire de passer à un autre saut. Sauf que l’athlète va surement être frustré et il va avoir des difficultés à se concentrer et à se remettre dans une autre figure. Dans ce cas, j’essaie de lui permettre de percevoir la situation du bon côté, pour qu’il puisse travailler différemment. Mais ils se posent globalement beaucoup moins de questions qu’au premier confinement. Beaucoup en ont tiré des enseignements et le vivent mieux.
L’actualité anxiogène ne les déconcentre pas ?
Ils ne sont pas beaucoup à en parler. Ceux pour qui c’est le cas s’inquiètent plutôt de savoir comment ils vont faire sur les créneaux où ils ne peuvent pas sortir, comme le week-end où l’attestation d’athlète de haut niveau ne leur permet pas de s’entraîner. Dans ce cas, je leur demande s’ils n’ont pas envie de prendre du temps pour faire autre chose : lire, cuisiner, écouter ou faire de la musique… Il y en a d’autres qui parlent de cette actualité sous forme de dérision. Ce qui est plutôt positif car l’humour est un bon mécanisme de défense pour supporter les choses. Je leur dis souvent que s’ils arrivent à gérer le stress et l’incertitude de cette période, ce sera un atout pour eux pour les compétitions à venir. Je fais souvent le parallèle entre le contexte actuel et une compétition. Dans les deux cas, on se trouve dans un contexte qu’on ne maîtrise pas, pendant lequel il faut quand même avancer et se recentrer sur soi pour être performant. Dans tous les cas, c’est un défi et ils sont capables de le surmonter.
Recueilli par Chloé Joudrier