En décembre dernier, le journaliste français David Lortholary, qui collabore régulièrement aux différents supports éditoriaux de la Fédération Française de Natation et que vous avez peut-être récemment vu animer l’émission D’un sport à l’autre, s’est rendu à Kiev pour rencontrer Viktoria Onoprienko, membre de l'équipe nationale ukrainienne de gymnastique rythmique, puis à Kharkov pour un shooting avec la nageuse synchro Olesia Dereviantchenko, membre elle-aussi de l'équipe nationale ukrainienne, afin de réaliser un sujet transversal sur les points communs et les différences entre les deux disciplines. Un reportage qui avait été publié dans le magazine de gymnastique Vrille et que nous avons choisi de republier en intégralité sur notre site afin de soutenir ces jeunes athlètes dans la crise que traverse actuellement leur pays.
Viktoria Onoprienko éclate de rire. « Si j'ai essayé la natation synchronisée ? Dans l'eau ! Non ! Je ne nage pas bien du tout. Si je parvenais à rester dans une position dans la piscine, ce serait déjà une victoire ! » La gymnaste de Kiev se montre curieuse à notre idée de comparaison entre son sport et la synchro mais reconnaît d'emblée leurs différences. Si l'on imagine bien son manque d'aisance dans l'eau, sa compatriote Olesia Dereviantchenko, membre elle aussi de l'équipe nationale mais en natation artistique cette fois, n'a pas ce problème. Sauf que, quand on demande à la jeune nageuse d'entrer dans le bassin équipée d'un ballon de GR, les choses se corsent. « Dans l'eau, il essayait constamment de me fuir », maudit-elle l'engin de gymnastique une fois notre séance photo terminée. « Sur terre, tout était complètement différent : c'était très facile et confortable pour moi de travailler avec lui », constate-t-elle.
Viktoria Onoprienko (Photo : Thomas Schreyer).
Olesia s'est jetée dans le bain, à froid, pour répondre à notre défi, le temps d'un shooting, de mélanger les deux disciplines. « C'était ma première expérience de séance photo. Au début, j'étais un peu inquiète et je ne comprenais pas trop comment me débrouiller avec le ballon, puis je me suis prise au jeu et j'ai vraiment aimé ça », expose-t-elle. « Mais malheureusement, on avait peu de temps pour shooter, il fallait travailler vite, donc il n'y avait pas de temps pour s'amuser. » Pour elle, la principale différence entre ces deux sports est évidente : l'élément dans lequel on évolue. « Nous ne sommes pas sur terre, mais dans l'eau. Nous avons des poumons très développés pour retenir notre respiration pendant l'exercice. Nous effectuons également des éléments acrobatiques, mais pour les exécuter, nous devons être plus forts et plus endurants », estime-t-elle.
Olesia Dereviantchenko (Photo : Elena Verevskaya).
Sa compatriote de la rythmique acquiesce. « La synchro, c'est un sport très difficile, évidemment. Ça nécessite un système pulmonaire très développé pour performer sous l'eau. Les nageuses doivent à la fois être en apnée et pousser leurs partenaires au-dessus de leur tête... ce qui entraîne une charge musculaire très lourde. Je ne sais pas, je me dis que si je me mettais à la natation synchronisée... je souffrirais drôlement ! », lâche Viktoria dans un éclat de rire mêlé d'admiration. Pourtant, Olesia admire aussi ce que réussissent les GR. À la question de savoir ce dont elle est le plus curieuse à propos des exploits de Viktoria, 10e des Jeux olympiques l'année dernière, elle répond : « Comment te sens-tu après avoir terminé ton exercice parfaitement du début à la fin ? » Les nageuses, à la faveur de la pandémie, ont accentué leur travail à sec et se sont rapprochées de certains aspects des entrainements de GR. « Par moments, pour varier, nous avons essayé certains éléments de ce sport lorsqu'il y a eu le confinement », confirme Olesia. Qui poursuit : « Bien sûr, étant enfant, j'adorais regarder ce sport à la télévision. Avant la natation synchronisée, je fréquentais un studio de cirque, où nous faisions des exercices d'étirement de base. »
Viktoria Onoprienko (Photo : Thomas Schreyer).
Le travail de souplesse et la recherche de la grâce sont, évidemment, un des grands points communs entre les deux disciplines. « Tous les jours, on fait des ponts, des gammes d'écarts, il y a aussi un entrainement séparé pour la souplesse, au cours duquel on fait tous les exercices possibles pouvant développer cette qualité », expose la nageuse. « Leurs jambes sont parfaitement tendues », envie Viktoria. « Nous aussi, nous devons avoir les jambes tendues pour éviter de perdre des dixièmes sur la note finale. Si notre jambe n'est pas tendue, nous sommes pénalisées. Je crois qu'en synchro, il existe le même genre de pénalités. C'est vraiment un sport magnifique. À tel point que parfois, à l'entraînement, on s'entend dire : tendez vos jambes comme celles des nageuses de synchro ! »
Olesia Dereviantchenko (Photo : Elena Verevskaya).
Mais un autre point de comparaison intéresse les filles davantage encore. « Dans ces deux sports, on trouve des exercices de groupe », constate Viktoria. « Quand les nageuses évoluent dans l'eau, elles effectuent des mouvements similaires à ceux que nous faisons dans les ensembles. Leurs mouvements sont synchronisés et magnifiques », s'emballe-t-elle. « Dans les deux sports, il y a à la fois des exercices de groupe et des exercices en solo, ainsi qu'un sens du rythme, de la grâce, de la plasticité, des cours de chorégraphie et de forme physique générale », inventorie Olesia. « J'aime vraiment quand nous mettons en place nos chorégraphies. C'est un processus tellement intéressant et créatif... j'en suis fan ! Je préfère le groupe au solo parce que c'est plus intéressant à regarder. On peut créer un tas de choses intéressantes. »
Viktoria Onoprienko (Photo : Thomas Schreyer).
Le côté artistique des deux disciplines est une évidence que les deux jeunes femmes apprécient. « À chaque édition des Jeux d'hiver, j'aime regarder le patinage artistique. Et quand j'étais petite, j'aimais observer les gymnastes, les voir sauter dans le cerceau et se jeter en l'air avec leur ruban », se souvient Olesia. « C'est un sport magnifique et fascinant. Moi, je suis née hyperactive et c'est la raison pour laquelle mes parents m'ont envoyée dans un club de sport. À la télé, une fois, ils regardaient de la synchro et mes yeux se sont illuminés. Ils m'ont demandé si ça me dirait de nager de manière aussi merveilleuse et, évidemment, j'ai dit oui. Le lendemain, j'avais droit à ma première session d'entraînement à la piscine. La synchro, c'est superbe. C'est esthétique. »
Olesia Dereviantchenko (Photo : Elena Verevskaya).
Et la petite « Lesia » correspond à ses canons. « Je ne peux que dire du bien de mon élève », confirme la grande prêtresse de la synchro ukrainienne Svetlana Saidova. « Elle vit avec son père, sans mère, elle est donc sous ma protection. Elle est comme une fille pour moi, et comme vous le savez, les mères aimantes ne voient pas de mauvais traits de caractère chez leurs enfants. C'est une athlète bien élevée, gentille, sympathique et déterminée. Elle n'a pas peur des difficultés, assume le travail et sait être heureuse dans notre sport. Lesia est talentueuse et belle. Elle est souple, sait se grandir, nous lui donnons progressivement de la force. Ses données morphologiques correspondent à la sélection dans ce sport. » Dont l'appétence pour l'eau est donc la différence majeure avec la GR. « Après une période de vacances, le corps s'est très vite sevré de l'eau, sa sensation est perdue, après une longue pause on a l'impression d'être dans l'espace, on ne comprend plus où l'on est », témoigne Olesia. « Oui, c'est difficile. Le corps s'est très vite sevré du stress lié à l'eau et du temps qu'on passer dans la piscine – 7 heures par jour, en général. » De quoi effrayer Viktoria et ses craintes de la natation. Et inspirer à Olesia une conclusion qui fera consensus : « La GR et la synchro... chacune est dure à sa manière ! »
David Lortholary et Miroslava Shcherbak, à Kiev et à Kharkov